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Nos funérailles en rose ( 薔薇の葬列 Bara no Sôretsu, Cortège funèbre de roses) film japonais de Toshio Matsumoto

Analyse critique

Nos funérailles en Rose raconte les aventures d'Eddie, jeune travesti travaillant dans un bar et partagé entre son amour pour un trafiquant de drogue et des visions morbides concernant sa mère. Il/elle fréquente aussi un petit groupe de cinéphiles qui tourne un film d'avant garde, alors que lui même joue pour un docu-fiction sur le monde des gays et travestis. Cette mise en abyme permet au réalisateur de jongler entre la réalité et le film dans le film, d’intercaler des interviews réalistes de gays et travestis avec différentes scènes dans le bar où encore de montrer des manifestations qui ne sont en fait qu'une partie du film que monte Guevara, le chef du petit groupe de cinéphile.

Pour le scénario,Toshio Matsumoto part d’une base solide, celle du mythe d’Œdipe soit une histoire très classique et connue de tous, un homme tue son père et épouse sa mère. Cette tragédie, Matsumoto va la transposer dans un contexte contemporain, le Japon mouvementé de cette fin des années 60. Mais l’histoire en elle-même n’aurait que très peu d’intérêt si Matsumoto n’y posait pas ses folles idées. Ainsi Œdipe devient un travesti, son père le patron d’une boite gay et sa mère une humble coiffeuse. Et puisque le personnage principal change d’apparence en devenant ouvertement une jeune femme, toute l’histoire et sa logique de base se retrouve inversée. Cet Œdipe va incarner le manque de repères d’une génération livrée à elle-même, prisonnière d’une réalité troublée qu’elle s’efforce de transformer à sa manière. Matsumoto explore constamment la frontière entre réel et imaginaire, avec ce film il nous présente l’envers du miroir.

Très abouti visuellement, Funeral Parade of Roses est un choc, une expérience visuelle et cinématographique passionnante. La mise en scène se veut très clairement novatrice, faisant éclater les anciennes règles. Matsumoto en effet, lors de ses études avait été très impressionné par le cinéma néo-réaliste italien et souhaitait appliquer quelques unes de leurs idées à ses documentaires. Son grand problème en effet était de concilier sa passion pour les documentaires, pour la réalité et le sociologique et son autre très forte volonté de bouleverser la forme cinématographique. On ne peut en effet passer sous silence la lente maturation de ce réalisateur rare, qui fit parti de nombreux groupes d'expérimentation artistique, qui dirigea une revue sur le film documentaire et réalisa de nombreux courts.

Le film est une mosaïque dont les scènes ne respectent pas le chronologie, se recoupent , jouent avec la réalités que l'on quitte sans s'en apercevoir pour atterrir dans un docu-porno que tourne le protagoniste. Puis on voit le clap du réalisateur et on comprend qu'il ne faut pas lier cette scène à la précédente, mais la garder en réserve pour plus tard. C'est un tableau pointilliste qu'il faut regarder avec du recul pour en saisir le sens et la beauté. Matsumoto ne se prive pas non plus de perdre le spectateur, de le surprendre avec des jeux de miroir (les drag-queens se maquillent souvent, c'est face à un miroir que se noue et se résout le drame..) ; il alterne aussi les genres, passant du burlesque au comique, du cinéma muet avec ses encarts à la superposition d'images ultra rapide, sans oublier la célèbre scène ayant inspiré Kubrick pour Orange mécanique quand le trafiquant de drogue, apprenant la présence de la police range compulsivement (filmé en accéléré) et sur un air classique ses sachets.

Le film jongle autour de thèmes très différents. Le quartier de Shinjiku sert de catalyseur à l'évocation du milieu underground, avec ses travestis, ses mafieux, ses dealers et ses bars sulfureux, mais aussi à l'évocation de la dislocation de la jeunesse japonaise, à la destruction de la famille, à travers l'exemple d'Eddie (qui tue sa mère et dont le père se suicide après avoir couché avec lui), et de la mort qu'il ressent de façon vaporeuse, sous forme d'hallucinations, de souvenirs traumatiques de son passé.

Depuis le début des années 60, Toshio Matsumoto s’intéresse à faire concilier art et cinéma au travers de ses courts films expérimentaux, véritables travaux visuellement incroyables. On peut y croiser une Mona Lisa perdue en plein trip sous acide aussi bien qu’un démon japonais vert errant dans une forêt rouge. Avec ces expériences irréalistes, le réalisateur s’interroge sur l’image et son fonctionnement, faisant preuve d’une grande imagination où symboles, couleurs et sonorités s’entrecroisent sans chercher à trouver une quelconque cohérence, il explose une approche conventionnelle.

