Fargo (film)

De Cinéann.

Fargo , film américain de Joel et Ethan Coen, sorti en 1996

Analyse critique

Synopsis détaillé
Pendant l'hiver 1987, Jerry Lundegaard, directeur commercial dans une concession automobile de Minneapolis, est en difficulté financière. Son beau-père, le richissime Wade Gustafson, est le propriétaire de cette concession. Grâce à l'entremise de Shep Proudfoot, un ex-détenu qui est mécanicien dans l'atelier de la concession, Jerry est mis en relation avec le malfrat Gaear Grimsrud et son associé pour l'occasion, Carl Showalter. Dans les premières images du film, sur les routes du Minnesota enneigé, au volant de sa voiture qui tracte une grande remorque avec une autre voiture dessus, Jerry se rend à Fargo, dans l'État voisin du Dakota du Nord, pour confirmer l'engagement de ses deux hommes de main, Carl et Gaear. Il va à leur rencontre et la transaction consiste à d'abord livrer la voiture neuve en échange de l'enlèvement de sa femme Jean. Après l'enlèvement et l'extorsion d'une rançon de 80 000 $ auprès de son riche beau-père Wade, le tout naturellement sans faire intervenir la police, l'accord est que Jerry en donne la moitié (40 000 $) aux malfrats et qu'il garde le reste pour lui afin de restaurer l'état de ses finances personnelles. Cependant, le coup monté par Jerry consiste en fait à rester le seul interlocuteur des truands et à faire croire à son beau-père que les truands réclament en réalité 1 000 000 $ contre la libération de Jean : il pourra ainsi garder la différence pour lui, soit 960 000 $, son beau-père et les malfrats n'ayant jamais été en contact direct.

Parallèlement, en vue de monter sa propre affaire d'exploitation de parking, Jerry a proposé à Wade l'étude d'un dossier de financement : il souhaite que son beau-père lui prête la mise de fonds initiale, 750 000 $, afin de pouvoir démarrer son affaire. À son retour de Fargo, au cours du dîner où Wade s'est invité chez sa fille, et son beau-fils, Jerry lui reparle de ce dossier : Wade semble enfin lui prêter attention et lui conseille de montrer le dossier à son directeur financier Stan Grossmann, car il estime que le dossier lui paraît bon. Avant de quitter sa maison le matin, Jerry est appelé par son beau-père qui le convoque pour 14 h 30 dans son bureau d'une tour de Minneapolis. Entre-temps, Jerry se rend à son travail à la concession comme d'habitude. Il se met à penser que ses finances personnelles pourront aller mieux et se dit qu'il n'a plus besoin de faire enlever sa femme. Il tente alors d'annuler le rapt, mais ne parvient pas à joindre ses hommes de main déjà en route pour Minneapolis, au volant de leur Ciera neuve.

Dans la matinée, alors que Jean tricote paisiblement devant sa télévision, Carl et Gaear s'introduisent violemment dans sa maison et la kidnappent. Jerry, qui ne sait pas encore ce qui s'est passé chez lui, va à son rendez-vous chez Wade, comme prévu. Il est humilié par Wade et Stan qui se moquent de lui : comment Jerry a-t-il pu penser que Wade pourrait lui prêter une somme aussi importante sans garantie ? L'affaire les intéresse, mais pour qu'ils l'exploitent eux-mêmes, et Jerry devra alors se contenter d'une commission d'apporteur d'affaires, largement insuffisante pour rembourser ses dettes. Jerry rentre chez lui dans l'après-midi et comprend que l'enlèvement s'est déjà produit. Il recontacte alors son beau-père pour lui expliquer les choses et lui annoncer la demande de rançon qui s'ensuit. Ils se rencontrent dans un café avec Stan également présent. Jerry parvient à rallier Stan à son opinion : il ne faut pas prévenir la police et se soumettre aux exigences des ravisseurs. Wade est furieux, tente de voir si on ne peut pas ramener la rançon à 500 000 $, mais part et va probablement être convaincu par Stan.

Carl et Gaear ont quitté Minneapolis, ils roulent de nuit sur la route enneigée pour rejoindre leur planque de Moose Lake, non loin de Brainerd, également dans le Minnesota. Carl est au volant. Jean se trouve allongée en travers de la banquette arrière, ficelée et totalement invisible, enveloppée dans une couverture. Mais, comme Carl et Gaear n'ont pas pris la précaution de poser des plaques d'immatriculation sur leur voiture neuve, un policier du Minnesota en patrouille les prend en chasse et les interpelle en rase campagne. Jean sous sa couverture pousse de petits gémissements qui parviennent à l'oreille du policier, mais Gaear, inquiet du danger alors encouru, extrait aussitôt un pistolet de sa boîte à gants, agrippe la chevelure du policier et l'exécute instantanément d'une balle dans le crâne. Carl déplace péniblement le corps tombé sur la route, mais un couple arrive en face en voiture, ralentit, se rend compte du drame qui vient d'avoir lieu et, effrayé, accélère pour s'enfuir. Gaear les rejoint et oriente ses phares vers le véhicule accidenté. L'homme réussit à s'extraire de la voiture et tente de s'échapper en courant dans la neige, Gaear l'abat à distance, il exécute ensuite la passagère restée prisonnière du véhicule.

