Nuit et Brouillard au Japon

De Cinéann.

Nuit et Brouillard au Japon (japonais 日本の夜と霧, Nihon no yoru to kiri) , film japonais de Nagisa Ôshima, sorti en 1960

Analyse critique

Le film se situe au Japon, l'année même de son tournage, en 1960: On célèbre le mariage de deux jeunes étudiants ayant participé aux événements politiques de la même année. Pour le professeur Udagawa, ce mariage est le symbole d'une réconciliation entre les générations dans le pays, réconciliation ayant déjà débuté par le changement de ligne du Parti communiste japonais. Une partie des étudiants ne semble cependant pas l'entendre de cette oreille. À l'arrivée d'un invité inattendu, accusant ce mariage de trahir la lutte des étudiants, les langues se délient, les tendances s'affirment, les blessures du passé refont surface.

Les attaques fusent de toutes parts : les uns assaillent leurs voisins de reproches, les autres se défendent du mieux qu’ils peuvent. Le film distingue le plan objectif des événements, la séquence du mariage, et une multitude de flashbacks renvoyant aux récits déclamés par chaque intervenant. Le découpage n’obéit qu'à une nécessité interne, les scènes se joignent et se complètent librement les unes aux autres au gré des flux et des reflux de la discussion. Les choses ne sont pas expliquées pour ce qu’elles sont historiquement, mais relèvent d’un vaste imbroglio de points de vue et d’opinions, souvent contradictoires, sur les événements relatés.

Percutant et provocateur, le titre situe le film dans le sillage d’une des périodes les plus cruelles de l’Histoire du vingtième siècle. Même si ce titre est un hommage au Nuit et Brouillard d'Alain Resnais le film d’Ôshima n’aborde à aucun moment la question de la déportation, ni celle des camps, ni même de la seconde guerre mondiale. Le sens du titre, en réalité, est à prendre au pied de la lettre : Nuit et Brouillard au Japon se compose de séquences se déroulant exclusivement la nuit, par temps de brume. Comme le souligne de plus l’un des personnages du film, les protagonistes prennent part aux événements abordés par le récit comme s’ils s’avançaient à tâtons dans la plus totale obscurité.

Film historique, Nuit et Brouillard au Japon traite d’une page particulièrement sombre et mouvementée de l’évolution de la société japonaise. Début 1960, le gouvernement japonais propose de consolider les relations avec les Etats-Unis en avançant un nouveau traité de sécurité qui stipule une fois pour toutes la mise sous tutelle de l’armée japonaise par les américains. En juin, date de la ratification du traité, d’importantes manifestations d’étudiants et d’ouvriers menées par le Parti communiste éclatent un peu partout dans le pays. Durement réprimée aux premiers temps par les forces de l’ordre, la lutte s’essouffle au fil des mois sous l’influence, notamment, de la nouvelle ligne de conduite dictée par le Parti. Même si le président Eisenhower est obligé d’annuler sa visite au Japon et si le premier ministre Nobusuke Kishi se voit contraint de démissionner dans la foulée, le mouvement ne parvient pas à empêcher l’entrée en vigueur du traité. Ce soulèvement de protestation reste cependant la plus importante crise sociale que le Japon ait jamais connue de toute son Histoire. Réalisé à la fin de cette même année 1960, le film d’Ôshima découle directement du malaise perpétré par la colère des manifestants.

Film politique, Nuit et Brouillard au Japon exhibe toute la frustration accumulée par les classes opprimées au sortir de l’après-guerre. Ôshima, en effet, considère les événements de juin 1960 comme l’aboutissement logique des nombreuses manifestations ayant secoué le Japon au cours des années cinquante. Le cinéaste ne se contente pas d’exposer en toute impartialité la situation sociale de son pays, mais exprime le plus clairement possible son point de vue sur les événements dont il a été le témoin. Si Ôshima se place aux côtés des étudiants, le film qu’il tourne cherche bien moins à critiquer les mesures étatiques, répressives et autoritaires qu’à pointer les dysfonctionnements et les incohérences à la base des manœuvres étudiantes. Le message final est clair : c’est bien parce que les étudiants n’ont jamais vraiment réussi à organiser et à conjuguer leurs forces avec les ouvriers que leur combat n’a pas porté les fruits attendus et espérés.

