Les Anges violés

De Cinéann.

Les Anges violés (犯された白衣 ), film japonais de Koji Wakamatsu, sorti en 1967

Analyse critique

Un intrus est invité par des infirmières à pénétrer leur dortoir, et à assister discrètement aux ébats de deux d’entre elles. Cette relation charnelle intrigue la plupart des femmes qui se précipitent à la porte pour les observer à travers un petit trou. Mais l’homme se révolte, en exécutant froidement l’une des femmes en pleine action. Faisant ainsi basculer l’atmosphère du dortoir dans la peur et la crainte.

Wakamatsu présente l’homme en une succession d’images fixes alternant son image avec des photos de magazines. Il apparait un être frustré en marge de la société. Toutes ces images font appel au désir, elles semblent promettent ce qui jamais ne pourra se réaliser. Mettant l’homme face à son impuissance, uniquement capable d’effleurer ces images sans en connaître l’once de réalité. Le désir est partout, dans la rue ou dans les magazines, même dans les œuvres d’art, mais jamais rien ne se concrétise. Cette succession d’images rythmée par une douce musique dévoile aussi l’état de la société japonaise. Tout est simplement figé et sans vie, il n’y a que la musique pour rappeler l’existence d’une chaleur humaine.

L'école d'infirmière est un lieu clos où les femmes sont deux par chambre et ne communiquent pas entre elles. D’où la curiosité suscitée par la relation charnelle de deux femmes ayant brisé la distance et l’indifférence pour satisfaire un désir sans honte. Le voyeurisme des femmes est grossier, elles se contentent d’aller regarder à plusieurs par un même trou. Cette attitude va leur être fatale. Au lieu d’appeler la police ou du moins de se protéger de l’intrus, elles l’invitent à assister au spectacle. Tout est fait pour ne pas perturber la relation, quitte à agir bizarrement.

L’incompréhension entre lui et les femmes va durer tout le film. Dès qu’il sort son revolver, il se place comme un dominateur inspirant la crainte. À ce moment là, Wakamatsu place le personnage face à la caméra, braquant littéralement le spectateur. Le réalisateur détourne explicitement le genre, il ne cède pas au voyeurisme. C’est en tuant qu’il semble prendre conscience de l’être et qu’il peut constater les conséquences d’une action. Avec la première tuée, la plupart des femmes se mettent à pleurer et à chercher une solution pour en sortir. C’est aussi la première fois que les femmes vont pouvoir prendre une initiative et donc se dégager non seulement de leur peur mais surtout de leurs apparences.

Devant l’homme, l’une décide de se sacrifier et d’offrir son corps. Elle pense sans doute satisfaire son désir en proposant sa chair, mais la vulgarité et l’arrogance de la femme repoussent l’homme dans son impuissance. En se soumettant, la femme veut prendre le contrôle de la situation, exploiter la faille de l’inconnu pour le dominer. Impuissant, il ne peut rien faire, sauf lui faire ravaler sa fierté en la visant au cœur.

Après ces deux morts, le film prend une autre tournure. La raison, c’est l’ouverture d’un dialogue entre les femmes restantes et le bourreau. Ce dialogue est initié par la seule femme restant à l’écart du groupe, celle qui ne bougera pas pour regarder par le trou, celle qui ne pleurera pas pour ses camarades, celle sans qui l’homme ne serait pas là. Mais cette femme, calme et curieuse, se fait dominer par une autre qui s’impose. Ce monologue est un plan séquence durant lequel la caméra erre d’un personnage à l’autre à travers la chambre mortuaire. Entre le bourreau et cette femme, il y a un corps inerte servant pratiquement de pont.

La mort de ces femmes n’est pas qu’un pas vers la libération du frustré mais est aussi une manière de livrer sa vision du sexe féminin. Une vision très éloignée des coupures de magazines et autres publicités. A partir de là, il ne s’agit plus d’abattre froidement des femmes, mais de torturer clairement le corps. Il manipule la chair pour en faire une œuvre d’art, la victime bénéficiera d’un plan en couleur relevant toute l’horreur de la situation. De même lorsque les cadavres seront réunis pour donner le plan le plus connu du film, des corps entourant les amants libérés.

La première à rentrer en contact avec l’inconnu sera épargnée pour devenir une sorte d’égale. Elle le complète, comblant un manque. Tous les deux ont une liaison qui déplace le film sur une plage imaginaire filmée avec un filtre bleu. Mais l’homme ne fait que courir après son bonheur, pourchassant une femme ou une mère qui sait dans tous les cas lui apporter le calme et la paix. Par la violence, l’inconnu exprime son besoin de repères, de pouvoir être entendu, il massacre l’apparente innocence d’un système rigide, pour mieux affirmer ses idées.

Tourné en trois jours, d’une durée de 56 minutes, Les Anges violés n’était au départ destiné qu’aux salles de cinéma underground ; ce fut pourtant sa sélection à Cannes qui fit connaître Wakamatsu en Occident. Du fait divers original, le massacre d’infirmières à Chicago par un déséquilibré, Wakamatsu ne conserve que la trame, transformant le foyer d’infirmières en espace mental où le meurtre tient lieu d’unique communication. En achevant le film sur des images de la guerre du Vietnam et d’émeutes, Wakamatsu articule les deux fronts essentiels de son cinéma : le refoulement sexuel et la répression politique.

Distribution

Angesvioles.jpg
  • Juro Kara : le garçon
  • Keiko Koyanagi  : Chef Infirmière
  • Miki Hayashi : Infirmière
  • Shoko Kido  : Infirmière
  • Makiko Saegusa  : Infirmière
  • Michiko Sakamoto  : Infirmière
  • Kyôko Yayoi  : Infirmière

Fiche technique

  • Titre original : 犯された白衣 Okasareta hakui
  • Réalisation : Kôji Wakamatsu
  • Scénario : Masao Adachi, Juro Kara, Kôji Wakamatsu, Haruno Yamashita
  • Musique originale : Koji Takamura
  • Image : Hideo Itoh
  • Montage : Fumio Tomita
  • Noir et blanc, séquences en couleur
  • Durée : 56 minutes
  • Date de sortie : mars 1967


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