4 aventures de Reinette et Mirabelle

De Cinéann.

4 aventures de Reinette et Mirabelle film français réalisé par Éric Rohmer et sorti en 1987.

Analyse critique

Le film est constitué de 4 chapitres, liés entre eux par les deux personnages principaux, mais qui pourraient constituer chacun un court-métrage. Reinette vient de la campagne, n'a jamais été à l'école et peint des toiles en autodidacte qui évoquent de loin le surréalisme. Mirabelle est parisienne, étudiante en ethnologie et c'est à la suite de la crevaison de son pneu de vélo qu'elle rencontre celle qui va devenir sa fidèle amie.

1. L'heure bleue. Mirabelle, blonde et jeune parisienne, est en vacances à la campagne. Elle y rencontre Reinette, une brune villageoise de son âge. Cette dernière lui révèle que la nature connaît, juste avant l'aube, une minute de silence total, lorsque les oiseaux de nuit se couchent et que les oiseaux de jour ne chantent pas encore. Un bref instant magique, baptisé " l'heure bleue ". Après une tentative ratée, par l'intrusion d'un bruit de tracteur et d'aboiements de chien, Mirabelle découvre la vie de la campagne et enfin l'heure bleue. Reinette voudrait faire les Beaux-Arts : Mirabelle lui propose de venir à Paris et de partager son appartement.

"L'heure bleue ce n'est pas une heure, c’est une minute. Juste avant l’aube, il y a une minute de silence. Les oiseaux de jour ne sont pas encore réveillés. Et les oiseaux de nuit sont déjà couchés. Et là, là, c’est le silence. Le silence dans la nature, ça fait peur. (…) C’est le seul moment où on a l’impression que la nature s’arrête de respirer."

2. Le garçon de café. Attendant Mirabelle à la terrasse d'un bistrot parisien, Reinette n'a qu'un billet de 200 francs pour payer son café. Le serveur prétend qu'elle va filer sans payer ! Mirabelle arrive, persuade Reinette de partir effectivement, tant ce garçon est grossier. Reinette retourne le lendemain dans le café en question pour régler sa dette. Malheureusement, le garçon est absent ce jour-là et c'est un collègue qui encaisse à sa place.

3. Le mendiant, la kleptomane, l'arnaqueuse. Reinette décide de donner de l'argent aux mendiants qu'elle rencontre. Mirabelle veut lui montrer que c'est impossible. Mais, un soir, lorsque Mirabelle vient lui raconter qu'elle a aidé une kleptomane, dans un supermarché, à échapper aux inspecteurs du magasin, Reinette est profondément choquée. Le lendemain, Reinette est elle-même victime d'une jeune femme qui lui soutire de l'argent sous prétexte d'avoir perdu son porte-monnaie : un peu plus tard, elle s'aperçoit que la femme ment et " tape " ainsi plusieurs personnes. Reinette va alors lui réclamer son argent. Mais la fille éclate en sanglots. La position de rigueur morale de Reinette n'est pas toujours facile à tenir.

La scène avec l'arnaqueuse Marie Rivière est étonnante car elle met à nu « l'opacité » du Réel. Les principes de Reinette, elle veut récupérer son argent, elle fustige la malhonnêteté, cèdent devant une situation qu'elle ignore et qui lui restera inconnue car l'arnaqueuse fond en larmes. Pourquoi offrir une pièce à un mendiant plutôt qu'à cette femme qui récupère de l'argent par un autre moyen mais qui est, peut-être, dans le même besoin, dans la même détresse ? Malgré ce que peut nous laisser entendre les principes, les grands discours et les idéologies, il y a toujours une facette du Réel qui nous échappe.

4. La vente du tableau. Mirabelle reproche à Reinette de trop analyser et de trop faire de phrases. Reinette qui a décidé de vendre un de ses tableaux pour payer le loyer, parie alors qu'elle est capable de rester toute une journée sans parler. Elle en fait le test dans une galerie où elle va vendre un de ses tableaux, en ne répondant au marchand manipulateur que par des signes de tête. Le propriétaire de la galerie en profite pour payer le tableau moins qu'il ne devrait. Mais Mirabelle, qui est également présente et fait semblant de ne pas connaître Reinette, intervient : elle fait honte au marchand, et celui-ci paye le tableau à son juste prix ! Il le revendra le double.

