Paris, Texas

De Cinéann.

Paris, Texas film allemand et français réalisé par Wim Wenders, sorti en 1984.

Sommaire

Analyse critique

Un homme en costume sombre et casquette rouge marche en plein désert. A partir de là, se reconstitue l'histoire d'un homme brisé par un choc émotionnel violent et qui tente de se retrouver en même temps que nous découvrons son histoire.

Wenders prend à son compte le genre américain du Road Movie pour en faire un film sur la recherche de l'identité d'un homme à la dérive. La musique lancinante de Ry Cooder accompagne ce lent cheminement.

Travis nous apparaît comme surgit de nulle part, se dirigeant vers nulle part. A la fin du film, il s'enfoncera dans la nuit, vers une destination inconnue. Impossible de ne pas songer à l'archétype du héros de western. C'est de l'espace que naît le film. La référence au western est donc naturelle et incontournable comme il était logique et évident que la fascination de Wenders pour le cinéma américain le mène ainsi à se replacer ainsi dans les conditions de surgissement du mythe cinématographique.

L'un des fondements du plaisir intense procuré dès les premiers plans du film tient au sentiment de retour aux origines du cinéma. De l'exploration de l'espace par le regard de la caméra naissent conjointement un personnage et une fiction, celle de la recherche d'une identité à travers la filiation et la (re)constitution d'une famille.

Le titre même du film renvoie métaphoriquement au rapport Europe-USA. A la fascination des européens pour le Nouveau Monde répond celle des Américains pour le vieux continent, enraciné dans le passé. Par là se rencontrent les deux axes du film : l'espace et la filiation. Travis a acheté un terrain à Paris-Texas, là où il fut conçu, d'après ce que lui a raconté le père. Le trajet de Travis répond à l'évolution du cinéma américain d'un espace ouvert et illimité à un espace fermé, délimité par des vitres, des cloisons, des portes, de l'aventure à l'introspection, des déserts aux cabines de peep-show et à l'appartement qui l'isolera finalement Jane et Hunter réunis.

Ce que "Paris-Texas" nous fait découvrir, c'est le rôle même du cinéma, cette possibilité de percevoir la réalité brute, hors de toute catégorie, de tout système qui en effacerait l'originalité absolue. Travis, comme tous les héros de Wenders, ne perçoit pas le monde comme un système cohérent dans lequel il est impliqué, mais comme une succession de moments, d'images, de spectacles dont il devient le spectateur privilégié et qu'il se met alors à découvrir en dehors de sa présence. Seuls les reflets de Jane et de Travis peuvent se fondre sur la glace sans tain, mais eux ne peuvent se parler que par téléphone ou en se tournant le dos.

Le seul amour que peut donner Travis consiste à rapprocher la mère et le fils. Il s'efface devant l'impossibilité d'une relation avec Jane. Sur le plan métaphorique le père justicier issu du mythe du western ne peut que disparaître : la constitution de ce nouvel espace, de cette autre famille se paie de la perte du héros, de sa dissolution dans l'espace et l'absence de lumière.

Le film n'a pas été tourné à Paris au Texas qui est, en fait, loin d'être désertique. En revanche, le tournage a bien eu lieu au Texas, principalement dans la région de Big Bend, à Marathon, Fort Stockton et Nordheim.

Citation
Jane n'était pas seulement le grand désir de Travis et la force qui le pousse à vivre. Moi aussi, je l'ai attendue, plus que je n'ai jamais attendu quelque chose ou quelqu'un dans un film. Nous avons attendu jusqu'à la fin avec Travis, dans l'incertitude et la crainte... Je n'avais jamais fait un film d'amour, je n'étais jamais entré dans cette intimité entre un homme et une femme.
Wim Wenders

Distribution

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Fiche technique

  • Titre : Paris, Texas
  • Titre original : Paris, Texas
  • Réalisation : Wim Wenders
  • Scénario : Sam Shepard, L.M. Kit Carson
  • Production : Anatole Dauman et Don Guest
  • Sociétés de production : Argos Films et Road Movies Filmproduktion
  • Musique originale: Ry Cooder
  • Photographie : Robby Müller
  • Montage : Peter Przygodda
  • Pays d'origine : Allemagne, France
  • Durée : 147 minutes
  • Dates de sortie : 19 mai 1984 Festival de Cannes
    • 19 septembre 1984 France
    • 11 janvier 1985 Allemagne

Récompense

Voir aussi


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Dialogue final

Dans la Cabine "Coffee Shop" - Intérieur soir

TRAVIS
Ces deux-là. Ils s'aimaient. La fille était... très jeune, dans les dix-sept ou dix-huit ans, je crois. Et le type était... nettement plus vieux. Il était plutôt fruste et sauvage. Et elle était très belle, vous voyez?

JANE
Oui.

TRAVIS
Et ensemble ils transformaient tout en une sorte d'aventure, et elle aimait ça. Rien qu'aller à l'épicerie, c'était plein d'aventure. Ils étaient toujours à rire de bêtises. Il aimait la faire rire. Et ils ne se souciaient pas beaucoup du reste, parce que tout ce qu'ils voulaient, c'était être l'un avec l'autre. Ils étaient toujours ensemble.

JANE
Ils ont l'air d'avoir été très heureux.

TRAVIS
Oui, ils l'étaient. Ils étaient vraiment heureux. Et il... il l'aimait plus que tout ce qu'il avait imaginé. [ 5s 93Ko] Il ne supportait pas d'être loin d'elle pendant, pendant la journée quand il allait travailler. Alors il arrêtait. Juste pour être à la maison avec elle. Et puis il trouvait un autre boulot quand il n'y avait plus d'argent, et puis il arrêtait. Mais assez vite, elle a commencé à se soucier.

