Promenade avec l'amour et la mort

De Cinéann.

Promenade avec l'amour et la mort (A Walk with Love and Death) film américain de John Huston, sorti en 1969

Analyse critique

Après un générique sur fond de tapisseries médiévales, le film s'ouvre sur le plan large d'un paysage de campagne, brume matinale, un arbre solidement campé au centre. Le mouvement naît à l'horizon, duquel se détache la silhouette d'un marcheur. De sa douce voix de poète, Héron de Foix se présente aux spectateurs distants de plusieurs siècles, ainsi invités à lui emboîter le pas, à l'accompagner le temps de sa ballade, jusqu'au bout du chemin. Un souhait apparemment simple le guide, celui de voir la mer. Le vent de la liberté le grise, il se repaît des beautés de la campagne de France. Un geste de solidarité le touche, la chanson d'une lavandière l'émeut, les répétitions d'une troupe de comédiens le distraient. Mais au sein de cette Nature qui s'annonçait accueillante et nourricière il y a aussi la mort. Huston ne perd pas de temps pour révéler la face sombre de ce paysage, une rivière charrie un cadavre, une plaine est jonchée de dépouilles de cadavres. Héron de Foix, hébergé pour la nuit dans un château, y fait la connaissance de Claudia, fille du Seigneur de Saint-Jean. Cette rencontre et les soulèvements paysans qui se multiplient autour de lui vont bouleverser son existence.

Le film se situe en France, en plein cœur de la Guerre de Cent ans. Laissant derrière lui Paris et l'Université de la Sorbonne, le jeune Héron de Foix prend la route en direction de la mer, qu'il n'a jamais vue. L'Angleterre victorieuse détient en otage le roi de France Jean II, dit Le Bon, depuis la bataille de Poitiers en 1356. Quelques années plus tôt, l'Europe était ravagée par la Grande épidémie de peste. La famine règne. À Paris, les loups déterrent les cadavres. Dans cette atmosphère de déliquescence des autorités, les jacqueries se multiplient. Les paysans attaquent les châteaux, certains s'autoproclament seigneurs, singeant leurs anciens maîtres jusque dans leur arbitraire cruauté. D'un côté comme de l'autre, la justice semble n'être dans aucun camp. Autant d'événements qui ouvrent grande la porte aux prédicateurs d'apocalypse. La guerre, les jacqueries mais aussi les Croisades ont totalement bouleversé les valeurs morales sur lesquelles s'était bâtie la société médiévale. Les superstitions et les hérésies sont plus vivaces que jamais, de misérables pèlerins errent sur les routes chargés de fausses reliques.

De film en film, John Huston met en scène des apprentis aventuriers, individus fiers et libres en quête d'un idéal. Cette quête prend la forme d'une confrontation douloureuse avec un environnement bien précis, patiemment observée par l'œil du cinéaste. Le chemin de Héron de Foix est d'abord illuminé par sa sensibilité de poète. Ses études à la Sorbonne en ont fait un érudit et il souhaite compléter sa formation loin des chaires et des bibliothèques, en allant à la rencontre du monde, dans une volonté d'harmonie et de paix intérieure. Le voyage bascule constamment entre émerveillement et horreur, faisant progressivement disparaître une bonne part des illusions du jeune homme, avec une violence aussi cruelle qu'implacable. S'il reste volontairement imprécis sur les faits historiques pour mieux mettre en avant le caractère intemporel de son film, Huston ne dissimule rien des horreurs de ce Moyen-âge, dont il livre une peinture sans concession.

