Le Refuge

De Cinéann.

Le Refuge film français de François Ozon, sorti en 2010.

Analyse critique

Mousse et Louis sont jeunes, beaux et riches ; ils s'aiment. Cependant, la drogue a envahi toute leur vie. Un jour, c'est l'overdose et Louis meurt. Mousse, elle, survit, mais les médecins lui apprennent qu'elle est enceinte.

Dans les premières séquences, le ton est donné par une bourgeoise a l'air d'un oiseau de proie. « Vous n'allez pas le garder, n'est-ce pas ? Ce serait très risqué, pour ce bébé, d'avoir une mère droguée... » Elle fixe cette jeune femme, héroïnomane et vivante, alors que son fils à elle est mort d'un excès de drogue frelatée. « Nous ne tenons pas, dans la famille, à ce que Louis ait une descendance, dès lors qu'il n'est plus parmi nous. » Mousse ne se savait pas enceinte. C'est à peine si elle se croit vivante. Ce bébé, elle n'y tient pas plus que ça, mais le regard de cette femme la pousse à le garder. Perdue, elle s'enfuit dans une maison loin de Paris, sur la côte basque, une maison au soleil, près de l'océan, prêtée par un ex . Quelques mois plus tard, Paul , le jeune frère de Louis, en route pour l'Espagne, la rejoint dans son refuge. Tout d'abord gênée et tendue par son visiteur, Mousse finit par apprécier sa présence, qui lui rappelle Louis. Paul est beau, gay, gentil, lisse comme un galet. Curieusement, c'est auprès de ce pâle reflet de l'autre, de cette page blanche, que Mousse va entreprendre une « ré-éducation sentimentale ».

Une certaine crudité plane sur Le Refuge, lorsque des jeunes gens cherchent à tâtons, pour s'inoculer la mort, les veines de leur cou. Et des zébrures d'inquiétude traversent le film comme l'étrange rencontre, sur une plage, de Mousse avec une femme (Marie Rivière) dont la tendresse se métamorphose vite en folie. Cependant, Le Refuge fait lentement cheminer ses personnages vers la lumière. C'est qu'avec cette jeune femme qui a frôlé la mort et cet ado attardé dont on va, peu à peu, découvrir les meurtrissures, Ozon filme un couple de chats échaudés qui se méfient trop des autres et d'eux-mêmes pour attendre quelque chose de l'avenir.

Au moment de quitter « le refuge », après leur nuit d'amour, il demande à Mousse si elle souhaite qu'il reste davantage. « Il faut que j'apprenne à être seule », lui répond-elle. Paul n'insiste pas : il s'en va. La maternité de Mousse ne la trouble pas plus : ce bébé qu'elle sent, sans déplaisir aucun, bouger dans son ventre n'est qu'un lien ultime et inattendu avec l'homme dont elle a partagé, un moment, la vie et avec qui elle aurait dû mourir. Dans Le Temps qui reste, le jeune homo décidait, avant de disparaître, d'avoir un enfant, pour laisser une trace dans le temps. Ici, c'est un hétéro (incarné par le même comédien) qui semble donner, par sa mort, à son frère gay la possibilité d'être père : magnifique séquence où Mousse aperçoit dans les yeux de Paul, en extase devant le bébé de son frère, une joie qu'elle n'éprouve pas.

Mousse est enceinte, comme Isabelle Carré sur le tournage. Ce corps portant les enfants, c’est l’objet du désir du cinéaste, l’intention première du film. François Ozon confie sa fascination pour ce mystère qui le dépasse, comment se fabrique la vie. Isabelle Carré est troublante sous la caméra d’Ozon : souvent filmée en gros plan, son visage se transforme de scène en scène, il est l’illustration de ses sentiments, aux dépends de la parole, de l’épanchement sur ses sensations. Un visage tour à tour sombre ou lumineux, comme en écho aux très belles premières images des visages des amants, penchés sur la drogue, de nuit, regards baissés, puis éblouissants de clarté pure, beaux, nets et habités, dans le rêve de Louis. Mis en scène dans des plans souvent fixes, le corps de l’actrice devient la présence même du cadre, sur la plage, dans l’herbe molle et grasse, dans le bain. Ozon tourne autour de ce ventre mystérieux, significatif d’une réalité abstraite, d’un futur au figuré. Le temps du film, définitivement, est le présent. Et, plus encore que Mousse, c’est Paul qui devient dépositaire du futur caché dans le ventre féminin. En s’intéressant à la maternité, c’est presque davantage sur la paternité « impossible » de Paul que le cinéaste s’interroge. Les choses se déroulent parfois à l’écran comme si la maternité de Mousse était un prétexte à cette interrogation, à ce trouble. Derrière une caméra qui érotise par moments le personnage de Paul tout autant que l’acteur qui l’incarne, multiplication des gros plans sur sa peau nue sortant de l’océan, sous la douche, focus sur peau-bronzée, on sent poindre les interrogations d’Ozon lui-même sur l’accès à la parentalité en tant qu’homosexuel.