Ce film d’une rare violence qui, pourtant, n’en montre aucune image, tient à préserver la distance entre les événements tels qu’ils se sont produits et ceux tels qu’ils sont montrés. Évincés de toute forme de violence autre que verbale, les tumultes évoqués dans le film sont représentés sous le couvert d’un certain symbolisme. Se détachant sur d’imperturbables fonds noirs, les personnages participent aux tumultes comme s’ils jouaient devant un décor de théâtre. La technique vise à abstraire l’Histoire de ses composantes matérielles, et à empêcher toute identification possible avec les protagonistes. Ceux-ci ne se mettent donc non plus à agir, mais à incarner des idées.

Avec ce film Ôshima décide de revenir sur ce passé de façon extrêmement intelligente et forte. Au lieu de situer uniquement son film dans les années 1950 afin de faire le récit des évènements passés, Oshima a la bonne idée de mélanger passé et présent. En agissant ainsi, Ôshima démontre que les événements politiques qui ont agité les jeunes années des personnages que nous voyons ne sont pas enterrés et oubliés. La page n’est pas tournée. En situant une partie du récit dans une période contemporaine au film, il questionne ceux de sa génération, non pas uniquement en leur rappelant ce que fut cette période pas si lointaine, mais en les bousculant dans leur présent. Ce film réclame des comptes, à l’instar d’un repas de famille qui dégénère au moment où l’un des membres frappe sur la table et souhaite évoquer ce que beaucoup désireraient pourtant occulter de leur vie. Ôshima, à travers ce film, agresse ses anciens amis et souhaite savoir ce qu’ils ont fait de leurs idéaux. Ont-ils tiré un trait sur ce passé afin de s’installer dans un confort bourgeois qui, étant donné leurs origines, leur tendait les bras ?

Toute l’habilité d’Ôshima consiste à faire passer son message politique le plus clairement possible, sans pour autant verser dans le didactisme pesant. Le caractère abstrait du film n’est jamais conçu pour lui-même, mais se voit constamment rattaché à un cadre vivace et fougueux. Esquivant les rapports d’espace et de temps logiques et traditionnels, Nuit et Brouillard au Japon agence les plans les uns à la suite des autres, comme s’ils dérivaient d’une seule et même matière visuelle. Tel plan commence à tel endroit, à telle époque, pour s’achever à un autre endroit, à une autre époque.

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N’admettant aucun rapport de causalité évident, Nuit et Brouillard au Japon s’apparente tout à la fois à un cri de révolte, une invite au changement et un hymne à la révolution. Cette radicalité amène la Shochiku à retirer le film des salles après quatre jours d'exploitation seulement, prétextant des troubles que pouvait causer le film car sa sortie coïncidait avec l'assassinat du dirigeant du Parti Socialiste japonais, Inejiro Asamura. Ôshima, criant au complot politique, claque la porte de cette société de production pour créer la sienne, la Sozocha, en collaboration avec sa femme Akiko Koyama.

Distribution

  • Miyuki Kuwano ... Reiko Harada
  • Fumio Watanabe ... Haruaki Noda
  • Hiroshi Akutagawa ... Asst. Prof. Udagawa
  • Shinko Ujiie ... Mrs. Udagawa
  • Akiko Koyama ... Misako Nakagawa
  • Kei Satô ... Nakamaki
  • Rokko Toura ... Higashiura

Fiche technique

  • Titre original : 日本の夜と霧, Nihon no yoru to kiri
  • Titre français: Nuit et Brouillard au Japon ou Nuit et brouillard sur le Japon
  • Réalisation: Nagisa Ôshima
  • Scénario : Toshirô Ishidô et Nagisa Ôshima
  • Musique originale : Riichiro Manabe
  • Photographie : Takashi Kawamata
  • Montage : Keiichi Uraoka
  • Direction artistique : Kôji Uno
  • Production : Shôchiku Eiga
  • Durée : 107 minutes
  • Date de sortie : 9 octobre 1960 (Japon)


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