La Vie de Jésus

De Cinéann.

La Vie de Jésus est un film de Bruno Dumont, réalisé en 1997

Sommaire

Analyse

Freddy - Fred - vit avec sa mère Yvette à Bailleul. Elle tient un café "Au petit Casino", siège d'un club de joueurs de pinsons, en bas de la rue des Foulons, dans un quartier populaire.

Soigné à l'hôpital spécialisé de Bailleul pour des crises d'épilepsie qui le complexent grandement, Freddy passe le plus clair de son temps à végéter avec ses copains et faire les cons. Ils n'ont pas vingt ans, ruraux, peu scolarisés et chômeurs déjà invétérés, traînant à longueur de journée sur leurs mobylettes trafiquées.

Fred a sa copine - son amour - la belle Marie, qui est caissière à la grande surface de la rue du Four. Ils font souvent l'amour, chez Fred, sans que sa mère ne dise rien. Chez les parents de Marie qui habitent un peu plus haut dans sa rue, Freddy ne rentre pas ; ils restent accrochés l'un à l'autre : lui assis sur sa mob montée sur la béquille et Marie debout contre lui, pouvant, longtemps ne rien se dire, qu'on dirait qu'ils se recueillent.

Plusieurs fois par jour, Freddy et ses copains, Miche, Gégé, Robert et Quin, font des courses en ville et en campagne avec leurs mobs - ils affrontent même une mystérieuse 205 GTI, à celui qui tiendra, droit devant, le plus longtemps possible ! - et inventent des rites de force. Ils bourrent aussi à fond dans la R12 cabriolet trafiqué à Gégé, le dimanche, et vont jusqu'à Dunkerque se baigner ou alors dont la parade dans la Fanfare municipale où ils tiennent des percussions.

Pas très malin Freddy, mais gentil. Fred est un garçon simple, un gars de la campagne. Souvent il fait pitié, bien qu'on devine se développer en lui, une énergie, une puissance avec ce regard qu'il a parfois, ces postures étranges, ces phrases qu'il dit, et même ces attitudes - comme le jour où avec les copains il va voir le frère à Miche qui crève du Sida ! - c'est aussi la tête qu'il a, sa bouille magnifique...

C'est à travers cette chronique de la vie de Freddy que vient se filer une histoire qui, lentement, déploie ce récit en drame : une rivalité amoureuse avec Momo, un jeune maghrébin qui court après Marie et dont elle-même, par jeu, se sert pour rendre jaloux Freddy, qui se meut en un crime raciste. Ou comment une banale histoire d'amour se transforme en fait de société, un individu innocent en meurtrier..

Freddy est comme en attente, et en même temps tendu de refus contre ce qui pourrait advenir. Le Freddy de Dumont, jeune chômeur d’une zone rurale en crise, n’est certainement ni un idiot ni un salaud. Il sait qu’une chose noire se cache dans ce désert de non-vie, il n’en veut pas, il en est terriblement malheureux. Quand il arrive devant chez lui en mobylette, il tombe, il s’écorche, il se marque. Chaque fois. On ne sait pas si c’est exprès ou pas, la question ne se pose pas ainsi. Si un évènement arrive dans ce monde hors histoire, il ne pourra qu’engendrer le drame. L’évènement, ce sera quand Kader draguera Marie. En deux crises un quiproquo, tout finira très vite, très mal.

La Vie de Jésus n’est pas un film sur un crime raciste, tout s’est joué en deçà, le meurtre du jeune beur par la bande d’adolescents n’est que l’écume sale d’un marais immobile. C'est ce marais qui débouche sur les actes de racisme ordinaire, ceux que ne commandent aucune idéologie, aucun volontarisme, ceux que « produit » un état de fait. Il y a « ça », ce monde sans horizon, pas même la campagne, pas même l’amour, pas même la mer, alors le résultat est là : l’ennui insondable qui soudain crache un instant de totale violence. Quelque chose de très enfoui, d’animal, de barbare, qu’on voyait bouger comme on devine les muscles sous la peau du torse nu de Freddy, est remonté. Passage sans hiatus de vies assommées à des vies brisées irrémédiablement.

Le Rien est la matière du premier film de Bruno Dumont. Il y sculpte à grands coups, à grands ahans. Non qu’il tienne pour quantité négligeable ces lieux, ces faits, surtout ces gens qui habitent ces lieux et subissent ces faits. Au contraire, il leur ouvre grand les bras de sa caméra, si on ose dire, il leur accorde tout l’espace et tout le temps. Mais c’est un constat de néant, de vies bloquées par une absence d’enjeu, évidées par manque d’inscription dans une histoire, dans un avenir possible. Comme si, là, entre course sans but et assouvissement sexuel, entre élevage de pinsons et défis gratuits, le temps s’était arrêté.

La force du film et sa dignité tiennent à la manière dont le cinéaste regarde non seulement sans hostilité mais surtout sans aucun sentimentalisme ceux qui peuplent l’univers où il a planté sa caméra. Dumont s’est inventé une place d’où il peut tout montrer, les scènes de sexe, d’agression, de séduction, d’errance vide, de rituels collectifs traditionnels (la fanfare, le concours de pinson). Jusqu’à ce plan magnifique, celui de la nudité de la mère sortant du bain, né d’une nécessité de mise en scène et non d’une obligation narrative, « plan témoin » de la totale légitimité d’un regard de cinéaste.

Pourquoi le film s’appelle t-il La Vie de Jésus ? Pendant la projection, on ne songe guère à Jésus. Littéralement, Freddy n’est certes pas la réincarnation moderne du Christ. Mais, s’il s’agit de suggérer, sans démontrer ni analyser, une mise en question d’un état élémentaire, « basique » de l’humanité face à ses démons, avant toute sociologie et toute psychologie. On est bien dans le domaine du mythe, un mythe matérialiste.

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Distribution

  • David Douche : Freddy
  • Marjorie Cottreel : Marie
  • Kader Chaatouf : Kader
  • Sébastien Bailleul : Quinquin
  • Samuel Boidin : Michou
  • Steve Smagghe : Robert
  • Sébastien Delbaere : Gégé
  • Geneviève Cottreel : Mére Freddy
  • René Gilleron : René
  • Daniel Tanchon : Père Gégé
  • Sophie Ruckebusch : Majorette
  • Jean Claude : Inspecteur

Fiche technique

  • Réalisation : Bruno Dumont
  • Scénario : Bruno Dumont
  • Producteurs délégués : Jean Bréhat et Rachid Bouchareb
  • Directeur de la Photographie : Philippe Van Leeuw
  • Montage : Guy Lecorne, Yves Deschamps, Pierre Choukroun
  • Musique originale :Richard Cuvillier
  • Durée : 96 minutes
  • Date de sortie: 4 juin 1997

Récompenses



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