Déclarations de François Ozon

Il y a un an, une amie comédienne m’appelle pour m’annoncer une bonne nouvelle : elle était enceinte. Deux jours plus tard, je l’appelle et lui propose qu’on fasse un film autour de sa grossesse. Dans un premier temps, elle était ravie mais au bout d’une semaine, elle se rétractait. C’était son deuxième enfant, elle savait ce que ça représentait et elle ne se sentait pas capable d’être à la fois actrice et enceinte. J’étais prêt à abandonner ce projet quand ma directrice de casting, Sarah Teper, m’informe : «Trois actrices à Paris sont enceintes, dont Isabelle Carré...» Aussitôt, le désir est revenu, l’image d’Isabelle, jeune fille que j’imaginais pas encore femme, m’inspirait. Je l’ai appelée, on s’est vu, je lui ai raconté mon projet, elle a réfléchi deux jours et elle m’a dit oui.

Depuis longtemps, je rêvais de faire un film avec une actrice vraiment enceinte. La maternité est un thème que j’ai souvent abordé mais je n’avais jamais traité la grossesse en tant que telle. Elle était soit ellipsée, soit montrée rapidement avec un faux ventre, soit le film commençait après la naissance.

Une femme enceinte est fascinante à regarder. Ce corps qui se métamorphose, s’arrondit... C’est très attirant, sensuel et mystérieux. Je me sens un peu comme les personnages de Marie Rivière et du dragueur dans le film... Tout le monde a envie de toucher une femme enceinte ! J’ai tout de suite dit à Isabelle : «Je veux de l’érotisme autour de ton corps, de ton ventre. Il faut qu’il soit très présent, visible. Je vais le filmer, le caresser, c’est l’enjeu du film.» C’est par ce ventre qu’une renaissance s’opère. C’est aussi autour de lui que se noue la relation entre Mousse et Paul. Il est le centre de leur rencontre.

Dans notre société, la maternité est idéalisée, associée à une imagerie extrêmement positive. Je voulais montrer que les choses sont souvent plus complexes. L’instinct maternel ne va pas de soi. La maternité de Mousse n’est pas vécue dans une logique de procréation. Elle s’avère avant tout un moyen d’accepter la disparition de Louis, de faire un deuil. Porter et transmettre la vie comme un moyen de panser la douleur et l’injustice de la mort de l’être aimé. Le corps de Mousse n’est qu’un endroit de passage, le lieu d’une transmission. Souvent, les toxicos qui essayent de décrocher sont extrêmement clairs sur leurs états et leurs désirs. Leur sensibilité est très aiguisée. Mousse est très lucide sur sa situation. Elle ne se ment pas, elle fait finalement le choix de sa vérité, disparaître plutôt que de faire semblant d’être mère.

L’appartement où Mousse et Louis se droguent est une sorte de cocon, de refuge dans lequel ils se sont barricadés. Mais Mousse va devoir en sortir et affronter la réalité du monde extérieur. Elle est violentée, meurtrie par la mort de Louis, puis blessée par sa belle-mère qui lui demande d’avorter. Finalement, elle quitte le refuge de la drogue pour trouver un autre refuge, loin de la ville, proche de l’océan et de la nature, dans lequel elle va recevoir des coups, mais aussi réussir à se réconcilier avec elle-même. Dans ce lieu, Mousse s’ouvre à des moments d’apaisement et de tendresse qu’elle ne se permettait pas jusque-là.

Distribution

  • Isabelle Carré : Mousse
  • Melvil Poupaud : Louis, le petit ami de Mousse
  • Marie Rivière : la femme sur la plage
  • Louis-Ronan Choisy : Paul, le frère de Louis
  • Pierre Louis-Calixte : Serge, le petit ami de Paul
  • Claire Vernet : la mère de Louis et de Paul
  • Nicolas Moreau : le riche dragueur
  • Jérôme Kircher : le médecin au réveil de Mousse
  • Jean-Pierre Andréani : le père de Louis et de Paul
  • Emile Berling : le jeune dealer

Fiche technique

  • Titre : Le Refuge
  • Réalisation : François Ozon
  • Assistant-réalisateur : Arnaud Estérez
  • Scénario : Mathieu Hippeau et François Ozon
  • Photographie : Mathias Raaflaub
  • Montage : Muriel Breton
  • Musique originale : Louis-Ronan Choisy
  • Producteur : Claudie Ossard
  • Durée : 90 minutes
  • Date de sortie : 27 janvier 2010

Distinction

  • Festival de San Sebastian 2009 : Prix spécial du jury


Retrouvez tous les détails techniques sur la fiche IMDB

refugeozon.jpg

Outils personnels

Le cinéma de Nezumi; les artistes contemporains / Randonnées dans les Pyrénées

Les merveilles du Japon; mystérieux Viêt Nam; les temples et des montagnes du Népal ; l'Afrique