Deep End

De Cinéann.

Deep End, film britannique de Jerzy Skolimowski, sorti en 1970

Analyse critique

Mike vient de sortir du collège et trouve un emploi dans un établissement de bains londonien. Susan, son homologue féminin, arrondit ses fins de mois en proposant ses charmes à la clientèle masculine. Amoureux jaloux de la jeune femme, Mike devient encombrant. Susan , consciente de son attirance va en profiter le mener loin dans ses obsessions. Le réalisateur filme cette histoire à la manière d’un poème rock. Il suit en permanence le personnage de Mike, jeune, naïf obsédé par cette belle rousse qui n’aura de cesse de le manipuler. C’est ainsi qu’il montre la manière dont il apprendra la vie.

La force de ce film réside dans ce portrait onirique, mais aussi quelquefois très cynique de ce jeune post-adolescent naïf et romantique, qui traine comme un poids le malheur d'être trop sensible, trop timide, trop candide dans un univers marchand, où tout s'achète, même les sentiments. Les questions qui le hantent sont celles que tout le monde s'est déjà posé, sans nécessairement trouver les réponses. L'esthétique visuelle de ce film évoque celle d'un peintre, créant une palette aux couleurs tantôt vives tantôt délavées, et qui interroge tout ce que peut le cinéma en matière de raccords impossibles, de corps à corps fantasmés, d'expédition sensuelle sans craindre le burlesque ni les trous noirs. Pourtant, au milieu de cet océan de gris, le réalisateur injecte quelques tonalités de couleurs assez surprenantes. Jouant parfois les tons sur tons qui donnent à certains plans un vrai sens de l’absurde, des cheveux roux sur un mur orange, le pull vert de la caissière sur l’encadrement d’une fenêtre de la même couleur, le réalisateur injecte par fulgurances de violentes tonalités rouges, annonciatrices du drame à venir, accentuant le décalage entre l’impétuosité des sentiments de l’adolescent et un environnement qui ne les comprend pas.

Si cette relation et la violence des sentiments naissants sont le nerf central du film, le jeune Mike, à l’instar des personnages principaux des autres films de Skolimowski, est le témoin, sinon l’acteur par défaut , d’un petit théâtre de l’absurde où le discours social est toujours emprunt d’un étonnant sens du grotesque. Les bains publics, cet antre d’un désir nouveau pour l’adolescent, ressemblent davantage à une maison close de fortune où les personnages se disputent la palme du ridicule dans l’expression de leurs fantasmes. Les corps sont instrumentalisés, les personnages ne se posent plus d’interdits et s’abandonnent à leur lubricité la plus primitive.

Loin d’un Londres de carte postale, on croise seulement deux touristes cherchant Picadilly, le réalisateur filme la capitale britannique comme une de ces villes communistes qu’il a longuement fréquentées, assemblage de grands espaces froids et déshumanisés. Tourné en couleurs mais en plein hiver, le film semble avoir déteint, privilégiant ainsi les tonalités d’un gris froid comme la mort, comme si la solitude clairement affichée de chaque personnage empêchait toute échappée sentimentale. Il souffle sur le film un vent de fraicheur poétique et en même temps désespéré de l’adolescence. Skolimowski a tout compris à cette période de la vie troublée, pendant laquelle on cherche une identité et une personne avec qui la partager. C’est ce qui arrive à Mike qui est tombé sur la mauvaise personne et cela le mènera loin, d’autant plus que l’action ne se situe pas forcément dans un Londres bien pensant et bien rangé, mais dans un Londres de la marge, personnage à part entière du film, comme un rêve éveillé où les fantasmes, bons et mauvais peuvent vite prendre vie.

Les deux comédiens, Jane Asher et John Moulder-Brown incarnent tous deux à la perfection cette période de la vie. Ils sont bouleversants et hypnotiques. Skolimowski les filme de manière naturelle mais aussi très sensuelle. Accompagné et même hypnotisé par la musique rock de Cat Stevens, le spectateur atteint la fin du film, tragique et sublime, et ne peut que sortir ému et bouleversé par le souvenir de sa rage adolescente. Les tourments auquel condamne cet amour fétichiste de Mike pour sa collègue, jeux avec les objets, miroir, collants, photos qui cristallisent un désir sexuel voué à rester frustré sont également relayés par le rythme de montage du film. Ne lésinant jamais sur les coupes dans le plan, les faux-raccords qui accentuent l’impression laissée par les décadrages, privilégiant un son brut où chaque choc semble résonner à l’infini, Skolimowski construit un environnement relativement hostile où chaque témoignage amoureux charrie son lot de fracas et de blessures physiques, psychologiques, jusqu’à ce final d’une désespérante beauté où, d’un coup, l’excès d’un désir mal maîtrisé ne semble plus avoir que la mort pour seule issue. C'est l'un des plus beaux films sur les amours adolescentes, perdues au fond de la piscine, noyées dans un bassin vide.

Distribution

  • John Moulder-Brown : Mike
  • Jane Asher : Susan
  • Karl Michael Vogler : l'instructeur de natation
  • Christopher Sandford : le fiancé
  • Louise Martini : la prostituée
  • Erica Beer : la caissière des bains
  • Anne-Marie Kuster : la réceptionniste du Nightclub
  • Dieter Eppler : Stoker
  • Diana Dors : la cliente
  • Karl Ludwig Lindt : le directeur des bains
  • Eduard Linkers : le propriétaire du cinéma

Fiche technique

  • Titre : Deep End
  • Réalisation : Jerzy Skolimowski
  • Scénario : Jerzy Skolimowski, Jerzy Gruza et Boleslaw Sulik
  • Production : Helmut Jedele
  • Photographie : Charly Steinberger
  • Montage : Barrie Vince
  • Pays d'origine : Pologne, Royaume-Uni, Allemagne
  • Durée : 95 minutes
  • Dates de sortie : 1er septembre 1970 à la Mostra de Venise
    • 15 décembre 1971 (France)
    • Nouvelle sortie France : juillet 2011


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