La police locale de Brainerd, sous la direction de Marge Gunderson enceinte de sept mois, est chargée d'enquêter sur les meurtres. Le premier indice probant est récupéré dans le véhicule de patrouille du policier du Minnesota : en effet, avant l'interpellation, ce dernier avait pris soin de noter dans son carnet de bord qu'il venait d'arrêter une Ciera de couleur ocre, qui ne portait aucune plaque d'immatriculation. Après avis de recherche, cela permet à Marge de savoir rapidement que, la veille des meurtres, les tueurs avaient fréquenté le motel Babe, The Blue Ox dans lequel ils avaient utilisé les services de deux prostituées et passé quelques coups de fil, notamment à un dénommé « Shep Proudfoot » de Minneapolis.

Carl rappelle Jerry à son bureau pour organiser le versement de leur part de rançon ; mais il exige le doublement de leur part, soit désormais 80 000 $, invoquant les « cas de force majeure, les catastrophes naturelles… » ! Carl laisse donc Jean et son geôlier Gaear dans leur baraque forestière des bords de Moose Lake pour repartir à Minneapolis en vue de récupérer l'argent. Jerry, à son domicile, rencontre à nouveau Wade qui a rassemblé le million de dollars de la rançon et rumine toujours l'idée de rencontrer lui-même les ravisseurs. Jerry cherche toujours à l'en dissuader en prétextant l'intransigeance de ces ravisseurs et leur possible violence, mais il n'a plus l’appui de Stan qui écoute désormais son patron. Jerry indique qu'il attend un appel des ravisseurs qui vont lui fixer le lieu de remise de la rançon.

Carl appelle Jerry chez lui pour lui donner le lieu de rendez-vous et exige avec véhémence qu'on respecte ses conditions. Wade, qui attend aussi l'appel dans la maison de Jean et Jerry, écoute la conversation sur un autre combiné et se précipite avec sa mallette pleine de billets pour devancer Jerry au point de rencontre, l'étage supérieur du parking de l'hôtel Radisson. Jerry est dépité de voir son beau-père partir seul : il le suit avec quelques minutes de retard. Arrivé à destination, il aperçoit une voiture seule sur le parking enneigé. Carl sort de sa voiture en même temps que Wade et se rend compte que ce n'est pas Jerry qui est au rendez-vous, il s'emporte et tire à bout-portant sur Wade qui s'écroule. Mais, à terre, Wade sort son arme et atteint Carl d'une balle dans la mâchoire, alors que ce dernier s’abaisse pour s’emparer de la mallette. Carl, furieux, achève Wade de plusieurs coups de pistolet. Il remonte dans sa Ciera avec la mallette et dévale à toute vitesse les étages du parking ; il croise Jerry qui monte pour rejoindre le lieu de rendez-vous et manque de le percuter. Carl, le visage ensanglanté, passe devant la guérite du gardien du parking, tout effaré du spectacle. De son poste de conduite, Carl abat aussitôt la gardien et enfonce la barrière de sortie. Pendant ce temps, Jerry arrive au sommet du parking et y récupère le corps de son beau-père qu'il hisse dans son coffre de voiture. Puis il rentre à son domicile et, sans rien laisser paraître, répond à son fils, qui le prévient que Stan a appelé deux fois, qu'il va aller se coucher.

Carl est sur la route entre Minneapolis et Moose Lake et s'arrête en rase campagne pour examiner le contenu de la mallette qu'il a prise à Wade : il constate qu'elle contient bien plus que les 120 000 $ qu'il pensait avoir été demandés en rançon. Il prélève la somme que Gaear et lui sont convenus de se partager — 80 000 $ — et parcourt quelques dizaines de mètres sur le bas-côté enneigé de la route pour dissimuler la mallette avec le reste des fonds le long d'une immense clôture.

Marge retourne voir Jerry à la concession et lui demande s'il est bien certain qu'il ne lui manque aucune voiture : « en est-il sûr ? », a-t-il fait un inventaire pour cela ? Quelques minutes après, en jetant un regard par la fenêtre du bureau de Jerry, elle s'aperçoit qu’il est en fait au volant de sa voiture, en train de quitter discrètement la concession : « il fuit l'interrogatoire », se dit-elle à haute voix. Elle alerte alors la police de l'État.

