Barbara, 2017

De Cinéann.


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Barbara , film français de Mathieu Amalric, sorti en 2017

Analyse critique

Une actrice va jouer Barbara, le tournage va commencer bientôt. Elle surgit, star avec garde rapprochée, qui revient de l’étranger. Elle s’appelle Brigitte, elle doit jouer la longue dame brune sous la direction d’un cinéaste roux, veste en tweed, un brin timide, transi d’admiration. Elle travaille son personnage, la voix, les chansons, les partitions, les gestes, mais aussi le tricot. Elle apprend les scènes, le film va, avance, l'admiration grandit, de l'actrice pour Barbara, du réalisateur pour Barbara, du réalisateur pour l'actrice, ça l’envahit même. Le réalisateur aussi travaille, par ses rencontres, par les archives, la musique, il se laisse submerger, envahir comme elle, par elle.

L'idée initiale du projet est de Pierre Léon, un autre cinéaste, avec lequel Balibar a travaillé. Le projet avorte faute de fonds, mais rebondit lorsque le producteur Pierre Godeau, travaillant sur un projet similaire, appelle l'actrice pour lui confier le rôle. Restée en bons termes avec son ex-compagnon, Balibar avertit Amalric, qui aussitôt le récupère. Ou plutôt s'en empare pour en faire un portrait multiple. Celui de la chanteuse, celui de l'actrice.

Leurs identités peuvent se confondre, il n'y a que deux lettres de différence entre leurs noms, et leurs parcours se répondent : Barbara s'est laissée tenter par la comédie le temps de trois films dont le surprenant Franz réalisé par Jacques Brel en 1971; Balibar s'est aventurée sur le terrain de la chanson (deux albums : « Paramour » et « Slalom Dame »). Leurs silhouettes, physiques comme intellectuelles, peuvent tout autant être mises en surimpression. Deux femmes brunes, longues mais aussi deux incarnations d'une féminité moderne et libérée.

De son propre aveu au dernier festival de Cannes, où le film inaugurait la section « Un certain regard », Mathieu Amalric afirmait que son optique n'avait jamais été de faire de Barbara un "biopic", mais bien plus une étude du fétichisme. A fortiori amoureux, quand lui aussi y possède son double. Amalric dans l'ombre derrière la caméra, et un peu dans la lumière en jouant Yves Zand, le personnage réalisateur du film dans le film qui porte le nom de la mère du réalisateur dans la vie. Sur le papier, Barbara avait l'intention de faire revenir la chanteuse, Amalric a sans doute eu aussi envie de faire revenir Balibar. L'art du biopic est bien celui de vouloir réincarner des légendes, et Amalric en profite pour raviver celle d'une actrice contemporaine, et par la même de son couple passé, mais dont il reste des traces certaines.

Barbara est donc constitué de variations sur le même thème, celui de l'amour éperdu, puisqu'on y voit aussi bien des fans en pâmoison devant la chanteuse qu'Amalric devant Balibar. Barbara est connue pour ne jamais s'être encombrée des conventions, Amalric s'en passe tout aussi bien pour ce film, abandonne l'idée de continuité quand il passe sans problème d'une image documentaire de la chanteuse face à son public à une autre, fictionnelle, reconstituée, de la même séquence, mais avec l'actrice en train de la jouer. La ressemblance physique a été accentuée par le port d'une prothèse de nez pour Balibar. Une autre séquence voit l'authentique Barbara signer des autographes avant que ne s'y substitue un Yves Zand plus que jamais transi devant son actrice, qui lui tend une photo. Celle-ci lui demande alors s'il est en train de faire un film sur Barbara ou sur lui. La réponse est sans équivoque des deux côtés de l'écran : « C'est la même chose ».

Il n'y a aucun récit linéaire sur les épisodes clés de l’existence de la chanteuse, ce film est l'antithèse de La Môme , l'excellente biographie d'Edith Piaf par Olivier Dahan. Ce n’est pas la biographie qui intéresse le réalisateur, mais l’esprit de la chanteuse, ses vertiges, ses sensations, ses émotions, qui déteignent si bien sur nous lorsqu’on l’écoute. Trois documents précieux lui servent de fil conducteur. L’un est le livre culte de Jacques Tournier, publié en 1968, Barbara ou les parenthèses. L’autre est le documentaire de Gérard Vergez réalisé durant la tournée de 1972, où l’on voit Barbara en voiture, côté passager, en train de tricoter, de divaguer ou de roucouler. Amalric refait jouer ces séquences par Jeanne Balibar. C’est si bien fait qu’on ne sait plus très bien laquelle est vraie, laquelle est fausse. Et enfin le livre, Il était un piano noir, que Barbara a commencé un an avant de disparaître, le laissant inachevé mais suffisamment avancé pour y évoquer la terreur, enfant, qu’elle avait de son père et de l’inceste dont elle était victime.

Amalric s’amuse à composer, à improviser autour des gestes, des rites, des accessoires, lunettes noires, piano, boa. Il montre comment a pu naître telle chanson (Je ne sais pas dire), comment la chanteuse de Nantes se préparait, répétait, habitait la scène bien avant ses concerts, comment elle envoûtait tous ceux qui l’entouraient. Tout est vrai dans les éléments biographiques énoncés, mais Amalric procède par allusions ou révélations fugitives: son enfance de petite fille juive, la guerre, le père incestueux, la mère envahissante. Il dit énormément, mais en allant vite, en glissant, pour ne pas rompre le charme.

La Barbara fantasque, accro aux médicaments, croqueuse d’hommes, capricieuse, tendre, autoritaire, drôle, dyslexique, affectionnant le cirque, les gens du voyage, mais aussi visitant les prisons et les malades du Sida, tout est bien là. Orné, fantasmé, comme dans un rêve éveillé. Comme dans cette séquence splendide, de nuit, où Barbara, qui n’a pas le permis, tient le volant du jeune chauffeur, son amant musicien, qui s’est endormi, et roule ainsi un bon moment.

« Enivré par la présence brûlante de la chanteuse, par la grâce de sa voix, autant que par le magnétisme de son actrice, le cinéaste brouille les pistes avec une maestria pleine d’audace. Par cette critique du biopic, de la dépossession inhérente au principe d’imitation qui le fonde, Amalric réaffirme la vision moderne du cinéma dont il est héritier, celle d’un art du présent pur, né de la rencontre entre un désir de filmer et une présence désirée. »
Isabelle Régnier, Le Monde, 18 mai 2017

Distribution

Fiche technique

  • Réalisation et scénario : Mathieu Amalric
  • Photographie : Christophe Beaucarne
  • Montage : François Gédigier
  • Production : Patrick Godeau
  • Sociétés de production : Waiting for Cinéma et Alicéleo ; Gaumont et France 2 Cinéma (coproductions)
  • Durée : 97 minutes
  • Dates de sortie : 18 mai 2017 (Festival de Cannes 2017) ; Prix Un certain regard , Prix pour la poésie du cinéma
    • 6 septembre 2017 (sortie nationale)
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