Il était une fois en Anatolie

De Cinéann.

Il était une fois en Anatolie (Bir Zamanlar Anadolu'da) film turc, réalisé par Nuri Bilge Ceylan, et sorti en 2011. Le film est présenté en compétition lors du Festival de Cannes 2011 où il reçoit le Grand Prix, ex æquo avec Le Gamin au vélo des frères Dardenne.

Analyse critique

Pendant le prologue, en quelques plans énigmatiques, on voit une baraque, un garage pouilleux au bord d’une grande route sillonnée de camions, et trois hommes, dont on découvrira plus tard qu'ils vont être une victime et deux assassins.

C’est ensuite un long voyage dans le froid, le vent et les ténèbres. Une errance du crépuscule à une aube sale avec sa lumière grise sur l’immensité nue de la steppe anatolienne. Un groupe d’hommes s’entassent dans deux voitures escortées d’une jeep : un procureur, un médecin, des flics, un meurtrier présumé, menotté et son frère. Ils sont à la recherche d’un cadavre que l’assassin aurait entérré, encore saoul, et il ne se souvient plus exactement de l’endroit exact, sinon qu’il s’agit «d’un champ plat avec un arbre en boule» près d’une fontaine.

Tout, dans ce crime est mystérieux, puis, la vérité des êtres embarqués dans cette quête d’un cadavre se dessine à petites touches. Par des dialogues fragmentés, parfois insignifiants sur l’odeur du yaourt au lait de bufflonne ou celle de la viande d’agneau, ou au contraire intenses quand l’un ou l’autre des protagonistes confie ses échecs, ses rêves évanouis. Ensuite l’errance reprend avec les voitures roulant dans la nuit ou s’arrêtant au milieu de nulle part. Il y a les arbres et l’herbe jaunie de l’automne finissant, ondulant sous le vent dans la lumière des phares. «J’ai tenté de rendre toute la noirceur de la nuit», explique Nuri Bilge Ceylan, qui réussit à tenir un extérieur-nuit durant plus de la moitié du film avec quelques moments d’obscurité totale ponctués seulement de voix, de souffles, ou d’étonnants clairs-obscurs.

Ce n'est pas seulement le meurtrier qui cache sa réalité. Le juge est obnubilé par une conquête féminine qui est pour lui l’incarnation de la beauté. Le médecin traîne une tristesse sans explication mais que l’on devine liée à un amour fané. La recherche du cadavre est un MacGuffin, le trajet réel se superpose à un parcours mental ou chacun se questionne, voire dresse le bilan de sa vie. La sortie de la routine quotidienne, le déplacement loin de chez soi, les portions de temps suspendu, les blocs d’inaction, le contact avec la mort, tout cela concourt à l’introspection.

Tout ce gris est éclairé, au milieu du film, par une scène magique, à la lisière du fantastique, et qui éclaire les intentions du cinéaste : épuisé par des heures d'errance, le groupe a trouvé refuge chez le maire d'un village. Une panne d'électricité plonge l'assemblée dans le noir. Une adolescente apparaît alors, la fille cadette du maire, avec des bougies et des boissons. Et soudain, le temps semble s'arrêter, se distendre. Soudain, quelque chose de surhumain semble planer sur ces hommes. Ce n'est pas seulement la beauté qui passe, là, sous leurs yeux, mais la grâce, celle qui circule entre les êtres à leur insu. Ils contemplent tous cette jeune fille, sidérés, tant il est vrai que la grâce peut pétrifier. Ce bref instant de plénitude est si fort que le silence se fait et que le meurtrier éclate brutalement en pleurs.

Outre sa femme, Ebru, son co-scénariste est, à nouveau comme dans les Trois Singes, Ercan Kesal, chirurgien travaillant dans un grand hôpital, homme de conviction et grand narrateur qui s’est inspiré d’une histoire qui lui arriva au début de sa carrière quand il était en poste dans une triste petite ville du plateau anatolien. Il ne faut donc pas s'étonner que, dans le film, le docteur soit le personnage central. La caméra le suit du début à la fin, et tout ce qui est filmé est dans son champ de vision, montrant cette évolution d’un personnage qui, peu à peu, commence à éprouver de la compassion pour le meurtrier, pour la femme et l’enfant du mort dont les liens avec le tueur sont troubles. Au moment de l’autopsie, quand il découvre de la terre dans la trachée et donc que la victime avait été enterrée vivante, il décide de cacher le fait, afin de ne pas aggraver encore le cas d’un assassin qui lui fait pitié. Un flic le lui avait dit : «Docteur, vous vous ennuyez ici mais quand vous fondrez une famille, vous aurez une histoire à raconter : il était une fois en Anatolie...

Il était une fois en Anatolie est un film sur la progression et la métamorphose : l'assassin, qui passait pour un monstre, se mue en être humain. Et devant cette amie, dont la mort s'avère plus complexe qu'il n'avait voulu le croire, le procureur se découvre aussi peu innocent que le coupable qu'il va juger. Nuri Bilge Ceylan réalise la synthèse entre un cinéma à l’ancienne, inspiré du cinéma classique, sens du cadre, de la lumière, du rapport entre un personnage et un lieu et un cinéma moderne montrant l’aliénation, la mélancolie collant aux plans, la non-croyance dans les règles dramaturgiques classiques, le rejet du happy end. Ce film est le plus ambitieux, le plus abouti et surtout le plus envoûtant de ce réalisateur avec le sens de l’humanité concrète et le refus de tout manichéisme, dans cette vie où il n’y a ni héros ni victime mais où chacune est à la fois l’un et l’autre.

Distribution

  • Muhammet Uzuner : Docteur Cemal
  • Yilmaz Erdogan : Commissaire Naci
  • Taner Birsel : Procureur Nusret
  • Ahmet Mumtaz Taylan : Chauffeur Arap Ali
  • Firat Tanis : Suspect Kenan

Fiche technique

  • Titre français : Il était une fois en Anatolie
  • Titre original : Bir Zamanlar Anadolu'da
  • Réalisateur : Nuri Bilge Ceylan
  • Producteur : Zeynep Özbatur Atakan
  • Scénario : Ercan Kesal, Ebru Ceylan et Nuri Bilge Ceylan
  • Directeur de la photographie : Gökhan Tiryaki
  • Montage : Bora Gökşingöl et Nuri Bilge Ceylan
  • Durée : 150 minutes
  • Date de sortie : 21 mai 2011 au Festival de Cannes ; 2 novembre 2011 en salles

Distinctions et récompenses


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