Carl pénètre dans la baraque de Gaear tout en se tenant la mâchoire ensanglantée, comme le sont aussi ses vêtements. Gaear y est en train de déjeuner, les yeux rivés sur sa télévision : il se disputent, et alors que Carl se dirige vers la Ciera, Gaear sort de la baraque en remettant précipitamment sa chapka, court quelques mètres derrière Carl pour le rattraper et lui asséner un grand coup de hache au cou.

Sur le chemin du retour, Marge fait un petit détour par Moose Lake, probablement à la suite de l’information recueillie auprès de M. Mohra par l’agent Olson : elle aperçoit alors la Ciera ocre garée, celle qui est recherchée depuis les trois premiers meurtres de Brainerd. Elle arrête son véhicule, sort son arme, s'approche avec précaution par l’arrière de la baraque de Gaear et le voit de l’autre côté à l’extérieur, tout occupé à enfoncer dans un broyeur de végétaux ce qu’il reste de Carl, en l'occurrence un pied et sa portion de jambe ; toute la neige environnante est teintée de rouge. Marge met en joue Gaear qui tente de s’enfuir, mais Marge interrompt sa course d'une balle qui se loge à l’arrière de sa cuisse. Quelques instants après, en transportant Gaear menotté à l'arrière de sa voiture de police, Marge réfléchit amèrement à ce qui s'est passé en avouant qu'elle n'arrive pas à comprendre comment il a pu y avoir tant de violence et de morts pour « une poignée de billets ». Par ailleurs, Jerry est arrêté à son tour un peu plus tard dans un motel.

Analyse
Fargo vaut d'abord par ses personnages. Dès lors qu'apparaît Jerry Lundegaard, sourire de hamster jovial contredit par un regard douloureux, on sait que ce benêt n'est pas né sous une bonne étoile. Tout le contraire de la policière Marge Gunderson, épouse heureuse et future mère comblée, sorte de Droopy sanglé dans un uniforme. Jerry et elle ont la même obstination tranquille, qui aurait pu les réunir si le destin ne s'en était mêlé. Et c'est avec la même application jusqu'auboutiste que les deux crétins kidnappeurs vont semer la désolation. Ainsi va Fargo, dans une horreur croissante mais tranquille, ponctuée des gestes et des mots de tous les jours, d'un train-train de petites manies et de vieilles habitudes. Ces personnages simples pris dans la glace d'une situation inextricable, puis ces corps en morceaux dans une nature immuable finissent par dessiner une vraie tragédie, celle de la violence banale, donc fatale. Un jour, un type dérape, et la mort atroce est au bout du chemin. C'est la dérive des gens ordinaires, pris dans la spirale de l'échec.

La mise en scène est ample et solidement classique, elle se contente de saisir les gesticulations pathétiques de tous cles minables qui peuplent le film, d’épingler leurs gestes désordonnés comme autant de réflexes vitaux, inefficaces et stériles. De la femme kidnappée qui court à l’aveuglette à son malheureux mari qui ne trouve son salut que dans une fuite éperdue, c'est un ballet d’aveugles. Pour lutter contre le réalisme glauque qu’appelait l’adaptation d’un fait divers réel, les Coen optent pour une stylisation chorégraphique. Réduits aux manifestations corporelles que leur dictent leurs plus bas instincts, les personnages se transforment en des figurines de dessin animé. Mis en branle par l’appât du gain ou la pure méchanceté, ils ont la psychologie très sommaire du loup à la langue pendante et aux yeux exorbités ou celle, non moins courte, du gros minet qui veut manger Jerry. O

Seule à échapper à cette gestuelle syncopée, Marge a les deux pieds sur terre, ses rêves sont d’une médiocrité confondante mais ils ont le mérite de se réaliser, lentement mais sûrement. Elle n’échoue que quand elle se laisse abuser par la mélancolie d’un ancien flirt. Comme de juste, celui-ci s’avérera un pauvre mythomane qui n’a rien à proposer. Bien sûr, ce bonheur-là n’est pas gai. D’un pessimisme aussi foncier que rigolard, Fargo est un film sans issue. Entre la tentation du bouleversement, qui mène tout droit au désastre, et celle du renoncement, entre la vivacité meurtrière et une existence fade et engourdie, les Coen se gardent bien d’exprimer une préférence. Ils se contentent de compter les points puis de renvoyer les combattants dos à dos.

Même si le choix d’une plastique burlesque tend à nous le faire oublier, Fargo s’appuie en effet sur une matérialité. C’est aussi un documentaire sur l’enfermement. Les Coen ont beau traiter l’espace comme une abstraction propice à tous les délires, sa blancheur infinie rappelle celle des murs d’une prison. Prisonniers d’un lieu sans limites, où la ligne d’horizon n’existe pas puisque le ciel et la terre se confondent dans une même blancheur aveuglante, les individus doivent inventer des repères, souiller la neige. Alors le blanc se tache de rouge, de rouge sang.

