C'est Gradiva qui vous appelle

De Cinéann.

Gradiva (C'est Gradiva qui vous appelle) : film franco-belge réalisé par Alain Robbe-Grillet, sorti en 2006.

Sommaire

Analyse critique

Un jeune critique d’art anglais, John Locke, se passionne pour la peinture orientaliste et en particulier pour le thème de la femme comme objet : objet d’art, objet érotique, objet d’amour fou, donc en même temps la jeune esclave que l’on punit cruellement par plaisir, et l’inaccessible déesse dont on ose à peine s’approcher.

Il vient de s’installer dans un palais en ruine de l’Atlas marocain, sur les traces de Delacroix, qui est à la fois le sujet de ses études et le support de ses fantasmes. Guidé par un faux aveugle, il tombe entre les griffes d’un faussaire, Anatoli, qui dirige en sous-main un cabaret clandestin pour spectacles turco-sadiques.

Sous prétexte de lui procurer de véritables croquis exécutés par Delacroix au Maroc, Anatoli entraîne John dans un piège où il va lui faire endosser le crime sexuel commis par un autre. Parmi les jolies personnes qui sont l’ornement du cabaret, il y a Claudine, la nouvelle maîtresse d’Anatoli, qui va lui servir d’appât. Mais il y a surtout Hermione, dont la présence fuyante, énigmatique, contradictoire, hante toute l’intrigue.

Ce que John ne voit pas, c’est que sa jolie petite servante, Belkis, avec qui il passe ses nuits dans une évidente réciprocité sensuelle, l’aime d’amour sans l’avouer. Et lui, perdu dans ses rêves aime Belkis sans le savoir, et sans comprendre qu’il l’entraîne vers une fin tragique.

Robbe-Grillet persévère dans le registre du surréalisme à base d'anachronismes, de femmes mystérieuses et de jeu sur les apparences. Par exemple, un aveugle mendiant se retrouve quelques scènes plus tard en taxi flic. Le jeu de pistes s'apparente plus ou moins aux jeux de rôles où ce qui semble être n'est pas. Virtuose de l'ambiguïté, Robbe-Grillet démontre qu'il est capable de donner l'illusion du sens là où il n'y en a plus aucun, de faire passer une tautologie pour un discours subversif. Iconoclaste et aigu, le cinéaste suit les rêveries anxieuses d'un homme solitaire qui fluctue entre réel discutable et dérives imprévisibles. Entre lignes de fuite et brusques décalages, la fiction entraîne dans un univers du court-circuit où tout est possible.

Il faut voir Arielle Dombasle se balader dans les rues marocaines vêtue de blanc, courir avec un cheval en pleine nuit et clamer qu'elle n'est qu'une actrice de rêve pour capter le tourbillon recherché par cet objet doucereusement illogique. En évitant les mouvements de caméra inutilement tarabiscotés; en peignant sur la pellicule des tableaux faussement inertes; en fonctionnant sur la répétition, le dialogue de sourd et le sentiment de déjà-vu; Robbe-Grillet réalise un film libre à base de déambulation hypnotique et d'inquiétude intérieure. Ce jeu de séduction chatoyant, hanté par la présence maquisarde du mal, parcouru par un bruit qui rend fou, autopsie les glissements progressifs du plaisir et s'amuse dangereusement avec le feu à une heure de standardisation extrême.

Ce dernier long-métrage d’Alain Robbe-Grillet réutilise les mêmes fantasmes qui ont parcouru toute l’œuvre de l’auteur. Sont présents les tortures raffinées, l'orientalisme, la structure labyrinthique et le Club du Triangle d’Or. Par ce côté obsessionnel, le film est paradoxalement rassurant. Peu importe que les sévices imaginés par Robbe-Grillet n’aient guère évolués avec les années, puisque les fantasmes de l’écrivain restent parmi les plus savoureux qui soient. Il y a dans ce film une maîtrise rare de l’équilibre entre narration cérébrale et lacérations charnelles. Au dessus de tout, trône un humour tout particulier au sein duquel les faux aveugles sont les guides les plus sûrs.

Ni continuation, encore moins illustration de ses “nouveaux romans”, son cinéma met à l’avant-plan la matière sensorielle, auditive et visuelle, du fantasme érotique, ordinairement enfoui sous la part d’abstraction propre au texte littéraire, et Gradiva se regarde alors non seulement comme la partie cachée, mais surtout paradoxalement chaude de l’iceberg Robbe-Grillet. Son abstraction réflexive, son avant-gardisme radical sont littéralement contredits par ce film kitsch à souhait, au romantisme échevelé, à la théâtralité outrancière, à l’érotomanie démodée.

Distribution

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Fiche technique


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Gradiva, le roman

Gradiva est un roman publié en 1903 par l'écrivain allemand Wilhelm Jensen, qui connut une grande postérité au sein de la culture européenne, particulièrement auprès des surréalistes.

Le roman raconte l'histoire de l'archéologue Norbert Hanold, qui tombe en adoration devant un bas-relief du Musée National d'Archéologie de Naples. Il délaisse sa vie par obsession de celle qu'il nomme "Gradiva" (du latin, "Celle qui s'avance", féminisation de Gradivus, surnom du dieu Mars), la femme représentée sur la sculpture. La nuit suivante, il rêve qu'il voyage dans le temps et rencontre la jeune fille marchant à travers Pompei tandis que le Vésuve est en éruption en 79 après JC.

En 1907, Freud inaugure la série des appropriations intellectuelles de cette œuvre, en publiant Der Wahn und die Träume in W. Jensens Gradiva (Délires et rêves dans la "Gradiva" de Jensen), texte pionnier pour les études psychanalytiques de la littérature.

Salvador Dalí utilisa l'image de Gradiva notamment dans Gradiva trouve les ruines de Antropomorphos.
André Masson lui a consacré une peinture.
Le surréaliste André Breton fonda une galerie du nom de Gradiva.

Roland Barthes a consacré à Gradiva un chapitre de ses Fragments d'un discours amoureux (1977).

En 1986, Michel Leiris et Jean Jamin fondèrent une revue d'anthropologie du nom de Gradhiva (l'ajout d'un "h" est une modification volontaire) ; cette revue est aujourd'hui la revue savante du Musée du quai Branly, à Paris.

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