Baal (1970)

De Cinéann.

Baal , téléfilm allemand de Volker Schlöndorff, diffusé en 1970, d'après une pièce de théâtre de Bertolt Brecht

Analyse critique

Baal est la première pièce de théâtre du dramaturge allemand Bertolt Brecht, écrite en 1919. Pièce de jeunesse, elle sera modifiée à plusieurs reprises par son auteur jusqu'en 1954.

Schlöndorff tourne Baal pour la télévision, en 1969,

Ce télefilm, comme la pièce, est pleine de réminiscences d'Arthur Rimbaud, elle raconte la vie dénuée de sens d'un jeune poète maudit, Baal, brûlant la vie par tous les bouts et la noyant dans le schnaps; cherchant à combler un vide existentiel, il se nourrit de sexe et de poésie. La pièce le dépeint comme un personnage bestial, taciturne et provocateur.

La première scène montre Baal dans une réception mondaine, poète admiré et célébré qui va transformer l'hommage bourgeois en scandale. Dans le film, la première scène est une longue errance dans la nature, où Fassbinder s'en va les poings dans ses poches crevées en célébrant avec Brecht le ciel «très grand, calme et si pâle/Et jeune et nu et formidablement étrange».

Le film est divisé en 24 chapitres, de longueurs très inégales, et délimités nettement par des numéros blancs sur fond coloré. Il est filmé, caméra à l'épaule, en son direct. Y compris par exemple un fond sonore, créé par un joueur d'harmonica, que l'on voit par intermittence à l'écran. La plus grande partie du dialogue original en allemand est en vers, et il faut rendre hommage à Bernard Mangiante, auteur des sous-titres, et qui a fait un très beau travail sur le rythme et la musicalité du texte.

Les acteurs sont tous remarquables, Schlöndorff réunit les étoiles montantes du nouveau cinéma allemand, Margarethe von Trotta, Hannah Schygulla, qui malgré un tout petit rôle, se met en valeur, et, dans le rôle-titre, un Rainer Werner Fassbinder de 24 ans, dévorateur, provocateur, destructeur, qui sait qu'il mourra jeune et qu'il faut se hâter de parcourir le monde et de le renverser cul par-dessus tête. Sa chair déjà trop blême, son corps déjà trop lourd, ne cherchent pas à séduire, mais à s'enivrer de jouissance et de mépris.

«À quel point Rainer Werner Fassbinder était fait pour ce rôle, je m'en rendis compte un peu mieux chaque jour, raconte Schlöndorff. Devant la caméra, Baal humiliait la femme de son mécène, il réduisait en esclavage une maîtresse mineure, poussait vers la mort son jeune admirateur, rejetait son amie enceinte et finissait par crever d'épuisement dans la forêt.»

Certes, les frasques de ce débauché lyrique sont loin d'être toujours ragoûtantes, ne sont pas faites pour ça. Mais le cinéma fait sortir Baal de son cadre théâtral pour le remettre dans son courant poétique profond. On sait que Brecht a puisé chez Villon, chez Rabelais. Le distributeur français (Les films du Losange) a eu l'excellente idée, en sortant une version restaurée de ce film inédit en France (et longtemps bloqué par les ayant-droits en Allemagne), de commander des sous-titres à Bernard Mangiante, collaborateur notamment de Michael Haneke, qui a fait un très beau travail sur le rythme et la musicalité du texte.

Ce drame de Brecht adapté en film par Schlöndorff fit scandale dans l’Allemagne des années 70, au point d'être interdit. C'est une mini-tornade qui s'abat sur la Bavière, en janvier 1970 : sur la troisième chaîne de la télévision régionale – bien avant que n'existent le câble et le satellite – un drôle de téléfilm fait l'apologie d'un poète fauteur de troubles, ivrogne, trousseur de jupons, bisexuel. Une espèce d'ogre juvénile, visage rond et présence insistante, est son interprète – raccord avec le personnage. Les téléspectateurs bavarois fulminent, téléphonent à la chaîne, écrivent que cet acteur grassouillet, le dénommé Fassbinder, doit être pendu sur le champ...