Le premier regard échangé entre les deux jeunes gens est instantanément chargé du parfum du rêve, rêve qu'on touche et qu'il est possible de réaliser. Contre vents et marées, ils traverseront cette périlleuse époque en allant au bout du désir qu'ils ont l'un de l'autre. Autour d'eux, tout s'effondrera, y compris les préjugés et les différences de classe. Directement victime de la violence des paysans en révolte, Claudia sera un temps animée par l'esprit de vengeance, attitude tout à fait conforme à son appartenance nobiliaire. Se joignant à la répression sanglante menée par une troupe de chevaliers, elle et Héron vont manquer de peu de basculer dans cette même barbarie qui les horrifiait. Las de fuir, Héron et Claudia décident alors de faire face au seul destin digne que semble leur promettre ce monde. Avant que la sauvagerie des hommes et les égarements de la foi n'emportent les derniers débris de l'amour courtois, ils mettront à profit le temps de liberté dont ils disposent encore pour réinventer un monde idéal, paradis sur terre sans croix à porter, sous un ciel bienveillant qui les laisse libres d'aimer.

Le ton qui plane sur le dernier quart d'heure du film est à la fois bouleversant et étrangement apaisé. Le corps s'abandonne à une renaissance d'ordre cosmique, car si la mer n'a pas été atteinte, son rêve demeure, dans sa plus pure intégrité. Huston évite avec intelligence de verser dans le registre mélodramatique. Il conclue son oeuvre sans effusion, sans bruit ni fureur, soucieux de conserver le ton juste et pudique qu'il a respecté jusque là. Cette note finale n'a rien de désespérant, elle est au contraire un chant d'amour, s'élevant bien plus haut que la mort.

Le film a une histoire chaotique. Mise en chantier au printemps 1968, Huston envisage de tourner le film en France, c'est-à-dire dans les lieux-mêmes où est censée se dérouler l'action. Mais en mai, la grève générale qui paralyse le pays rend impossible un tel projet. Une délocalisation est envisagée en Tchécoslovaquie, avant que les chars soviétiques ne viennent compromettre cette solution. En août, l'équipe de tournage s'installe finalement en Autriche, tirant un parti maximum des décors naturels, campagne, églises et châteaux. Tourné en Europe avec un budget réduit et beaucoup d'acteurs inconnus, le film ne rencontre pas le succès à sa sortie aux États-Unis. La Fox s'abstient alors de le distribuer en Europe. La revue Positif parvient néanmoins à organiser une projection dans le cadre de ses soirées consacrées à des inédits. L'accueil est enthousiaste, offrant au film l'opportunité d'une sortie officielle en France début 1970.

C'est la première fois que John Huston dirige sa fille, Anjelica, qui n'est alors âgée que de 16 ans. Son rôle est une transposition dans l'univers médiéval de sa position sociale de jeune fille de famille bourgeoise très aisée, puisqu'elle incarne la noble Claudia de Saint-Jean, fille de l'intendant du roi de France Pierre de Saint-Jean. Pour lui donner la réplique, John Huston choisit Assaf Dayan, le fils de Mosché Dayan, héros de guerre israélien. Assaf Dayan trouve lui aussi dans le film une transposition de sa réalité, jeune homme en rupture de ban avec l'idéologie paternelle et ayant choisi la vie de saltimbanque, à travers le personnage d'Héron de Foix.

La bande originale est confiée au français Georges Delerue. Il livre une magnifique partition d'inspiration médiévale, interprétée sur instruments d'époque, vents et cordes, un genre qu'il a souvent illustré. En parfait accord avec les émotions qui étreignent les personnages, sa musique n'intervient ici qu'aux moments opportuns. Elle s’éteint complètement lorsque les amants seront séparés par les dures lois du monastère qui les a accueillis, laissant le silence résonner entre ces murs froids avant de ressurgir au moment où les cœurs et les corps se retrouvent.

Distribution

  • Anjelica Huston : Claudia
  • Assi Dayan : Héron de Foix
  • Anthony Higgins : Robert de Loris
  • John Hallam : Sir Meles
  • Robert Lang : Chef des pèlerins
  • John Huston : Robert le Père

Fiche technique

  • Titre original : A Walk with Love and Death
  • Réalisation : John Huston
  • Scénario : Hans Koningsberger et Dale Wasserman
  • Musique : Georges Delerue
  • Photographie : Ted Scaife
  • Montage : Russell Lloyd
  • Production : Carter DeHaven pour 20th Century Fox
  • Durée : 90 minutes
  • Date de sortie : 5 octobre 1969
    • France: 18 février 1970
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