JANE
De quoi?

TRAVIS
De l'argent, je pense. De ce qu'il n'y en avait pas assez. De ne pas savoir quand le prochain chèque allait arriver.

JANE (rit)
Je sais ce que ça fait.

TRAVIS
Voilà, il savait qu'il devait travailler pour la faire vivre, mais il ne pouvait pas supporter d'être loin d'elle, non plus.

JANE
Je vois.

TRAVIS
Et plus il était loin d'elle, plus il devenait vraiment fou. Il s'est mis à s'imaginer des choses.

JANE
Par exemple?

TRAVIS
Il s'est mis à penser qu'elle voyait d'autres hommes derrière son dos. Il rentrait du travail et l'accusait d'avoir passé la journée avec un autre. Il lui hurlait après et cassait des affaires dans la caravane.

JANE
La caravane?

Il y a un long silence.

TRAVIS
Oui, ils vivaient dans une caravane.
Enfin, il s'est mis à boire vraiment sérieusement. Et il rentrait tard, pour la mettre à l'épreuve.

JANE
Qu'est-ce que vous voulez dire, la mettre à l'épreuve?

TRAVIS
Pour voir si ça la rendrait jalouse.

JANE
Ha!

TRAVIS
Il voulait la rendre jalouse, mais elle ne l'était pas. Elle se faisait juste du souci pour lui, mais ça le rendait encore plus furieux.

JANE
Pourquoi?

TRAVIS
Parce qu'il pensait que si elle n'était jamais jalouse avec lui, c'est qu'elle ne tenait pas vraiment à lui. La jalousie, ç'aurait été un signe de son amour pour lui. Et alors, une nuit... une nuit, elle lui a dit qu'elle était enceinte. Elle était enceinte de trois ou quatre mois, et il ne le savait même pas. Et alors, tout a changé d'un coup. Il s'est arrêté de boire et il a trouvé un travail régulier. Il était convaincu qu'elle l'aimait, maintenant, parce qu'elle portait son enfant. Et il allait se consacrer à bâtir un foyer pour elle. Mais il a commencé à se passer quelque chose de bizarre.

JANE
Quoi?

TRAVIS
Il ne l'a même pas remarqué au début. C'est elle qui s'est mise à changer. Du jour où le bébé est né, tout ce qu'il y avait autour d'elle a commencé à l'irriter. Tout l'énervait. Même le bébé, elle trouvait que c'était une injustice. Il continuait à essayer de tout arranger pour elle. Lui acheter des affaires. L'emmener dîner une fois par semaine. Mais rien ne semblait la satisfaire. Pendant deux ans, il s'est débattu pour revenir à ce qu'ils étaient quand ils s'étaient rencontrés, mais il a fini par comprendre que ça ne remarcherait jamais plus. Alors il s'est remis à boire. Mais cette fois, c'est devenu... mauvais.
Cette fois, quand il rentrait tard le soir, elle ne se faisait pas de souci pour lui, elle n'était pas jalouse, elle était juste enragée. Elle l'accusait de la tenir prisonnière en lui ayant fait un bébé. Elle lui disait qu'elle rêvait qu'elle s'enfuyait. Elle ne rêvait que de ça: la fuite. Elle se voyait la nuit courir nue sur la route, courir à travers champs, courir dans le lit des rivières, toujours courir. Et toujours, juste quand elle allait partir, il était là. Il l'arrêtait, comme ça. C'était juste, il apparaissait et l'arrêtait. Et quand elle lui parlait de ses rêves, il y croyait.
Il savait qu'il fallait l'arrêter ou qu'elle le quitterait pour toujours. Alors il lui a attaché une clochette à la cheville, pour qu'il entende la nuit si elle essayait de sortir du lit. Mais elle a appris à étouffer le son de la clochette en y fourrant une chaussette, et à s'éloigner tout doucement du lit pour aller dans la nuit. Il l'a rattrapée une nuit que la chaussette était tombée et l'a traînée jusqu'à la caravane et l'a attachée à la cuisinière avec sa ceinture.

Au cours du récit de Travis, Jane s'est mise à pleurer. Les larmes lui coulent sur le visage.

TRAVIS
Il l'a juste laissée là et est retourné au lit et est resté couché là à l'écouter hurler. Puis il a écouté son fils hurler, et il s'est lui-même étonné car il ne ressentait plus rien. Tout ce qu'il voulait c'était dormir. Et pour la première fois, il a souhaité être très loin. Perdu dans un vaste pays profond, où personne ne le connaîtrait. Quelque part sans langage ni rues. Et il a rêvé de cet endroit sans en connaître le nom. Et quand il s'est réveillé, il était en feu. Il y avait des flammes bleues qui brûlaient les draps de son lit. Il a couru à travers les flammes vers les deux seuls êtres qu'il aimait... mais ils étaient partis. Ses bras étaient en feu et il s'est jeté dehors et a roulé sur le sol humide. Alors il a couru. Il n'a pas regardé une seule fois l'incendie. Il a juste couru. Il a couru jusqu'à ce que le soleil se lève et qu'il ne puisse plus courir. Et quand le soleil s'est couché, il s'est remis à courir. Pendant cinq jours il a couru comme ça, jusqu'à ce que toute trace de l'homme ait disparu.

Jane se redresse lentement, s'essuie les larmes du visage, se lève et va au miroir. Elle s'agenouille devant et met les mains sur la vitre.

JANE
Travis?

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