La diffusion de Baal, de Volker Schlöndorff, d'après Bertolt Brecht, avec, effectivement, dans le rôle titre, Rainer Werner Fassbinder, 24 ans, trouble au-delà de la bourgeoise RFA. Un peu plus à l'Est... « C'est l'écrivain Thomas Brasch, qui me l'a raconté bien plus tard, après son départ de la RDA, se souvient Schlöndorff. L'ensemble du Berliner Ensemble (le théâtre fondé par Bertold Brecht en 1949 pour accueillir sa troupe, ndrl), y compris Helene Weigel, la veuve de Brecht, s'était réuni ce soir-là dans le “Bureau de la Dramaturgie” pour regarder la télévision ouest-allemande. Au bout d'une demi-heure, Helen Weigel est sortie furieuse : “Il ne suffit pas de se mettre une clope au bec et de porter un blouson de cuir pour faire croire qu'on est Brecht...” Mais jamais nous n'avions pensé que Baal était Brecht, et le blouson, c'était celui de Fassbinder, qu'il allait porter dans quasiment tous ses films ! » Helene Weigel est inflexible : jamais ce Baal ne sera rediffusé, ni ne sortira dans les salles de cinéma...

Quarante-cinq ans plus tard, sa fille, Barbara Schall, 84 ans, a finalement cédé aux demandes répétées de Juliane Lorenz, l'ayant droit de Fassbinder. Et l'on peut enfin découvrir, dans les salles de cinéma depuis mercredi 26 novembre 2014, un film singulier, au moins autant que la pièce de jeunesse qui l'inspire, parcours chapitré d'un trublion rimbaldien – « villonnesque », plutôt, chuchote Volker Schlöndorff.

Le cinéaste avait 30 ans au moment du tournage, il en a 75 aujourd'hui, toujours en forme, merci, parlant français avec une pointe d'accent indéfinissable – on sait qu'il a passé une partie de sa jeunesse en France – qui lui donnerait presque la voix de Jean-Luc Godard. Il est ravi que surgisse cette pépite du passé. A l'époque, justement, il venait de subir le contrecoup de l'échec de son troisième film, coproduction internationale assez lourde, une adaptation de Michael Kohlhaas, de Kleist (le même texte qui a récemment inspiré Arnaud Des Palières). « Je voulais perfectionner ma direction d'acteurs, pourquoi pas alors repartir au théâtre ? Je voulais monter Léonce ou Lena, de Buchner ou Baal. Mais aucun théâtre n'a voulu de moi, alors je me suis tourné vers la télévision. »

Justement, à Munich on commence à parler un peu d'une troupe singulière, l'Antithéâtre, porté par un leader fantasque et autoritaire, Rainer Werner Fassbinder. « Franchement, il n'était pas encore connu, moi-même je j'avais rien vu de ses travaux sur scène. Mais je cherchais un Baal alors j'y suis allé. C'était une soirée où il enchaînait sa pièce, Preparadise sorry now, et la projection d'équipe de son premier long-métrage L'Amour est plus froid que la mort. Je lui ai proposé le rôle, il a accepté. Il m'a dit qu'il connaissait la pièce mais ce n'était pas vrai. Il m'a présenté sa troupe, au sein de laquelle se trouvait déjà Hanna Schygulla. Il avait besoin d'argent, et il voulait que tout le monde participe au tournage parce son but était de réussir dans le cinéma, et il considérait que Baal serait un excellent apprentissage pour la suite. »

Distribution

Fiche technique

  • Réalisation : Volker Schlöndorff
  • Scénario : Volker Schlöndorff d'après Bertolt Brecht, pièce de théâtre homonyme, publiée en 1919
  • Musique : Klaus Doldinger
  • Image : Dietrich Lohmann
  • Montage : Peter Ettengruber
  • Durée : 87 minutes
  • Date de diffusion : 7 janvier 1970
  • Date de sortie en salles de cinéma et en DVD : 2014
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