L'Image manquante

De Cinéann.

L'Image manquante film franco-cambodgien coproduit, écrit et réalisé par Rithy Panh et sorti en 2013.

Il s'agit de l'adaptation du récit L'Élimination de Rithy Panh et Christophe Bataille.

Analyse critique

L'originalité du film de Rithy Panh est d'être tout entier construit à partir de l'absence, c'est-à-dire sur l'image manquante, à partir de figurines sans doute en bois, sculptés par Sarith Mang, qui sont les seuls personnages du film doués d'une âme, d'une émotion. Dire l'absence est plus parlant pour Rithy Panh, qui a choisi d'introduire pour seules images d'archives celles montrant Pol Pot avec certains camarades, parmi des groupes de gens l'applaudissant.

Sur ces images Pol Pot répond aux approbations en applaudissant sans que l'on sache qui il applaudit, lui-même ou ses partisans. A quelques kilomètres de tout lieu où il se trouvait, les khmers rouges assassinaient, torturaient, vidaient de leur sang des centaines de milliers de victimes, faisaient mourir de faim tout son peuple.

Rithy Panh est obsédé par l'image manquante de sa jeunesse, volées toutes deux par les Khmers rouges, dans une folie meurtrière qui emporta son frère le 17 avril 1975 à Phnom Penh, avec sa guitare qui n'a pas dû plaire aux Khmers rouges, ni son regard ni sa mèche de 16 ans, ni ses chansons. Ses sœurs sont mortes puis sa mère se coucha à l'hôpital sur les planches de bois tout à côté de sa fille de 16 ans qui venait de mourir. Deux jours plus tard, elle partit à son tour. Son père était déjà mort.

Dans notre monde saturé d’images, il manque ces images dont on attendrait justement qu’elles témoignent d’un passé traumatique et accréditent le récit de ceux qui lui survécurent, en mettant sur leurs mots des traces de réel captées par l’objectif. Si ces images manquent, c’est souvent faute d’avoir été prises. Aux cinéastes d’après la catastrophe d’envisager des films autour de leur absence, de créer des images qui donnent à voir ce que les archives ne sont pas en mesure de montrer.

Pour donner corps à ses souvenirs dans une démarche empruntant à l’esprit d’enfance, le cinéaste a eu l’idée de recourir à des figurines en terre cuite. Des statuettes à l’effigie de gens qu’il a connus, de parents et d’amis aujourd’hui disparus. Les scènes issues de sa mémoire que ces bonshommes donnent à imaginer et que le montage associe à diverses archives composent une évocation poignante, que le beau texte de l’écrivain Christophe Bataille enrichit d’une dimension méditative. Au-delà de l’histoire familiale, au-delà même de l’histoire cambodgienne dont il rend compte avec une grande acuité, L’Image manquante tend à une forme d’universalité.

Le psychiatre Boris Cyrulnik, qui a vu ce film, déclare :

Aux personnes traumatisées, on dit souvent que faire revenir le passé, c'est entretenir la blessure, et avoir finalement plus mal encore. On dit aussi que se taire conduit à se couper en deux parties : l'une acceptable pour son entourage et une autre qui souffre en secret. La seule bonne solution consiste à exprimer ce que l'on a à dire sans pour autant faire revenir le trauma. En le métamorphosant avec de la littérature, comme l'ont fait Paul Ceylan, Jorge Semprun ou avec des statuettes, comme le fait Rithy Panh.

Ces statuettes sont ce qu'on appelle des « représentants narcissiques » et illustrent un précieux facteur de résilience : la transformation de la souffrance en œuvre d'art. Ce que je n'ai pas la force de vous dire, parce que c'est trop dur, que je ne suis pas assez fort pour vous le dire et vous trop faible pour l'entendre, je le fais dire à des statuettes. C'est le détour par un tiers, qui rend la souffrance partageable à travers sa métamorphose.

Ce qui caractérise le syndrome psycho-traumatique, c'est une image qui se répète jusqu'à l'obsession, au point que le traumatisé se trouve prisonnier du passé ; à ce point fasciné par l'agression qu'il a subie, que l'image qu'il en a est clivée, avec un centre hyper-précis et du flou tout autour. Elle peut lui être insupportable au point qu'il la refoule, parfois jusqu'au trou de mémoire. L'image manquante, c'est exactement ça. Après une tragédie comme celle qu'a vécue Rithy Panh, certaines images font forcément défaut. Voilà pourquoi je trouve ce titre excellent.

Fiche technique

  • Titre international : The Missing Picture
  • Réalisation et scénario : Rithy Panh
  • Commentaires : Christophe Bataille
  • Effets spéciaux : Narin Saobora
  • Sculptures : Sarith Mang
  • Montage : Marie-Christine Rougerie et Rithy Panh
  • Musique : Marc Marder et Rithy Panh
  • Photographie : Prum Mésar
  • Production : Catherine Dussart et Rithy Panh
  • Pays d’origine : France/ Cambodge
  • Durée : 90 minutes
  • Date de sortie : mai 2013 (festival de Cannes 2013)

Distribution

  • Randal Douc : narrateur

Distinctions

  • Festival de Cannes 2013 : Prix « Un certain regard »
  • Trophées francophones du cinéma 2014 : Trophée francophone de la contribution technique pour Sochea Chun, Chanry Krauch, Sarith Mang, Savoeun Norng pour les décors
  • Nominé pour représenter le Cambodge aux Oscars du cinéma 2014 dans la catégorie meilleur film en langue étrangère.
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