Choisir le mythe d’Œdipe comme base du film, ce n’est pas seulement vouloir réactualiser l’histoire en la modernisant dans sa forme, c’est aussi partir d’un récit symbolique reflétant plutôt bien l’état de cette société moderne. On peut voir ce mythe comme l’histoire parfaite d’inpividus aveuglés par leur ignorance, source de la tragédie, qui s’engagent dans des situations sans les connaître, sans en mesurer les éventuelles conséquences. Au niveau du Japon moderne, la présence renouvelée de troupes américaines dans le pays provoque une vive contestation de la part d’une jeunesse qui essaye de trouver des repères. Et quand des adultes protestent à leur façon dans la rue, ils sont regardés comme des bêtes de foire, étranges et incompris, ils ne sont qu’une attraction de la rue devant laquelle les passants s’arrêtent quelques secondes par curiosité, mais c’est tout, la valeur symbolique n’existe pas. C’est la victoire de l’ignorance et de l’indifférence dans une société qui semble refuser de considérer ses cicatrices, dont certaines peinent à se refermer. Cette jeunesse sans passé est aussi sans illusion quant à son avenir, il ne lui reste plus qu’à tenter de savourer son présent dans l’insouciance, la joie et la bonne humeur.

Eddie, le jeune personnage principal travesti, est une icône de la contradiction des envies de cette jeunesse. D’un côté, c’est un jeune homme sans vie et sans origine, de l’autre, une jeune femme resplendissante demandée par tous les hommes. Et malgré sa beauté, Eddie ne cesse de se poser des questions sur lui-même, il n’arrête pas de se regarder dans un miroir comme s’il cherchait à voir son véritable lui. Le miroir est d’ailleurs une figure récurrente du film, il renvoi l’image inversée des décors et des inpidus, il montre une autre facette de la réalité. C’est pourquoi Eddie se regarde régulièrement avec insistance. Alors qu’il est censé affirmer son être intérieur, en devenant ce qu’il ressent, une jeune femme, il éprouve toujours la volonté de s’affirmer une nouvelle fois. Quelque part, devenir une femme n’est peut-être pas suffisant, c’est peut-être un déni de la réalité inconsciemment orchestré par son esprit.

Toshio Matsumoto s’emploie à déconstruire son récit, à le faire exploser pour bien souligner l’éclatement des repères de la société. Il insère selon les moments des débuts ou des fins de séquences, il vient toujours donner la suite ou la fin de la séquence un peu plus tard, tout comme un puzzle qui trouve forme au fur et à mesure. Mais à cette idée, il se permet d’insérer de temps en temps des images ou des courtes scènes qui sortent de nulle part et brisent le rythme ou l’ambiance d’un passage, un peu comme si cette soudaine apparition venait provoquer l’histoire et sa compréhension, manière d’appeler à notre doute et à notre incompréhension. À cela, le réalisateur se permet aussi de traduire concrètement la différence entre réalité et film.

En pleine scène d’amour, on pourra entendre un ‘coupez’ et du visage en extase d’un acteur nous passons à un plan d’ensemble. Il s’agit d’une véritable mise en abyme puisqu’à la façon d’un documentaire, une caméra filme l’équipe, y compris Matsumoto, dans cette entre-scène.On peut voir les acteurs se relâcher et discuter rapidement entre eux pendant que le réalisateur parle avec un acteur et que les assistants se reposent. L’idée est simple et s’oppose parfaitement à l’obsession du miroir. Matsumoto brise le reflet pour dévoiler l’envers du décor, cette réalité que nous ne sommes pas, en tant que spectateur, censés connaître. Il ne s’arrête pas là, assez régulièrement nous pourrons voir l’un des acteurs du film se faire interviewer par Matsumoto, la caméra est rivée vers l’acteur seul qui nous fait face et peut s’exprimer en dehors de son rôle.

Le réalisateur cherche à savoir ce que peuvent penser les comédiens vis-à-vis de leurs rôles, et d’ailleurs il va obtenir des informations intéressantes avec Peter, l’acteur principal, qui lui avoue adorer ce rôle et se sentir très proche, mis à part sur la question de l’inceste. En plus d’intégrer l’acteur directement dans son film, il instaure un certain réalisme dans son propos puisqu’il filme un milieu gay dont la vision est approuvée par Peter, un habitué de ce genre d’endroit. Matsumoto prend volontairement une distance vis-à-vis de l’histoire d’une jeunesse qui ne sait justement pas ou plus faire de différence entre la réalité et les apparences ou autre idées imaginaires.

Distribution

  • Peter : Eddie
  • Osamu Ogasawara : Leda
  • Toyosaburo Uchiyama : Guevera
  • Don Madrid : Tony
  • Emiko Azuma : Eddie's Mother
  • Yoshio Tsuchiya : Gonda
  • Koichi Nakamura : Juju
  • Chieko Kobayashi : Okei

Fiche technique

  • Titre original : 薔薇の葬列 Bara no Sôretsu, ( Cortège funèbre de roses)
  • Réalisation et scénario :Toshio Matsumoto
  • Musique originale : Jôji Yuasa
  • Image : Tatsuo Suzuki
  • Montage : Toshie Iwasa
  • Durée : 107 mn
  • Date de sortie : 13 septembre 1969

Bande annonce

Reproduction possible des textes sans altération, ni usage commercial avec mention de l'origine. .88x31.png Credit auteur : Ann.Ledoux