Everybody Knows

De Cinéann.

Everybody Knows , film espagnol (aussi français et italien) de Asghar Farhadi, sorti en 2018

Analyse critique

Lors d’un mariage, des retrouvailles familiales tournent au drame.

Les premières images du film d’Asghar Farhadi évoquent un clocher mythique du cinéma : celui de Vertigo, où Madeleine trouvait la mort. Comme dans le chef-d’œuvre de Hitchcock, le romantisme est ici indissociable du crime. Un clocher envahi par la poussière, où des colombes volent dans la charpente. Sur les murs, des initiales gravées maladroitement dans la pierre, à la manière des adolescents persuadés d’avoir trouvé l’amour de leur vie. Dans la séquence suivante, une main gantée feuillette-t-elle des coupures de presse consacrées à un fait divers sordide.

Ce prologue entièrement muet installe un mystère, une angoisse latente alors même que les héros d’Everybody knows se préparent à faire la fête. Laura revient dans son village natal en Espagne pour le mariage de sa sœur. Elle a fait le voyage avec ses deux enfants mais sans son mari, Alejandro, resté à Buenos Aires pour le travail. Les retrouvailles avec la famille et Paco, l’ami de jeunesse (et peut-être bien davantage), sont chaleureuses. Quelques conversations en apparence banales, quelques échanges de regards suffisent à Farhadi pour suggérer les liens entre les nombreux personnages. Il filme avec fluidité l’impressionnante séquence du mariage, où la caméra, toujours en mouvement, magnifie les corps des danseurs, leurs rires et leurs chants, comme si ce moment de bonheur ne devait jamais cesser. Un drame terrible va toutefois plomber la soirée.

Farhadi a tourné pour la deuxième fois hors d’Iran (cinq ans après Le Passé, réalisé en France), et reste fidèle à son univers. Il montre comment un événement imprévu peut révéler à chacun ses failles intimes. Et comment, en de telles circonstances, les non-dits, les secrets trop longtemps cachés précipitent la crise au sein de couples déjà désunis. Il y a aussi un fort suspense qui repose sur une importante somme d’argent à réunir en quelques heures. Farhadi réussit au passage de grands moments de cinéma. Comme cette dispute désespérée entre Paco et sa compagne avec, en arrière-plan, le vignoble pour lequel ils se sont tant battus et qu’ils risquent bientôt de perdre.

Le cinéaste confirme qu’il est un formidable directeur d’acteurs, malgré la barrière de la langue. Le casting réunit le gratin du cinéma espagnol, jusque dans les seconds rôles.

Asghar Farhadi déclare :
Les cultures ne sont pas forcément en opposition entre elles, ce n’est pas parce que cette histoire est espagnole qu’elle n’a rien d’iranien. Quand je viens faire un film en Espagne, c’est moi qui le fais, avec ma sensibilité, mon esprit, mes préoccupations et ma façon de faire. Il m’a semblé que les Iraniens et les Espagnols étaient très proches sur le plan des émotions, des relations. En Iran, plus encore que le respect, la réputation est importante, votre image sociale ne doit jamais être entachée puisque c’est votre capital principal. Je ne le valorise pas, mais c’est un fait.
Mon propos, c’est d’approcher une situation avec autant de points de vue possibles pour permettre au spectateur, lui, de choisir celui qui est le sien, dans un ­rapport d’empathie avec le personnage. J’ai un point de vue, ce serait facile pour moi de l’exposer, voire de l’imposer. C’est ce que le cinéma fait beaucoup. Si je me retiens de le faire, c’est pour laisser la possibilité au spectateur d’être actif. La limite du dispositif serait que lui aussi reste témoin et ne prenne pas parti. Je joue avec cela, engageant le spectateur à se mettre à la place des protagonistes sans l’influencer sur ce qu’il doit penser d’eux.
Je pense que même si j’étais un cinéaste suisse, je travaillerais de la même manière. Mais je viens d’une culture où toute la langue a été fondée par un poète qui s’appelait ­Ferdowsi. Dans l’épopée qu’il a écrite au Xe siècle s’affrontent deux héros. Lorsqu’il les décrit, il n’y en a pas un dont il fait l’éloge plus que l’autre. Les deux sont montrés dans toute leur complexité.
Le fait qu’il soit sélectionné à Cannes suscite l’intérêt et la bienveillance du public, même s’il y a une petite minorité pour qui les gens comme moi, les artistes, sont d’emblée à combattre, et là, peu importe que l’on tourne en Espagne ou en Iran, c’est perdu d’avance. Quant au pouvoir, pour l’instant, ils attendent de voir le film.

Distribution

  • Penélope Cruz : Laura
  • Javier Bardem : Paco
  • Ricardo Darín : Alejandro

Fiche technique

  • Réalisation et sénario: Asghar Farhadi
  • Titre original : Todos Lo Saben
  • Musique : Alberto Iglesias
  • Photographie : José Luis Alcaine
  • Montage : Hayedeh Safiyari
  • Production : Álvaro Longoria et Alexandre Mallet-Guy
  • Sociétés de production : Memento Films Production
  • Durée : 130 minutes
  • Date de sortie : 8 mai 2018 (Festival de Cannes 2018: Ouverture)
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