Mia madre

De Cinéann.

Mia madre , film italien de Nanni Moretti, sorti en 2015

Analyse critique

Margherita est une réalisatrice en plein tournage d’un film dont le rôle principal est tenu par un célèbre acteur américain. À ses questionnements d’artiste engagée, se mêlent des angoisses d’ordre privé : sa mère est à l’hôpital, sa fille en pleine crise d’adolescence. Et son frère, quant à lui, se montre comme toujours irréprochable. Margherita parviendra-t-elle à se sentir à la hauteur, dans son travail comme dans sa famille ?

Mia Madre revient aux sources de l'autofiction de Moretti, le personnage principal est cinéaste, il rouspète et s'inquiète, en proie au doute, fragilisé par la mort annoncée de sa mère, naguère enseignante de latin très estimée. Mais ce n'est plus Moretti qui interprète ce personnage obsessionnel et irascible, mais un alter-ego au féminin, Margherita Buy, comédienne devenue régulière, qui a déjà tourné deux fois avec lui.

On la voit ici en plein tournage d'un film autour d'une usine en lutte, avec des ouvriers refusant les licenciements. Dedans joue un acteur américain un peu raté, embauché par amitié et qui s'avère vite très pas vraiment professionnel et capricieux. De plus il souffre de prosopagnosie, (comme Brad Pitt, en réalité) et ne reconnait pas les visages; ce qui donne, au début du film une scène cocasse où il drague la réalisatrice, pourtant amie de longue date, alors qu'elle vient le chercher à l'aéroport.

Il y a des moments irrésistibles dans Mia Madre, comme cette scène maintes fois recommencée et loupée à chaque fois, de Turturro filmé au volant d'une voiture. Ou cette autre, où il est incapable de dire deux répliques simples comme bonjour. On pense alors au Bill Muray de Lost in translation Mais ce qu'on préfère encore, ce sont ces moments de grâce où la caméra circule comme en rêve, dans les couloirs, l'appartement de la mère, arpenté, caressé comme un lieu riche de mémoire, rempli de livres, d'objets personnels chargés d'histoire. Des rêves ou des divagations, il y en a d'ailleurs, dont un magnifique, sur une ballade mythique de Leonard Cohen (Famous Blue Raincoat), où Margherita longe lentement une file de spectateurs qui semble infinie, devant un cinéma où l'on projette Les Ailes du désir de Wim Wenders.

Nanni Moretti propose une nouvelle tragi-comédie sur la famille, le deuil et le cinéma. Pour autant, le film n’est pas strictement conservateur. Moretti ne dit pas que le monde d’aujourd’hui vaut moins que celui d’hier, seulement qu’il aime le passé et ne prend pas le temps de tant goûter le présent. Ici, par exemple, le cinéma contemporain n’existe pas et les citations cinéphiles renvoient inlassablement à des amours de toujours, de Wim Wenders au film noir hollywoodien des années 1950. La revalorisation des racines, celles d’un présent et d’un futur qui ne sont déjà plus les siens mais ceux de la génération suivante, personnifié par le personnage de sa nièce, passe aussi par la prépondérance du latin au sein de l’intrigue. Son instruction, généralement remise en question aujourd’hui, ne l’est aucunement par la famille de Margherita. Plus le récit avance, plus la langue morte reprend vie. Leçon imposée pour l’adolescente, le latin devient un plaisir partagé par sa mère, son oncle et sa grand-mère.

«  Mia madre est cette œuvre pascalienne qui enterre votre mère, voit partir vos enfants et vous indique en un mot à quel point de dépossession le travail du temps finit par vous assigner. Or, le même film qui nous donne pour ainsi dire l’heure de notre mort, en attendant, nous bouleverse et nous maintient vivants. L’utilité de l’art, grande question morettienne, est ainsi démontrée. » Jacques Mandelbaum, Le Monde, 17  mai 2015

Distribution

  • Margherita Buy : Margherita
  • John Turturro : Barry Huggins
  • Giulia Lazzarini : Ada
  • Nanni Moretti : Giovanni
  • Beatrice Mancini : Livia
  • Stefano Abbati : Federico

Fiche technique

  • Réalisation : Nanni Moretti
  • Scénario : Gaia Manzini, Chiara Valerio
  • Photographie : Arnaldo Catinari
  • Montage : Clelio Benevento
  • Production : Sacher Film, Fandango, Le Pacte, Rai Cinema
  • Durée: 106 minutes
  • Date de sortie : 16 avril 2015 (Festival de Cannes)
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