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Boudu sauvé des eaux film français réalisé par Jean Renoir, sorti le 11 novembre 1932, adaptation de la pièce de théâtre homonyme de René Fauchois.

Analyse critique

A la fin de La Chienne, film tourné un an avant par Jean Renoir, le personnage principal de Maurice Legrand, incarné par Michel Simon, finissait clochard dans les rues de Paris, et c’est probablement en partie dans cette brève séquence que se trouve l’origine cinématographique de Boudu, l’un des personnages les plus célèbres et pourtant les plus étonnants de l’histoire du cinéma français.

Boudu, un sympathique clochard parisien, qui a perdu son chien et que la société dégoûte, tente de se suicider en se jetant à la Seine. Il est repêché par un libraire aux idées libérales, Lestingois, homme doux et naturellement bon, qui héberge le rescapé au grand déplaisir de sa femme, Emma, et de sa bonne (sa maîtresse), Anne-marie. Lestingois s'efforce de racheter socialement Boudu et de le civiliser.

Mais Boudu préfère passer le plus clair de son temps à semer le désordre dans l'appartement de son bienfaiteur, à flirter avec la bonne et surtout à éteindre les ardeurs refoulées de Mme Lestingois, au moment même où son mari est décoré pour son acte de bravoure.

Afin de "satisfaire à la morale des temps" tout en respectant "les lois divines de la nature", on décide de marier Boudu avec la bonne. Les noces font l'objet d'une fête nautique sur la Marne, qui se termine en déroute générale. Boudu en profite pour s'éclipser discrètement. Jetant son froc de bourgeois aux orties, il repart au fil de l'eau.

René Fauchois avait créé Boudu sauvé des eaux, en 1919, au Théâtre des Célestins à Lyon. Il y interprétait lui-même le rôle principal du libraire Lestingois, bourgeois libéral passablement porté sur la bagatelle, et c’est, face à lui, le comédien Fernand-René qui incarnait l’envahissant convive. La pièce rencontra un certain succès, mais quand en 1925, sur la scène du Théâtre des Mathurins à Paris, c’est Michel Simon qui endosse pour la première fois le rôle de Boudu, la nature même de la pièce bascule : avec sa silhouette d’ogre et son jeu imposant, le comédien s’approprie la pièce qui devient un véritable triomphe, les spectateurs curieux accourant pour assister au numéro. Au total, Michel Simon n’interprète qu’une trentaine de fois le personnage sur scène, mais c’est suffisant pour que son image soit dès lors irrésistiblement associée au personnage. Ainsi, lorsque Michel Simon devient à son tour producteur, il se tourne vers ce succès, encore frais dans les mémoires du public. C’est donc cette fois Michel Simon qui se tourne vers Jean Renoir.

Dans la continuité de Michel Simon qui avait, par la force de son interprétation, déséquilibré la pièce de René Fauchois du personnage de Lestingois vers celui de Boudu, Jean Renoir et Albert Valentin vont, dans leur adaptation, encore s’écarter des intentions initiales de l’auteur : si dans la pièce, c’est Lestingois qui a le beau rôle, celui d’un sauveur qui offre à Boudu l’opportunité d’un retour à une forme de norme sociale, le film abandonne toute forme d’embourgeoisement pour se concentrer sur la nature insolite, indomptable, imprévisible de Boudu. Ce que Boudu incarne aux yeux de Renoir, ce n’est donc pas le désordre mais la liberté, l’insolence, l’insoumission. René Fauchois fut extrêmement mécontent à la découverte du film, et se hâta de remonter sa pièce sur les planches, écrivant un nouvel acte pour rétablir "sa" vision du personnage. Quelques décennies plus tard, il convient que c’est la figure hirsute et indocile de Michel Simon qui s’impose lorsque l’on évoque le nom de Boudu.

