Rapt (2009)

De Cinéann.

Rapt ! film français de Lucas Belvaux, sorti en 2009.

Analyse critique

Le film est librement, mais assez fidèlement inspiré de l' affaire Empain

Un grand patron d'industrie est enlevé contre rançon. Sa captivité est un calvaire, mais il va découvrir que sa libération a causé une grande gêne dans la vie de son entourage proche et professionnel. Sa vie après le rapt devient alors encore pire que lorsqu'il était entre les mains de ses ravisseurs.

L'affaire, nouée par un matin glacial de janvier 1978, va bouleverser la France entière. La tenir en haleine pendant des semaines, avant de la révolter et de virer à de scabreux règlements de comptes. Donnant un brutal coup d'arrêt à l'industrie du rapt qui frappait le gotha européen depuis quelques années, elle est aux confins du banditisme et d'un marigot politico-financier où le monde de paillettes du baron Édouard-Jean Empain va s'éteindre.

Kidnappé en bas de son hôtel particulier de l'avenue Foch, l'ex-président du groupe Empain-Schneider, fleuron de l'industrie française avec 130 000 employés, va endurer un calvaire.

Mutilé d'emblée, le flamboyant patron sera séquestré soixante-trois jours dans des conditions inhumaines, que Rapt, mis en scène par Lucas Belvaux, restitue sans esbroufe. Au point d'en avoir frappé l'esprit d'Édouard-Jean Empain, qui a récemment assisté à une projection privée.

Crédible, le dernier opus de Belvaux prend quelques libertés avec l'histoire. On n'a pas coupé le majeur mais le petit doigt. Sa femme n'était pas blonde mais brune et Yvan Attal est d'allure méditerranéenne alors que je suis plutôt de type nordique. Par clin d'œil, imagine-t-on, aux racines belges du baron, une scène de tentative de remise de rançon a lieu sur la plage d'Ostende alors qu'elle s'est déroulée sur les pentes neigeuses du mont d'Arbois, à Megève, où la famille Empain avait ses habitudes. De la même manière, si les ravisseurs ont joué au chat et à la souris avec les policiers en leur imposant les noms de code comme «Charlotte Corday» ou «Marat» lors des contacts téléphoniques, le cinéaste a préféré comme alias «Zizou» et «monsieur Henri». Un choix plus dans le vent mais sans connotation menaçante.

Enfin, il est regrettable que l'interpellation du commando se résume à deux coups de poing dans une rame de TGV quand, dans les faits, elle fut précédée de tirs au fusil-mitrailleur sur une autoroute métamorphosée en champ de bataille. Cette économie de moyens dessert l'intensité du film. La dernière partie est très réussie en revanche.

Interview du Baron

Trente ans après, gardez-vous encore des souvenirs précis de ce 23 janvier 1978 ?
Édouard-Jean EMPAIN. Oui, car je vis toujours avec cette histoire. Il est 10 h 30, mon chauffeur m'attend en bas de chez moi, avenue Foch. J'avais rendez-vous à 11 heures et comme beaucoup de Belges, je n'aime pas être en retard. Mais, au lieu d'arriver à temps, je suis revenu deux mois et demi après… J'avais été choisi en raison de la régularité de mon emploi du temps, prévisible, et de ma résistance physique. Sinon, mes ravisseurs projetaient de kidnapper Edmond de Rothschild ou un membre de la famille Dassault.

L'enlèvement est rapide ?
Quelques secondes. Des hommes encagoulés et armés m'ont emmené dans un parking, où je suis resté des heures avant de rejoindre un premier endroit de séquestration. J'avais très peur. Mes ravisseurs m'orientaient avec des gestes brusques, restaient muets ou maquillaient leur voix de divers accents. On m'avait drogué avec une piqûre.

