Femmes en miroir

De Cinéann.

Femmes en miroir ( Kagami no onnatachi ) film japonais de Kiju Yoshida, sorti en 2002.

Analyse critique

Aï vit avec sa petite-fille Natsuki qu'elle a élevée. Un jour, sa fille Masako, disparue pendant vingt-quatre ans, refait surface mais semble avoir tout oublié de son passé. Elle a changé de nom et n’a aucun souvenir de sa famille. Ai avertit sa petite-fille Natsuki du retour de sa mère. Seul un nom résonne encore dans sa mémoire: Hiroshima. Aï, Masako et Natsuki vont faire ensemble le voyage à Hiroshima pour tenter de reconstruire leur histoire.

Les héroïnes de Kiju Yoshida se parlent en se tenant côte à côte, le visage tendu vers un point mystérieux, situé au-delà du visible. Comme si elles risquaient gros à croiser durablement leurs regards. La tragédie d' Hiroshima est au cœur de leur tragédie silencieuse. Mais ce n'est pas le seul thème, Yoshida signe aussi un suspense de l'identité et de la filiation, et une réflexion sur la mémoire. La première femme, Aï, est âgée. De son interprète Mariko Okada, qui fut l'actrice de Yasujirô Ozu et de Mikio Naruse, elle possède la mélancolie altière, cette froideur un peu triste des anciennes divas qui tient les autres à distance. La voir sortir de sa maison de Tokyo, sous une ombrelle blanche qui la transforme en lys ambulant, crée d'emblée une belle étrangeté. Aï se rend dans une administration où on lui annonce qu'on a retrouvé sa fille, disparue vingt-quatre ans auparavant après avoir accouché de la petite Natsuki. La revenante présumée, Masako, est amnésique, et coupable de plusieurs tentatives, inabouties, d'enlèvement d'enfant.

Trois générations se retrouvent ainsi en présence, anxieuses et impatientes d'élucider leurs liens mutuels. Masako est-elle vraiment la fille de Aï et la mère de Natsuki, qui, jusqu'ici, n'a donné du « maman » qu'à sa grand-mère ? « Comme je ne me souviens de rien, je pense toujours avoir fait le mal », dit l'amnésique. Mais elle n'est pas la seule à présenter les symptômes d'une insécurité existentielle. Il y a l'ombrelle défensive et le mutisme de la doyenne Aï. Il y a la méfiance et la frilosité de la jeune Natsuki, qu'on a entendue éconduire un soupirant par ces mots : « Ma mère m'a abandonnée. Je ne connais pas mon père. Comment pourrais-je faire confiance aux gens ? »

Yoshida filme ses héroïnes dans des intérieurs abstraits, où les jeux de miroirs, les paravents, les cloisons glissantes suggèrent la séparation, l'étanchéité, la rétention. De façon inattendue, c'est par la femme sans passé qu'un début de courant, de circulation est rétabli. Masako surprend un geste de Aï, une façon d'effacer le rouge à lèvres sur le bord d'une tasse, qui, elle en est sûre, lui rappelle sa propre mère. Et elle se souvient soudain d'une chambre d'hôpital à Hiroshima. Les trois femmes font le voyage. Hiroshima sera l'étape clé de leur enquête, avec une parole enfin libérée, un témoignage terrible. La démarche de Yoshida n'a rien de commun avec celle d'Alain Resnais dans Hiroshima, mon amour, mais le sens est le même. La réalité inextinguible de la catastrophe réside dans les séquelles qui se propagent par-delà les générations et l'oubli de surface.

Miroirs brisés à jamais, les trois femmes incarnent une société japonaise choquée par cet acte inhumain qui dépasse toute explication psychologique. Les survivants ayant vécu comme une honte leur douleur passée, le Japon n’a jamais fait son deuil, préférant cacher puis enfouir ce sinistre épisode de l’Histoire. La plaie reste ouverte, toute guérison impossible.

Ancienne figure de proue de la Nouvelle Vague japonaise des années 60, réalisateur de films engagés politiquement et esthétiquement, Kiju Yoshida est un formaliste exigeant qui soigne particulièrement les cadres et la photographie. Admirateur du cinéma de Yasujirô Ozu, il défend le concept de l’anti-cinéma: la volonté de ne pas imposer la puissance de l’image et de privilégier le texte à celle-ci. Ainsi, dans Femmes en miroir, la dilatation du temps en de longs plans-séquences hypnotiques place la parole au centre du récit et fait primer la réflexion sur le spectaculaire. Par respect pour les victimes, le drame n’est montré qu’au travers d’édifiantes photographies d’archives.

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Distribution

Fiche technique

  • Titre original : 鏡の女たち , Kagami no onnatachi
  • Réalisation et scénario : Kiju Yoshida
  • Musique originale : Keiko Harada ; Mayumi Miyata
  • Image : Masao Nakabori
  • Montage : Hiroaki Morishita
  • Durée : 129 minutes
  • Dates de sortie : 23 mai 2002 (Festival de Cannes) ; 2 avril 2003 (France)


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