Madres paralelas

De Cinéann.

Madres paralelas , film espagnol de Pedro Almodóvar, sorti en 2021

Analyse critique

A la recherche de la dépouille de son grand-père tué pendant la guerre d'Espagne, Janis, photographe pour la presse, rencontre Arturo, un anthropologue chargé de fouiller une fosse commune. Rapidement, des liens se nouent entre eux, et Ana tombe enceinte de cet homme séduisant mais marié. Alors que l'accouchement se rapproche, elle fait la connaissance d'Ana, une toute jeune femme mineure qui attend elle aussi son premier enfant. Malgré ses propres craintes, elle trouve la force de réconforter cette dernière, effrayée à l'idée de devenir mère.

Malgré un travail de photographe pour papier glacé et un magnifique appartement, la vie de Janis baigne ainsi dans une indéfinissable tristesse, une inquiétude diffuse. La mère célibataire gère son quotidien, femme de ménage, nounou à domicile, avec froideur. Elle s’est accommodée de la perspective d’élever seule son enfant.

L’Espagne dépeinte par le cinéaste n’en finit pas de panser les plaies causées par des décennies de franquisme, jusqu’au milieu des années 70. Pays non réconcilié, puisque l’ancien dictateur a toujours des fans, mais surtout meurtri. L’arrière-plan très présent de Madres paralelas et la hantise de Janis sont la fosse commune où furent jetés certains de ses aïeux par des phalangistes, près de son village. Depuis, une loi d’amnistie invitant les Espagnols à un « pacte de l’oubli » (en 1977) a rendu difficile ou impossible l’ouverture de telles fosses. Janis se bat pour faire déterrer les victimes et les rendre à leurs familles. Un juriste et anthropologue en position de l’aider est ainsi apparu dans sa vie et devenu le père supposé de son enfant.

Le thème de la restitution, Almodóvar le développe aussi au présent, à travers l’histoire d’un échange malencontreux des deux bébés à la maternité. Contre toute attente, le réalisateur issu de la Movida, et chantre, alors, des familles électives, biscornues, fondées sur les seules affinités, signe donc, aujourd’hui, un éloge des liens du sang : tout le film tend à ramener chacun(e), vivant ou mort, auprès de sa famille biologique, d’une manière ou d’une autre. Mais ce mouvement n’a rien d’un repli. Il tient davantage d’un nécessaire travail de mémoire, de connaissance de soi et des autres.

L’articulation, passablement rocambolesque, entre les deux intrigues, et l’échange de nourrissons évoqueraient les trafics de bébés organisés avec la complicité de l’État sous Franco. Or ce parallèle-là n’est jamais explicité par les personnages. Le destin en marche, le tragique des existences s’y expriment comme chez bien peu de cinéastes aujourd’hui, remarquablement incarnés par Penélope Cruz (prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise) et ses partenaires, moins connus (Milena Smit, la jeune mère, Israel Elejalde, l’anthropologue).

Dans Étreintes brisées (2009), on pouvait apercevoir, saisi en gros plan, le script d’un long-métrage intitulé Madres paralelas. Plus tard, c’est une affiche du même film que l’on voit trôner à l’entrée du bureau du héros, un scénariste réputé. Ces occurrences d’un projet à venir, avaient peut-être valeur de rappel intime, qu’un jour, lui, le plus grand cinéaste espagnol vivant, s’attelle à réaliser ce scénario et évoque enfin le passé franquiste de son pays.

Il y a quelque chose de très émouvant à voir un cinéaste de 72 ans attendre patiemment le bon moment pour se confronter à ce qu’il n’avait encore jamais filmé. Sans doute fut-il pressé par les débats passionnés sur la mémoire de la guerre civile, qui divisent les Espagnols en deux camps : ceux qui n’estiment pas nécessaire de rouvrir les plaies, et les autres, partisans d’un travail de mémoire où tout reste à faire, et d’abord exhumer les corps des victimes enterrées dans des charniers franquistes dispersés dans tout le pays.

Distribution

  • Penélope Cruz : Janis Martinez
  • Aitana Sánchez-Gijón : Teresa
  • Milena Smit : Ana
  • Rossy de Palma : Elena

Fiche technique

  • Scénario et réalisation : Pedro Almodóvar
  • Photographie : José Luis Alcaine
  • Montage : Teresa Font
  • Producteurs : Agustín Almodóvar et Esther García
  • Société de production : El Deseo
  • Durée : 120 minutes
  • Dates de sortie : 1er septembre 2021 (Mostra de Venise)
    • France : 1er décembre 2021
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