Débraillé, titubant, grimaçant, espiègle et obstiné, Michel Simon compose ici un personnage résolument fascinant, aussi parfaitement odieux que totalement attachant, et dont la nature éminemment complexe se construit progressivement, dans l’utilisation combinée de tous les outils dont peut disposer un comédien : les artifices extérieurs, costume, postiches, maquillage, mais aussi et surtout la tenue générale du corps, les expressions faciales, l’articulation ou le timbre de la voix, jusqu’à, et de façon moins aisément descriptible, une manière de prendre en considération et d’assumer totalement la nature fondamentalement ludique de son "jeu" : même lorsque Boudu râle, et sans oublier de croire à la vérité du personnage, on mesure à quel point, derrière, Michel Simon s’amuse.

Face à cette performance, il fallait un partenaire à la hauteur, et Charles Granval est remarquable dans son interprétation très nuancée de Lestingois. Grâce à lui, le film ne bascule jamais dans le pamphlet anarchiste simpliste, mais maintient constamment ce bel équilibre, si cher à Jean Renoir, entre les raisons des uns et les raisons des autres.

Au-delà de la performance imposante de Michel Simon, il faut retenir la très grande fraîcheur dans la manière d’évoquer les choses de l’amour et du sexe. Ce film merveilleusement grivois, possède un sens appuyé de l’érotisme et du libertinage : alors que Boudu batifole avec la pimpante Anne-Marie, et qu’il lui demande de l’embrasser, celle-ci, faussement revêche, lui demande s’il saurait faire et s’il a déjà embrassé. Alors Boudu répond : « Oui. Avant, j’avais un chien. Il m’embrassait, lui. Et il me léchait aussi. ». Un peu plus tard, et alors que Boudu explore le décolleté de Mme Lestingois et que celle-ci finit par céder à ses avances rustaudes, la caméra les abandonne pour s’attarder sur le clairon triomphant d’un zouave sur une peinture murale. Dans Boudu sauvé des eaux, tous les personnages s’abandonnent aux plaisirs de la chair et le font avec enthousiasme et candeur, comme lorsqu’ils fredonnent chacun leur tour cette rengaine naïve, manifestation ingénue de ce désir qui circule librement entre eux.

On connaît les sympathies anarchistes de Jean Renoir, et celles de Michel Simon comme de Charles Granval sont également avérées. De ces personnalités insoumises provient l’esprit de Boudu sauvé des eaux, fable philosophique décontractée qui n’aboutit finalement à aucune autre morale que celle du vent polisson ou de l’eau au libre cours. Renoir a toujours accordé une primauté à la symbolique de l’eau, élément dont la pérennité l’emporte sur toute vie humaine, dont le cours sinueux nie toute idée de domestication. Que Boudu, vu du foyer Lestingois, vienne de l’eau et d’une certaine manière y retourne, n’est donc pas un hasard : il est un élément libre, fruit de la nature, qui ne se soumettra pas aux lois de cette société normative.

Distribution

  • Michel Simon? : Boudu
  • Charles Granval : Édouard Lestingois
  • Sévérine Lerczinska : Anne Marie
  • Marcelle Hainia : Emma Lestingois
  • Jean Gehret : Vigour
  • Max Dalban : Godin
  • Jean Dasté? : L'étudiant.
  • Jacques Becker : Le poète sur le banc
  • Régine Lutèce : La jeune femme au chien
  • Janie Pierson : Rose
  • Georges Darnoux : L'invité au mariage
  • Geneviève Cadix : La petite fille

Fiche technique

  • Réalisation : Jean Renoir
  • Scénario : Jean Renoir, Albert Valentin (non crédité), d'après la pièce de René Fauchois, publiée en 1919
  • Assistants réalisateur : Jacques Becker, Georges Darnoux
  • Chanson : Sur les bords de la Riviera de Léo Daniderff
  • Photographie : Marcel Lucien
  • Opérateur : Georges Asselin, assisté de Jean-Paul Alphen
  • Montage : Marguerite Renoir, Suzanne de Troye
  • Production : Michel Simon
  • Directeurs de production : Jean Gehret, Marcel Pelletier
  • Sociétés de production : Société Sirius, Les Films Michel Simon
  • Format : Noir et blanc - Mono - 35 mm
  • Durée : 81 minutes
  • Date de sortie : 11 novembre 1932, au cinéma Colisée
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux