La Fin du jour

De Cinéann.

La Fin du jour , film français de Julien Duvivier, sorti en 1939

Analyse critique

L'abbaye de Saint-Jean-La-Rivière accueille une maison de retraite pour comédiens nécessiteux. C'est une institution un peu stricte, mais qui est un véritable refuge pour ces oubliés de la scène. C'est pourquoi le directeur cache aux pensionnaires que l'établissement, fortement déficitaire, est menacé de fermeture. Ignorants de la menace, trois fortes personnalités se déchirent : Raphaël Saint-Clair , Gilles Marny et Cabrissade. Cabrissade s'en prend à Marny en imaginant chaque jour de nouveaux coups pendables à son endroit. Il faut dire que Marny, acteur talentueux mais qui n'a jamais rencontré le succès, prend de haut Cabrissade et ne manque pas de lui rappeler qu'il n'a été durant sa carrière qu'une doublure n'ayant jamais eu l'occasion de monter sur scène. Si Marny méprise Cabrissade, il hait Saint-Clair car ce dernier, séducteur sans vergogne, lui a ravi son épouse. Marny n'a plus jamais aimé depuis ; mais ce qui le ronge c'est de ne pas savoir si sa femme, morte peu après leurs séparation lors d'une partie de chasse, a été victime d'un accident ou si elle s'est suicidée parce que Saint-Clair l'aurait quittée pour une nouvelle conquête.

Julien Duvivier, après une aventure américaine décevante, souhaite revenir en France. Duvivier ayant énormément apprécié le travail de Jouvet sur Un carnet de bal, il pense tout de suite faire appel à lui et les noms de Michel Simon et Raimu s'imposent pour venir compléter ce trio de vieux acteurs. Mais Raimu décline finalement la proposition et il est remplacé par Victor Francen qui va apporter une toute autre couleur aux relations entre les trois personnages. La souffrance toute intériorisée qu'il impulse à Marny contrebalance magnifiquement le jeu gouailleur et enfantin de Simon et la folie mégalomane de Saint-Clair.

Il ne faut pas oublier le reste du casting, proprement prodigieux, Duvivier faisant appel pour jouer la cinquantaine de vieux pensionnaires à des comédiens éprouvés (Gabrielle Dorziat, Madeleine Ozeray, Sylvie...) et à des oubliés ayant connu effectivement par le passé la reconnaissance du public, voire pour certains une petite gloire. Malgré cette troupe de personnalités souvent fortes, le tournage se déroule sans heurts, Simon et Jouvet, qui se détestent dans la vie, ne se livrant cette fois-ci à aucuns esclandre. On ne peut s'empêcher de penser que ce qu'ils expriment vient d'eux et que cette mélancolie qui inonde l'écran est la leur. C'est surtout vrai pour les seconds rôles, même si le trio de tête n'est pas loin de partager les mots terribles qu'ils prononcent sur le métier et la vie d'acteur.

Pour écrire le film, Spaak et Duvivier se sont inspirés du véritable hospice pour comédiens de Pont-aux-Dames et les dirigeants de l'établissement en question se déclareront ravis à la sortie du film, y voyant une œuvre très réaliste mais surtout un admirable hommage à leurs pensionnaires. Ce qui peut surprendre car, de prime abord, La Fin du jour évoque avec une incroyable dureté le monde des comédiens. Les acteurs y sont présentés pour la plupart comme des individus égoïstes, égocentriques, d'irresponsables enfants gâtés.

Le film est sombre, dur, mais Duvivier et Spaak montrent avant tout comment l'amour du jeu et du théâtre continue à hanter chacun des pensionnaires. Il y a une immense souffrance chez ces hommes et ces femmes qui n'ont existé que grâce au regard du public. Ils se sentent vides, désincarnés. Comme dans cette scène où la caméra glisse le long du couloir la nuit, s'attardant sur les portes avec à chaque fois des applaudissements du public qui inondent la bande-son. Tous rêvent de la même chose, de cet amour du public qui autrefois les a portés.

Chez ces comédiens, la vie réelle et la scène ne font qu'un. Marny jouait les amants, les amoureux, mais après que sa femme ne l'aie quitté il n'a plus jamais pu endosser l'un de ces rôles, ce qui l'a poussé à quitter la scène et à s'isoler dans cet hospice. Saint-Clair avoue pour sa part que ses plus belles émotions de comédien, il les a vécues dans la vraie vie. Tous les pensionnaires ne sont pas dans cet excès, mais tous n'ont vécu que pour, et à travers, leur art. Ils n'ont jamais eu d'autre horizon que celui de la scène et maintenant qu'ils n'ont plus de public, ils ne se sentent plus vivre. En témoigne cette belle scène où, au fond d'une grange, à la lueur d'une bougie, Marny et Madame Chabert rejouent Roméo et Juliette, retrouvant le plaisir du jeu même si c'est pour un unique spectateur.

Ce que décrit le film, c'est la tristesse de voir que tout ce que l'on a pu faire, offrir, créer sera vite oublié, vacuité de toutes choses qui devient douleur existentielle alors que l'heure de partir approche. Le film parle beaucoup de la mémoire : celle bien courte du public qui oublie vite celui qu'il a adulé, celle au contraire bien trop persistante des regrets et des drames qui poursuivent la conscience jusqu'à la dernière minute. Celle encore qui se dérobe lorsque Cabrissade, après une vie à attendre, monte enfin sur scène mais oublie sa seule ligne de texte : « Nous les petits, les sans grades... »

« Justement dédié « aux petits, aux obscurs, aux sans-grades » du théâtre, La Fin du jour s’achève sur une oraison funèbre dont se souviendront les auteurs des Nouveaux monstres, qui cite la scène sur un mode comique. Porté par de très grandes performances d’acteurs (Simon et Jouvet en tête), La Fin du jour est aussi un film mis en scène avec beaucoup de précision et même de virtuosité, comme c’est souvent le cas chez Duvivier. »
Olivier Père, 2016

Distribution

  • Louis Jouvet : Saint-Clair
  • Michel Simon : Cabrissade
  • Victor Francen : Gilles Marny
  • Madeleine Ozeray : Jeannette, la serveuse du café
  • Gabrielle Dorziat : Mme Chabert

Fiche technique

  • Réalisation : Julien Duvivier
  • Scénario : Charles Spaak, Julien Duvivier
  • Production : Robert Vernay, Aris Nissotti
  • Société de production : Régina Films
  • Musique : Maurice Jaubert
  • Photographie : Christian Matras, Armand Thirard, Robert Juillard, Ernest Bourreaud
  • Montage : Marthe Poncin, assistée de Marie Le Bars
  • Durée : 108 minutes
  • Date de sortie: 24 mars 1939


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