Le Point de non-retour

De Cinéann.

Le Point de non-retour , film américain de John Boorman, sorti en 1967

Analyse critique

Mal Reese, un voyou qui doit rembourser une somme importante à une « Organisation » mafieuse, convainc un ami robuste et taciturne, Walker, de l'aider à dévaliser des convoyeurs de fonds criminels qui utilisent l'ancienne prison d'Alcatraz déserte comme lieu de rendez-vous pour leur hélicoptère. La femme de Walker, Lynne , est également de la partie. Reese tue les convoyeurs puis, découvrant que sa part n'est pas suffisante, tire également sur Walker et le laissant pour mort, part avec Lynne qui s'avère être sa maitresse. Walker survit miraculeusement et parvient même à nager jusqu'à la côte.

Walker réapparaît l'année suivante en compagnie d'un mystérieux individu nommé Yost, qui lui offre son assistance pour obtenir sa revanche et sa part du butin (93 000 dollars). Yost explique que pour sa part il en veut à l'Organisation. Muni de l'adresse de Lynne et Reese, Walker part pour Los Angeles et découvre que le couple est déjà séparé. Lynne, rongée par le remords, se suicide en prenant des barbituriques. Walker se retourne vers la sœur de Lynne, Chris qui accepte de l'aider car elle a ses propres comptes à régler envers Reese et l'Organisation. Avec sa complicité, Walker parvient à mettre la main sur Reese. Celui-ci est incapable de lui rembourser son argent. Walker lui extorque le nom de ses supérieurs : Carter, Brewster et Fairfax. Mais Reese chute nu de la terrasse de l'immeuble, un peu aidé par Walker.

Walker tente ensuite de récupérer l'argent auprès de Carter, un gangster suave qui se donne des airs d'homme d'affaires. Carter organise une embuscade, mais Walker connaît toutes les ficelles et prend ses précautions ; c'est Carter qui meurt de la main du tireur d'élite qu'il a lui-même embauché. Yost conduit ensuite Walker au domicile de Brewster qui doit rentrer de voyage le lendemain. Walker passe la nuit sur place avec Chris, qui l'interroge sur ses motifs et, exaspérée par son laconisme, s'enivre. Chris le provoque et le frappe avec une queue de billard, puis finit par se donner à lui.

Le lendemain, Walker assomme le garde du corps de Brewster , un homme rondouillard et apeuré qui explique qu'une organisation moderne comme la leur n'a pas accès à de telles sommes en espèces. Walker force Brewster à téléphoner au dernier larron, Fairfax, pour réclamer l'argent mais Fairfax au bout du fil n'est pas impressionné. Brewster, qui craint pour sa vie, confie alors à Walker qu'il se prépare de toute façon à éliminer son patron pour prendre sa place, et qu'il prendra sur lui de rembourser Walker. Pour ce faire, il lui demande de retourner à Alcatraz avec lui, car c'est maintenant l'Organisation qui utilise cet endroit pour ses échanges.

À Alcatraz, Brewster réceptionne l'argent pendant que Walker rôde aux alentours. Une fois l'hélicoptère parti, c'est au tour de Brewster d'être abattu par le tireur qui a tué Carter, et que Brewster avait refusé de payer à sa place. Le tueur travaille maintenant pour « Yost », qui se révèle ne faire qu'un avec le fameux Fairfax. Celui-ci a utilisé Walker pour éliminer ses comparses trop ambitieux car il se savait menacé. Il offre à Walker de le rejoindre comme homme de main. Walker, qui a hurlé la phrase « Je veux mon argent ! » une douzaine de fois au long du film, reste à présent silencieux, tapi dans l'ombre. L'argent reste abandonné auprès du cadavre.

John Boorman, dont c'était le deuxième film, et le premier film américain, a apporté le sujet à Lee Marvinn, quand l'acteur tournait Les Douze Salopards à Londres. Avec son appui, il obtient d'avoir les pleins pouvoirs sur le tournage, ce qui était exceptionnel à Hollywood pour un réalisateur peu connu.

Un partie du scénario est peu vraisemblable, quand Walker, grièvement blessé, réussit à revenir à la nage d'Alcatraz à la Baie de San Francisco, car, comme c'est rappelé dans une séquence postérieure, aucun prisonnier évadé n'est censé avoir réussi à traverser à la nage. Boorman, interrogé à ce sujet, répond que toute la partie postérieure à la première fusillade dans la prison n'est peut-être qu'un rêve d'agonie comme en témoigne les nombreuses superpositions de scènes, l'ellipse totale de détail sur la réalisation de cette fuite, ainsi que le fait qu'après, il paraisse avancer, presque invisible et insensible.

La liberté donnée à Boorman, et son refus de modifier son montage devant les demandes de la production donnent un film une forme très personnelle et très novatrice.

Comme Boorman ne cessera par la suite de le répéter dans ses meilleurs films, l'homme est dans une prison et l'innocence de la nature lui est inaccessible. Ici le lieu choisit pour le hold-up, l'ancienne prison d'Alcatraz, renvoie bien évidemment à cet enfermement. Les photos du générique insistent aussi sur les barbelés, les barreaux corrodés. Le plan arrêté de Walker accroché aux barbelés de la prison désaffectée pour s'enfuir est exclusivement symbolique car, pas plus pour sortir que pour y entrer Walker n'a eut besoin de franchir les barbelés.

