Une nouvelle amie

De Cinéann.

Une nouvelle amie film français de François Ozon, sorti en 2014

Analyse critique

Claire vient de perdre Laura, sa meilleure amie d'enfance, morte trop jeune, quelques jours après avoir mis au monde une fille. Eplorée, elle tombe dans une profonde dépression. Elle renoue avec David, le mari de son amie. Avec Gilles, son époux, elle le retrouve pour un dîner. Elle se rend à l'improviste au domicile de celui-ci et franchit la porte d'entrée, restée opportunément ouverte.La jeune femme découvre, dans le salon, donnant le biberon à sa fille, David travesti en femme. Abasourdie, horrifiée, Claire écoute David lui expliquer et se justifier. Sa femme, Laura était au courant. mais il lui précise qu' il n'est pas gay, coucher avec un homme ne lui viendrait pas à l'esprit. Au contraire, ce sont les femmes qui l'attirent, elles lui plaisent même tellement qu'il rêve d'en devenir une, de temps en temps. Il aime sentir sur sa peau une robe qui glisse, des bas remonter sur ses cuisses, un eye-liner lui souligner le regard.

Sans trop savoir pourquoi, sans même avoir conscience de l'accepter, Claire cache cette nouvelle à son mari. Elle accepte, aussi, de revoir David. De l'entendre, de le comprendre. De parler perruques et colifichets, et même de faire, avec lui, du shopping entre filles. A cette créature blonde, un peu vulgaire, mais plus glamour qu'elle ne l'a jamais été, Claire a même trouvé un prénom : Virginia. Leur attirance réciproque grandit, jusqu'au jour où, dans un lit, elle redécouvre qu'il reste malgré tout un homme.

Les films de François Ozon reposent sur le triomphe de l'artifice, la prescience d'un monde enchanté où l'illusion règne, où la réalité s'autodétruit. Chez lui, les maris disparus ne le sont pas totalement, comme dans Sous le sable, le professeur terne se perd dans l'imaginaire d'un élève pervers (Dans la maison), les bébés naissent avec des ailes dans le dos, tels des anges dont personne ne sait trop quoi faire (Ricky). Avec lui, personne n'est sûr d'être ce qu'il est, et pas vraiment non plus ce qu'il aimerait paraître. Jamais, cependant, il n'avait misé avec autant de force et d'élégance sur l'ambiguïté. Cette part d'inquiétude qui, en chacun, sommeille. Toute la mise en scène d'Une nouvelle amie revendique le trouble comme un art et une morale. Du moindre travelling sur un corps, le cinéaste fait un suspense. Lorsqu'on voit, dès les toutes premières secondes, un visage se faire noircir les cils, rougir les lèvres et rosir les joues, on découvre qu'il ne s'agit pas d'une adolescente en partance pour une fête, mais d'une jeune morte que le mari maquille dans son cercueil.

Ainsi le héros du film semble être Virginia. D'autant que Romain Duris, dirigé au millimètre, l'interprète avec une superbe aisance, à l'exacte frontière entre grotesque et grandiose. Mais la vraie héroïne est Claire, qui, au contact de sa nouvelle amie, se métamorphose au moins autant, se féminise, s'extériorise, adopte un nouveau rouge et s'achète une robe qui colle à sa rousseur. Dans un club où un travesti entonne un vieux tube de Nicole Croisille, celle qui « se sent pour la première fois devenir femme », c'est Claire, bien sûr, et non Virginia. Dans cette scène intense, François Ozon filme les yeux d'Anaïs Demoustier, qui étincellent, alors que ceux de Romain Duris s'emplissent de larmes, comme s'il mesurait, brusquement, les limites du rêve transformiste.

Le réalisateur joue avec les costumes, a travaillé avec les symboles des archétypes féminins qu’endosse Virginia, ou avec le lent épanouissement stylistique que traverse Claire, passant d’une silhouette androgyne à une allure plus affirmée, pimpante. Mais c’est quand Romain Duris ou Raphaël Personnaz s’habillent que son obsession autour d’une masculinité commune se définit. Leur banalité révèle l’attachement du cinéaste à une virilité en demi-teinte, celle d’une classe moyenne supérieure, adepte de tennis et d’une hétérosexualité de base. En somme, une catégorie sociale non marquée par une époque précise. François Ozon multiplie les efforts pour se démarquer des productions françaises. Pour se distancer de ces tics qu’il désapprouve, le réalisateur a depuis longtemps calqué ses intrigues sur un modèle de narration anglo-saxon.

Dans son film, le réalisateur persiste dans la description d’un univers clos, angoissant, mais surtout générique. Les maisons où vivent David-Virginia ou Claire sont des villas sans qualification architecturale précise, le centre commercial qu’elles visitent est dépourvu de tout indice géographique, et la propriété familiale qui sert de refuge d’un week-end ne pourrait être résumée qu’à la dénomination courante de manoir bourgeois de l’Europe occidentale. Cette imprécision constante est évidemment voulue par François Ozon qui a tourné une partie du film au Canada pour avoir une architecture sans grande particularité, pour donner l’impression que l’on n’est pas vraiment en France.

Ozon balise et élimine les fausses pistes, il filme une série de possibilités comme des trompe-l'oeil : un banal désir freudien pourrait expliquer le comportement de David, mais sa mère voulait bien un garçon. une attirance morbide pour son amie pousserait Claire à s'éprendre de son reflet, revenu d'entre les morts, comme dans Sueurs froides, de Hitchcock, mais aucun fétichisme ne se déclenche lorsqu'elle revoit la chambre de Laura. David pourrait n'être qu'un homosexuel refoulé, amoureux fou du beau mari de Claire, mais une scène de douche nie cette hypothèse. L'étrange famille que l'on voit s'éloigner à la fin du film ne prône rien, n'attaque personne, ne défend que son droit à l'existence, exilée, fragile, friable mais elle-même.

François Ozon déclare
«Mes personnages sont plutôt aisés, je n'ai pas voulu ajouter une dimension économique sombre qui aurait détourné l’histoire. Je ne fais pas de films réalistes, et celui-ci l’est encore moins. D’abord, parce que la réalité de beaucoup de travestis n’est souvent pas rose, faite de rejets, d’opprobre social. Mon cinéma tend souvent vers une vision idéalisée, vers le conte. A rebours d’un certain cinéma français»
«J’aime cette idée d’un monde bourgeois rempli de mystère, qui cherche à tout prix à sauver les apparences. La double vie, c’est un thème qui me fascine et que j’abordais aussi dans Jeune et Jolie. C’est ma nature profonde, j’ai besoin d’artifices pour écrire une histoire. C’est tout le sujet de ce film : la vérité de David se retrouve dans les artifices de Virginia.»
«Tootsie, Victor, Victoria ou Certains l’aiment chaud, sont des films où des hommes s’habillent en femme parce que la situation les pousse à le faire. Là, David agit en pleine liberté».

Romain Duris déclare:
«Interpréter une femme,j'en rêvais depuis longtemps. Cela remonte peut-être à l'enfance. Ma grande sœur s'amusait à me déguiser en fille, avant de sortir en ville. J'étais sa poupée et je trouvais cela très drôle. Qui sait s'il n'y avait pas déjà dans cette expérience le plaisir d'être comédien ? Les seules opportunités d'être totalement dans la transformation physique, c'est en jouant soit des femmes, soit des superhéros. »

Distribution

Fiche technique

  • Réalisation : François Ozon
  • Scénario : François Ozon d'après Une amie qui vous veut du bien de Ruth Rendell, paru en 1985
  • Direction artistique : Pascal Leguellec
  • Photographie : Pascal Marti
  • Montage : Laure Gardette
  • Musique : Philippe Rombi
  • Production : Éric Altmayer et Nicolas Altmayer
  • Sociétés de production : Mandarin Cinéma
  • Durée : 105 minutes
  • Date de sortie : 5 novembre 2014


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