Déclarations des frères Coen

Ethan : Nous avons grandi dans le Minnesota. En hiver, la région prend l’aspect de grandes étendues blanches. Quand le temps est gris, l’horizon disparaît et le ciel se confond avec la terre… C’est le paysage typique du coin et c’est ce genre d’images que nous recherchions. Évidemment, nous ne voulions pas tourner en été, quand la région ressemble à n’importe quelle autre. Non seulement nous tournions en hiver, mais nous recherchions délibérément les journées couvertes, les ciels maussades. La météo devait collaborer à ce que vous appelez “la toile vide”. Esthétiquement, Fargo peut presque se résumer à un concept plastique : une toile blanche sur laquelle vous projetteriez des taches de peinture rouge, un cadre vide que vous rempliriez avec du sang.

Joel : Il est difficile de pointer exactement le lien entre leur existence, leur psychologie et le cadre dans lequel ils évoluent, mais tout cela se tient. De notre point de vue, il était important que le film soit très spécifique sur les lieux, les paysages, l’environnement où se passe l’histoire. En surface, ce film est une banale histoire de kidnapping et de meurtre : mais elle devient beaucoup plus riche et intéressante par le simple fait de se passer dans cette région, dans un tel environnement, en impliquant ce type de personnages de tous les jours.

Ethan : Marge, le personnage joué par Frances McDormand, est une femme, fagotée dans des vêtements d’hiver, enceinte. Elle est complètement à l’opposé de l’imagerie habituelle du flic dans le cinéma américain. C’est un aspect intéressant du personnage : il est à rebours de tous les clichés. L’image conventionnelle, c’est celle du type blasé, en trench-coat ; ou encore, le mec ultra bien sapé, avec Ray-Ban et costard italien, très habile du revolver, comme Al Pacino dans Heat.

Joel : L’aspect “à rebours des clichés” ne concerne pas que le personnage de Frances. Jerry Lundegaard ou encore les deux gangsters sont des truands minables, pathétiques ; ils ne ressemblent pas du tout aux personnages de truands omniscients, à l’exemple de Robert De Niro dans Heat. On s’est intéressés à des truands plus ordinaires, plus réalistes et plus communs, des pauvres types qui ne savent pas trop ce qu’ils font, des mecs plutôt paumés et, à la limite, idiots. La plupart des truands ou des gars qui se lancent dans de mauvais coups, généralement, ne sont pas des super cerveaux. L’idée de Fargo consiste à tendre vers le réalisme, à fuir les clichés du cinéma.

Ethan : On a essayé de capturer l’essence de ce qui fait la vie dans le Midwest. Il y a aussi la muzak dans les restaurants, les coffee-shops sans âme, les intérieurs laids et sans personnalité… Quand on discutait avec le décorateur, c’était pour lui un travail très créatif et très compliqué. On lui demandait les décors les plus banals, les plus impersonnels : ce n’est pas si simple parce qu’en même temps on ne voulait surtout pas de second degré, d’americana kitsch. Créer volontairement un décor sans aucun style, c’est très subtil.

Joel : Marge est enceinte pour un tas de raisons très simples. Par exemple, la grossesse était une façon extrême et évidente de montrer que c’est un personnage qui a des préoccupations très ordinaires : le public perçoit tout de suite cet aspect-là et s’identifie facilement à elle. Et puis la grossesse est un signe original dans un contexte policier. C’est à ce genre de motifs qu’on pensait, pas à un grand message philosophique.

Distribution

  • Frances McDormand  : Marge Gunderson
  • William H. Macy  : Jerry Lundegaard
  • Steve Buscemi  : Carl Showalter
  • Peter Stormare  : Gaear Grimsrud
  • Harve Presnell  : Wade Gustafson
  • John Carroll Lynch  : Norm Gunderson

Fiche technique

  • Réalisation et scénario: Joel et Ethan Coen
  • Photographie : Roger Deakins
  • Montage : Joel et Ethan Coen (crédités en tant que Roderick Jaynes)
  • Musique : Carter Burwell
  • Production : Ethan Coen
  • Sociétés de production : PolyGram Filmed Entertainment, Working Title Films
  • Durée : 98 minutes
  • Dates de sortie : 8 mars 1996
    • France : 4 septembre 1996
  • Récompenses : Festival de Cannes 1996, prix de la mise en scène (Joel Coen)
    • Oscars 1997 : meilleure actrice (Frances McDormand) et meilleur scénario original (Ethan Coen, Joel Coen)


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