Fille de la campagne, franche et directe, Reinette s'est constituée un ensemble de principes moraux qui sont un mélange de bon sens populaire (il faut être honnête, aider son prochain...) et de naïveté. Elle semble croire que le langage peut fluidifier les rapports humains et donner un sens au Réel. Or elle va se heurter plusieurs fois à la complexité des choses. D'abord en affrontant la logorrhée d'un garçon de café qui refuse de l'entendre et s'enferme dans un système de raisonnement délirant mais logique, puis en réapprenant les vertus du silence avec le marchand de tableaux alors qu'elle avait fait découvrir celui de la nature à Mirabelle au début du film.

Rohmer déclare
"J'avais envie de retrouver mes racines et le ton des premiers courts métrages que nous avons tournés, Rivette, Truffaut, Godard et moi-même. Je voulais aussi réagir contre le côté tape-à-l'œil et mégalomane du cinéma et revenir à l'amateurisme. Tourner un film que n'importe qui, possédant une caméra vidéo ou super-8 peut parfaitement réaliser avec l'aide de quelques amis."

Le film est en effet tourné en 16 mm, et paraît très simple. Mais c'est oublier que rien n'est plus difficile que d'être simple et que les plus grands auteurs ont travaillé toute leur vie pour y parvenir. La clarté de l'image, la grâce des interprètes, la justesse et la drôlerie des dialogues, parfois improvisés par les comédiennes en témoignent. Et chacune des quatre aventures vécues par les deux amies (Reinette-la-brune, paysanne et puritaine, et Mirabelle-la-blonde, citadine et libertaire) pourrait être à elle seule un "conte moral" de la série précédente des films de Rohmer.

Le bleu et le rouge sont les deux couleurs dominantes de ces films courts. Le bleu envahit cette fameuse minute de silence de « l'heure bleue » que Rohmer parvient à filmer avec une rare intensité et qui dégage une émotion difficilement explicable tant elle est peu tangible. En contrepoint, le rouge, en particulier des robes de Mirabelle plonge le spectateur dans l'agitation de Paris.

Le film doit beaucoup à la jeune Joëlle Miquel, quinze ans à l'époque du tournage. Non seulement elle est actrice principale, mais encore elle co-signe le scénario et réalise elle-même les tableaux qu'elle peint dans le film. Elle sera plus tard écrivain et scénariste.

Distribution

Dans les quatre aventures :

Le Garçon de café

  • Philippe Laudenbach : le garçon de café
  • François-Marie Banier : un passant
  • Jean-Claude Brisseau : un passant

Le Mendiant, la Kleptomane et l'Arnaqueuse

  • Haydée Caillot : la dame charitable
  • Béatrice Romand : l’inspectrice
  • Gérard Courant : l’inspecteur
  • David Rocksavage : le touriste anglais
  • Yasmina Aury : la kleptomane
  • Marie Rivière : l’arnaqueuse
  • Jacques Auffray : le tapeur

La Vente du tableau

  • Fabrice Luchini : le marchand de tableaux
  • Françoise Valier : une visiteuse de la galerie
  • Marie Bouteloup : une visiteuse de la galerie

Fiche technique

  • Titre : 4 aventures de Reinette et Mirabelle
  • Réalisation : Éric Rohmer
  • Scénario : Éric Rohmer d’après une idée de Joëlle Miquel
  • Photographie : Sophie Maintigneux
  • Montage : Maria Luisa Garcia
  • Musique : Ronan Girre, Jean-Louis Valéro
  • Productrice : Margaret Ménégoz
  • Sociétés de production : La Compagnie Éric Rohmer (France), Les Films du Losange (France)
  • Durée : 95 minutes
  • Date de sortie : 4 février 1987


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Le bonus

Le DVD recèle une vraie curiosité puisqu'il s'agit d'un clip contemporain du film principal (1987) que le cinéaste a tourné pour une chanson interprétée par Rosette : Bois ton café. La musique, due à Jean-Louis Valéro, est kitch et la chanson d'une incommensurable bêtise, à prendre au cinquième degré, mais le clip est très curieux puisque le cinéaste, étonnamment sensuel semble se « lâcher » dans de somptueux plans de caresses et de nudité au bain dont la pudeur de ses longs métrages nous prive. Il parvient à « faire » du Rohmer en adoptant la forme pourtant très stéréotypée du clip. Il reprend en particulier les codes bleu et rouge des 4 aventures.

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