A l'inverse, la nature, qui renvoie à une possible rénovation, au bonheur, n'est ici l'objet que de quelques rares plans : l'espace derrière Alcatraz, le visage de Lee Marvin avec, en arière-plan , la riviere depuis le cimetire où est enterrée Lynne, la premier rencontre de Lynne et de Walker dans un petit port avec la baignade qui s'en suit.

Le premier moyen formel mis en œuvre par Boorman est le redoublement symbolique de la mise en scène par rapport aux sentiments des personnages. Par moment, la mise en scène se fait baroque, elle est un personnage parfois autonome. Ainsi le plan de Walker sur les barbelés mais aussi la fin où, lorsque Walker se rejette dans l'ombre dans l'espoir de se soustraire aux gangsters, le plan qui démarre sur l'autre rive pour cadrer la prison d'Alcatraz où il est traqué dit le peu d'espoir qu'il a d'échapper à la mort. Tout aussi baroque est le roulé-boulé de Walker sur Chris qui se transforme en Lynne alors que lui-même se transforme en Reese dans une sorte de cauchemardesque relation quadrangulaire où tout se vaut et où personne ne s'assume plus. Autonomie avec le point progressif de la caméra, passant des rideaux qui font comme une trame derrière laquelle apparaît Walker jusqu'au point sur lui.

Pour figurer l'affrontement entre l'homme du passé, Walker, qui croit résoudre ses problèmes en marchant, et l'organisation invincible qui l'encercle et l'enferme, Boorman a recourt au montage. Montage d'abord de Walker marchand dans le couloir avec en parallèle Lynne se maquillant, se regardant tristement dans des miroirs démultipliés chez elle ou dans un salon de beauté ou Walker lui-même approchant. Ce montage parallèle entre une action symbolique et les plans de la réalité de la chasse sont liés par le son réverbéré et mixé très fort des pas de Walker s'approchant de la porte de Lynne. Lorsque Lynne rentre chez elle et ferme la porte, le son des pas atteint son intensité maximum. La symbolique rejoint la réalité et Walker bâillonne de sa main Lynne avant de se précipiter dans la chambre où il décharge son revolver sur le lit vide. A cette impuissance du trajet répondront tous les flashs mentaux qui propulsent les scènes du passé dans un présent ou rien ne change, où tout est toujours pareil : un réveil ressemble à un autre, un mort à un autre et laissent Walker enfermé dans sa prison mentale.

Ce que remet ici en cause Boorman c'est la légitimité de l'action. A quoi bon agir lorsque personne n'est responsable ? Walker aura beau abattre une tête de l'organisation, toujours une autre est là, prête à repousser. Si le film n'est pas un film de gangsters puisque centré sur Walker l'innocent, il ne tue personne, tous meurent dans leur propre piège ou par accident, il n'en est pas moins un film important au titre de l'évolution de la description des bandes organisées américaines. L'Organisation décrite avec peu de moyens, des immeubles et des bureaux ordinaires, des costumes et des activités passe-partout préfigure la description des bandes mafieuses qui constitueront l'essentiel des films de gangsters à partir du Parrain de Coppola (1972).

On retrouve dans le film les figures de la modernité qui marqueront le cinéma américain des années 70 : brouillage des repères, dans la mise en scène, dans le récit, dans la perception qu’ont les personnages du monde qui les entoure, perte de sens, le parcours du héros n’épouse plus une trajectoire morale, empêchement de l’identification du spectateur, refus de la psychologie, dialogues minimalistes ou non signifiants. Boorman se sert pour travailler de l’intérieur les codes du film noir. Il les défragmente, en propose une relecture à l’aune de ce qu’est devenu l’Amérique dans les années 60 (paranoïa, théorie du complot...) et plie leur logique habituelle à l’univers mental de son héros. Montage fracturé, ralentis et essais expérimentaux font partager la trajectoire de Walker.

Boorman utilise un code classique du film noir, l'individu seul face au système, pour in fine le contredire. Mais il évacue toute notion de rédemption, thème central du cinéma noir, ainsi que tout effet cathartique pour ne garder du genre que l’absurdité des trajectoires humaines, l’implacable présence du mal et la déshumanisation et la monétarisation de la société.

Point Blank, avec ses images saturées de couleurs et de lumières, est un film aveuglant. Le fait de remplacer la nuit par le grand jour crée le sentiment d’un monde où tout est visible, mais où rien ne se voit ; et Walker se trouve confronté tout au long du film à des figures anonymes empêtrées dans un monde de manipulation et de surveillance, éléments symptomatiques de l'ère post-Kennedy. En quittant les ruelles sordides noyées de brouillard et d’ombres pour les grands espaces désertiques et vitrés de la cité, Boorman plonge le spectateur dans un monde déshumanisé.

Distribution

  • Lee Marvin  : Walker
  • Angie Dickinson : Chris
  • Keenan Wynn  : Yost
  • Carroll O'Connor  : Brewster
  • Lloyd Bochner  : Frederick Carter
  • Michael Strong  : Stegman
  • John Vernon  : Mal Reese
  • Sharon Acker  : Lynne
  • James Sikking  : Homme au fusil

Fiche technique

  • Titre original : Point Blank
  • Réalisation : John Boorman
  • Scénario : Alexander Jacobs, David Newhouse et Rafe Newhouse d'arès le roman The Hunter de Donald E. Westlake
  • Production : Judd Bernard et Robert Chartoff
  • Société de production : Metro-Goldwyn-Mayer
  • Musique : Johnny Mandel
  • Photographie : Philip H. Lathrop
  • Montage : Henry Berman
  • Durée : 92 minutes
  • Dates de sortie : 30 août 1967
    • France : 5 avril 1968
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