ADN

De Cinéann.

ADN , film français de Maïwenn, sorti en 2020

Analyse critique

À la disparition d’Emir, aïeul chéri, protecteur et pilier de la famille, Neige et les siens vacillent. Le vide qu’il laisse, dans un premier temps, se remplit de choses à faire, disposer du corps, trier ses affaires, choisir un cercueil. Des formalités tristes à pleurer, que Maïwenn choisit de ne pas expédier. Au contraire, elle consigne le concret avec une justesse quasi documentaire, l’enrichissant d’une fiction tragi-comique. Une des séquences les plus drôles se déroule aux pompes funèbres, quand les deux filles du défunt se disputent sur le choix du capitonnage blanc. Est-il « ivoire » ou « pisseux » ? L’enjeu n’est pas là, bien sûr, et tout l’art de Maïwenn consiste à faire resurgir, au détour d’une pique, d’un agacement irrépressible, les rancœurs anciennes. Par sa caméra attentive et sa formidable direction d’acteurs, elle excelle à traduire les dynamiques de groupe, l’impossibilité démocratique du clan. Qui, maintenant qu’Emir s’en est allé, crie, s’engueule, rè­gle ses comptes.

Dans le second temps, le film se recadre sur Neige. Son amitié avec l’hilarant François , sa rupture violente avec sa mère, campée par une Fanny Ardant magistrale, dont le jeu semble neuf, décapé de toute affectation. Sa relation avec son père dans une audacieuse scène de rêve ou plutôt de cauchemar, avec des serpents qui sifflent sur les lustres.

Maïwenn signe un film au parfum d’autofiction. Coécrite avec Mathieu Demy, qui venait d’enterrer sa mère, Agnès Varda, cette histoire de deuil et de quête d’identité sent le chagrin vécu, d’autant que la réalisatrice s’y met en scène sans chercher à en taire les éléments autobiographiques. Comme Neige, son personnage, elle a perdu un grand-père adoré. Comme elle, elle traîne une enfance douloureuse, et comme elle, a demandé et obtenu la nationalité algérienne. De cette matière brute intime, elle produit une œuvre vibrante, parfois bouleversante, qui rejoint l’universel avec cette manière bien à elle d’orchestrer la cacophonie des sentiments.

Maïwenn,qui à travers le test ADN du titre, se révèle 1/4 Nord-africaine, 1/8 Vietnamienne, 1/3 Espagnole, aborde la question de l’identité troublée et l’insatiable recherche des origines. Neige, qui n’est que le refus paternel de Nedjma, trouve ici refuge du côté du défunt, ce grand-père algérien qui l’a élevée, et de l’histoire oubliée de la colonisation. Tout un pan d’un passé muet, porteur de douleur et de honte, de fierté aussi, qui reflue soudain vers Neige. Voyage dans les rues d’Alger à la recherche d’une identité perdue. Ce versant du film, loin d’ouvrir à la question politique comme il le semblerait, ne fait que ramener la grande histoire à la dimension du théâtre intime de la réalisatrice. Les noyés algériens d’octobre 1961 à Paris, évoqués par des images d’archives, ne s’autorisent ici que du raccord avec le personnage de Neige, hagarde sur un pont au-dessus de la Seine. Les victimes d’hier plaident ainsi essentiellement pour la victime d’aujourd’hui, qui procéderait d’une même violence, d’un même silence.

Distribution

• Maïwenn : Neige
• Fanny Ardant : Caroline, la mère de Neige
• Louis Garrel : François, l'ami de Neige
• Marine Vacth : Lilah, la sœur de Neige
• Dylan Robert : Kevin, le cousin de Neige
• Caroline Chaniolleau : Françoise, la tante de Neige
• Alain Françon : Pierre, le père de Neige

Fiche technique

• Réalisation : Maïwenn
• Scénario : Maïwenn et Mathieu Demy
• Photographie : Sylvestre Dedise
• Montage : Laure Gardette
• Musique : Stephen Warbeck
• Production : Why Not Productions, Les Films de Batna, Arte
• Durée : 90 minutes
• Date de sortie : 28 octobre 2020
• Sélection Cannes 2020