Dès le premier jour, ils m'ont tranché une phalange. J'ai croupi un mois dans une maison abandonnée sans eau, ni électricité, enchaîné sous une tente. La température était inférieure à zéro. La nourriture se résumait à un morceau de pain et à une vieille pomme jetée de temps à autre. On me faisait écrire des demandes de rançon dont les montants étaient grotesques, allant jusqu'à 130 millions de francs. Ces chiffres n'avaient aucun sens car, à ce moment précis, moi seul pouvais débloquer une telle somme. Or j'étais prisonnier ! Je leur ai expliqué qu'il faisait un truc idiot. Ils ont baissé leurs prétentions à trente millions.

Les conditions se sont-elles améliorées ?
Non, j'avais même perdu la notion du temps. Au fil de la captivité, on se rapetisse. On se contente d'un rien. On finit par attendre une tasse de café, un fruit ou un mot agréable du genre « Comment vas-tu, ce matin ? » Je me faisais insulter parce que je tardais à donner mon « fric ». Il y avait beaucoup de grossièreté et des tutoiements épouvantables. Tout était fait pour m'humilier. Je ne cherchais pas à m'échapper et préférais mon train-train sous les chaînes. Étrange, mais on finit par être presque content de son sort.

C'est le syndrome de Stockholm ?
Pure invention de psychiatres ! Un otage sait que son sort ne dépend que de ses geôliers. Donc, il ne passe pas son temps à les insulter. Au contraire, il essaie de se faire gentil. Le syndrome de Stockholm n'est rien d'autre qu'un désir de survivre. La fin de ma captivité a d'ailleurs été plus soft. J'avais même eu une petite télé sous ma tente. Après une tentative avortée de remise de rançon achevée en fusillade, mes ravisseurs ont compris que c'était fini. Ils ont voté pour savoir s'ils me tiraient une balle dans la tête. Pendant deux heures, j'ai attendu le verdict avant d'être libéré contre trois reconnaissances de dettes de dix millions de francs chacune. Si je ne payais pas, ils menaçaient de tuer un quidam et de lui accrocher un des papiers dans le dos.

Vous avez pris ces menaces au sérieux?
Oui, parce que certains de mes ravisseurs sont restés dans la nature. Pendant deux ou trois ans, ils m'ont filé au restaurant ou au cinéma. Ils m'appelaient même quand je changeais de numéro de téléphone. Or seule la police était censée connaître mes coordonnées.

Les kidnappeurs ont fini par être arrêtés, ils étaient au minimum douze à avoir fait le coup et huit ont été attrapés. Je les ai reconnus à leur voix. J'ai été privé de liberté pendant soixante jours et eux durant dix ans.

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Trente après, vous en faites des cauchemars ?
Cet enlèvement est la charnière de ma vie, une fracture intervenue à 40 ans. Avant, il y avait la vie facile où tout me réussissait. J'étais jeune, puissant et l'on me craignait en raison de mes relations tant dans les milieux patronaux que politiques. J'incarnais le capitalisme conquérant sans être connu du grand public.

Après, tout a changé. Je me suis aperçu que le monde extérieur m'avait condamné en soixante jours. Ma famille, mes collaborateurs s'étaient organisés à vivre sans moi. On avait même vendu ma Mercedes de fonction, mes héritiers s'intéressaient au testament, les organigrammes avaient été refaits. J'ai passé trente années à digérer ce mauvais polar.

Distribution

  • Yvan Attal : Stanislas Graff
  • Anne Consigny : Françoise Graff
  • André Marcon : André Peyrac
  • Françoise Fabian: Marjorie
  • Alex Descas : Maître Walser
  • Michel Voïta : Le commissaire Paoli
  • Gérard Meylan : Le Marseillais
  • Maxime Lefrançois : Bertaux
  • Christophe Kourotchkine : Jean-Jacques Garnier

Fiche technique

  • Réalisateur : Lucas Belvaux
  • Scénario : Lucas Belvaux
  • Musique originale : Riccardo del Fra
  • Directeur de la photographie : Pierre Milon
  • Montage : Danielle Anezin
  • Durée : 125 minutes (2h 05)
  • Date de sortie : 18 novembre 2009
  • Nommé pour le César du meilleur film aux César du cinéma 2010


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