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Masculin, féminin : 15 faits précis est un film français de Jean-Luc Godard, sorti en 1966.

Analyse

Paul a 21 ans. C'est un garçon plutôt timide, maladroit, mais soucieux de s'intégrer, de communiquer par tous les moyens possibles. Son camarade Robert est engagé politiquement, sûr de la légitimité de ses convictions, militant enthousiaste qui se trouve mal à l'aise avec les autres dès qu'il ne s'agit plus de changer le monde.

Madeleine, qui veut devenir chanteuse, a le même âge que les deux garçons; elle est un produit parfait de la société de consommation dont elle suit aveuglément les modes et à toutes les sollicitations de laquelle elle se conforme. Plus effacée, Élisabeth est un peu le double de Madeleine, qu'elle jalouse pour son aisance et l'attrait qu'elle exerce sur les garçons. Quant à Catherine-Isabelle, elle apparaît par son sérieux assez proche de Robert, qui a un faible pour elle. Mais c'est Paul qui l'attire alors que celui-ci n'a d'yeux que pour Madeleine. Ces jeunes, ces "enfants de Marx et de Coca-Cola", sont confrontés aux problèmes du monde des années soixante : la violence quotidienne, la guerre du Vietnam, la révolution sexuelle, le racisme, la confusion des valeurs.

La vie leur pose plus d'inquiétantes questions qu'elle ne leur propose de réponses rassurantes. Et lorsque Madeleine, après la mort, accident ou suicide, de Paul dont elle est enceinte, répond : "J'hésite... j'hésite " au policier qui lui demande si elle gardera son enfant elle reflète alors l'angoisse de toute une jeunesse face à son avenir.

Le titre complet du film prétend montrer "15 faits précis" annoncés par des cartons. Faits, plutôt que péripéties. Regarder prend la place de raconter. «Voir le monde, ce serait ça la sagesse», sera-t-il dit aussi, et par «monde» il ne faut plus entendre la totalité originelle de ce qui est. «Monde» veut dire ce qui m'apparaît, ici, maintenant, dans la situation où je me trouve: gens, bouches de métro, façades d'immeubles, voitures, toutes choses capturées par intermittence par les plans muets de Masculin Féminin. Son cinéma engage sa mue sociologique. Il y avait Belmondo, dandy oisif; il y a Léaud, sondeur pour l'IFOP.

Ces 15 faits précis sont aussi utilisés à des fins de commentaire et l'un d'entre eux livre la célébrissime formule qui servira de définition à toute une génération hésitante entre une conscience politisée et l'insouciance : "Les enfants de Marx et du coca cola. Comprenne qui voudra." Un autre dit : "Le philosophe et le cinéaste ont en commun une certaine manière d'être, une certaine vue du monde qui est celle d'une génération". Perce là l'idée de Godard selon laquelle le monde n'est beau que si on arrive à le penser. Le philosophe pense en donnant du sens, le cinéaste pense en donnant une forme. Le but est de présenter la trace de l'effort vers la saisie de ce réel. Il faut faire rendre gorge à la réalité comme le dit Godard à cette époque.

L'expression des sentiments est donc passé à la moulinette des questions: "Et à quoi vous pensez là ?", "Qu'est ce que c'est pour vous le centre du monde ?". Ces deux phrases sont extraites d'un dialogue amoureux entre Paul et Madeleine. Paul est le questionneur du film : il interwieve "Mademoiselle dix neuf ans", il fait son éducation politique auprès de Robert, son ami syndiqué et sonde la population française. Les commentaires qu'il porte sur cette activité peuvent se rapporter au film :

Godard questionne le masculin et le féminin. Puis-je faire confiance à une femme ou est-elle «vraiment une dégueulasse», c'est sa question. Sauf que l'intemporelle dialectique des sexes se dote maintenant de circonstances particulières. Partant d'une autre incrustation proposant un sous-titre au film, Les enfants de Marx et de Coca-Cola, on peut comprendre qu'«enfants de Marx» désigne les hommes , et «enfants de Coca-Cola» les filles. Cette apparente misogynie est en fait une conversion de la catégorie «femme» en type social dont il s'agirait d'observer les mœurs. Observer comment Elisabeth et Madeleine se couchent, habitent ensemble, dansent au Bus Palladium. Se demander, comme un de ces magazines féminins qui à l'époque commencent à capitaliser l'émergence de ces nouveaux sociotypes: «A quoi rêvent les jeunes filles?».

La réponse n'est pas brillante. Quand la fille interrogée n'est pas laconique, quand elle ne ponctue pas d'un «Oui ça a pas l'air drôle» une longue saillie de Paul sur le capitalisme, quand elle ne répond pas «Pas particulièrement» à la question «Avez-vous des idées sur la démocratie ?», elle oppose une pure et simple fin de non-recevoir - «Mais ça ne vous regarde pas!». L'écart serait donc si grand entre le masculin et le féminin? Ici arrive une tristesse. Comme si Godard et Paul réalisaient que le dialogue déjà difficile était en train de se rompre, que les filles étaient parties dans complètement autre chose, emportées par une modernité elle-même hermétique - «Nous ne sommes pas faites pour des types comme vous».

Mais Godard est aussi un maitre de l'auto-critique: "Peu à peu (...) je m'aperçu que toutes ces questions au lieu de refléter une mentalité collective la trahissait et la déformait. A mon manque d'objectivité même inconscient, correspondait en effet la plupart du temps, un inévitable défaut de sincérité chez ceux que j'interrogeais."

La perplexité du cinéaste par rapport aux moyens d'investigation mis en œuvre dans les films est ici évidente. Le constat de Paul est bien celui de Godard quand, juste avant l'interrogatoire où l'on apprend sa mort, il conclura sa confession par ses mots: "La sagesse, ça serait si on pouvait vraiment voir la vie, vraiment voir. Ca serait ça la sagesse."

Distribution

  • Jean-Pierre Léaud : Paul
  • Chantal Goya : Madeleine
  • Marlène Jobert : Élisabeth
  • Michel Debord : Robert
  • Catherine-Isabelle Duport : Catherine-Isabelle
  • Eva-Britt Strandberg : Elle (la femme dans le film)
  • Birger Malmstel : Lui (l'homme dans le film)
  • Yves Afonso : l'homme qui se suicide
  • Henri Attal : l'homme qui embrasse un autre homme
  • Brigitte Bardot : la femme du couple
  • Antoine Bourseiller : L'homme du couple

Fiche technique

  • Titre complet: Masculin féminin:15 faits précis
  • Réalisation : Jean-Luc Godard
  • Scénario : Jean-Luc Godard
  • Production : Anatole Dauman
  • Musique : Jean-Jacques Debout
  • Photographie : Willy Kurant
  • Montage : Agnès Guillemot
  • Pays d'origine : France
  • Format : Noir et blanc
  • Durée : 104 minutes
  • Date de sortie : 22 Mars 1966
  • Film interdit aux moins de 18 ans lors de sa sortie en France.
Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux