Le Sourire de ma mère

De Cinéann.

Le Sourire de ma mère , film italien de Marco Bellocchio, sorti en 2002

Analyse critique

Ernesto est un peintre plus ou moins connu, illustrateur de contes pour enfants, séparé de sa femme et père d'un petit garçon. Un jour, il apprend que l'Église veut sanctifier sa mère. Ernesto désapprouve cette initiative, prise par une partie significative de sa famille, car en complète opposition avec son athéisme et sa vie d'artiste. Alors que les préparatifs s'intensifient, les conflits ne tardent pas à s'amplifier.

Sa mère béatifiée ? le ciel tombe sur la tête de ce quadragénaire revenu de tout. Y compris de la foi, même si le cardinal qui le convoque lui fait remarquer qu'il a un léger tremblement dans la voix lorsqu'il se proclame incroyant. Il revoit sa mère comme une femme stupide, au sourire imbécile, dont il a hérité et qui lui vaut plein d'ennuis, y compris un duel avec un bellâtre vieillissant et narcissique. Elle fut assassinée, jadis, par l'un de ses fils, simple d'esprit muré, depuis, dans un silence obstiné. L'Église est formelle : si l'assassin a tué sa mère dans son sommeil, pas question de sanctification ! S'il l'a frappée alors qu'elle l'implorait de cesser de blasphémer, tout devient possible.

Dans sa famille, tout le monde savait, ses deux frères, l'épouse, dont il vient de se séparer, et ses nombreuses tantes, dont l'une, Maria, lui ordonne carrément de cesser de faire l'enfant. Il ne s'agit pas de foi, lui dit-elle, en substance. En Italie, une famille digne de ce nom ne peut survivre sans protection. « Que ce soit la franc-maçonnerie, l'Opus Dei, l'institut Gramsci, les franciscains ou même l'ordre des chasseurs », énumère-t-elle. Une sainte rendrait aux Picciafuoco leur honneur perdu. Et elle conclut dans un sourire  : « Je ne crois pas en Dieu, mais je ne suis pas infaillible. S'il existe, il me pardonnera. »

Sergio Castellitto, fabuleux dans le rôle d'Ernesto, promène son visage fatigué et abasourdi dans un monde qui, soudain, se délite et se dérobe. Les mouvements de caméra, les décors participent à ce vertige léger qui saisit Ernesto Picciafuoco et ne le lâche plus. Une jeune femme s'introduit chez lui, Diana. Elle est la professeur de catéchisme de son fils, dont il est tombé amoureux au premier regard. Sauf que Diana n'est pas qui elle prétend être. Elle cache son identité, exactement comme elle se dissimule dans l'appartement d'Ernesto, même lorsqu'il est là. Il ne la voit pas. Elle l'épie et se glisse dans un couloir, tandis qu'il entre dans une chambre. Jeu de cache-cache, trouble et légèrement angoissant, entre quelqu'un qui doute et quelqu'un qui ment.

Dès les premières images, un petit garçon,le fils d'Ernesto, se bat, dans son jardin contre un adversaire invisible. « Va-t'en ! Ne reste pas là ! Laisse-moi ! » crie-t-il. Sa mère lui demande qui il chasse ainsi. « Dieu, lui répond le petit garçon. Ma prof de catéchisme m'a dit qu'il était partout. Si c'est vrai, je ne serai plus libre une seule seconde. »

Le Sourire de ma mère n'est pas un pamphlet contre la foi sincère, mais contre ceux qui l'utilisent, les pharisiens, les marchands du temple. Et c'est, dans une mise en scène dépouillée, méditative, une réflexion magnifique sur la liberté et la révolte. Que Dieu s'en aille, donc, afin qu'on puisse librement l'accepter ou le rejeter. Quant à la révolte, c'est celle du frère assassin. Il ne sort brusquement de son mutisme que pour hurler des imprécations.

Interdit aux mineurs en Italie, Le sourire de ma mère a été villipendé par plusieurs évêques du Vatican, allant même jusqu’à le faire interdire dans les nombreuses salles en Italie appartenant à l’Eglise. Bien que le film soit totalement dénué de scène pornographique ou sanguinolente, le film provoque l’Italie, et tout particulièrement ses décideurs et ses religieux. Mise à nue, l’Eglise est montrée comme une entreprise de loto parfaitement organisée et omnipotente. Bellochio rature alors l’image lisse des vitrines du Vatican et fait vœu d’iconoclasme, à l’image de son héros anti-héros.

« Voici un film habité par une véritable rage. Un film comme il est devenu exceptionnel d’en rencontrer sur les écrans. Élégant, complexe, subtil, et pourtant porté d’un seul élan par une fureur sans appel contre l’obscurantisme, la compromission, la veulerie. À cette colère qui semble d’un autre temps répondent les cibles explicites que le film vise : les manœuvres des corridors du Vatican, la vieille noblesse ultraréactionnaire, les arrivismes d’une bourgeoisie sans scrupule, la bigoterie. Bellocchio filme les uns et les autres avec une extrême sensualité. Il caresse littéralement les corps et les visages, enveloppant et unifiant ce monde disparate et artificiel dans une nappe cotonneuse, mystérieuse, tour à tour émouvante et effrayante. » Jean-Michel Frodon, Le Monde, 2001

Distribution

  • Sergio Castellitto : Ernesto
  • Jacqueline Lustig : Irene
  • Chiara Conti : Diana
  • Alberto Mondini : Leonardo
  • Gianni Schicchi : Filippo Argenti
  • Maurizio Donadoni : le cardinal Piumini
  • Gigio Alberti : Ettore
  • Bruno Cariello : Don Pugni
  • Renzo Rossi : Baldracchi
  • Piera Degli Esposti : Zia Maria
  • Donato Placido : Egidio

Fiche technique

  • Titre original : L'ora di religione (il sorriso di mia madre)
  • Réalisateur: Marco Bellocchio
  • Scénario : Marco Bellocchio
  • Production : Marco Bellocchio, Sergio Pelone
  • Musique : Riccardo Giagni
  • Photographie : Pasquale Mari
  • Montage : Francesca Calvelli
  • Durée : 103 minutes
  • Date de sortie : 19 avril 2002
  • Prix œcuménique avec mention spécial au Festival de Cannes 2002

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