Amin

De Cinéann.

(Différences entre les versions)

Version actuelle en date du 9 décembre 2018 à 20:14

Amin , film français de Philippe Faucon, sorti en 2018

Analyse critique

Amin a quitté le Sénégal pour travailler en France, il y a neuf ans. Il a laissé au pays sa femme Aïcha et leurs trois enfants. En France, Amin n’a d’autre vie que son travail, d’autres amis que les hommes qui résident avec lui au foyer. Aïcha ne voit son mari qu’une à deux fois par an. Elle accepte cette situation comme une nécessité mais à la tristesse de la séparation s’ajoutent le doute et les soupçons. Amin fait partie d'une équipe chargée de la réfection d'un pavillon dont la propriétaire est une infirmière divorcée . Ces deux solitudes vont finir par fusionner malgré leurs différences ethniques, culturelles, sociales.

Philippe Faucon sait dresser le portrait de ses personnages avec une grande économie de moyens, tout en n'omettant pas de montrer aussi l'écosystème, amis, famille, travail, dans lequel ils évoluent. Il détient l'art de les regarder sans jugement, positif ou négatif, privilégiant l'observation comportementaliste au psychologisme. Il aborde aussi franchemant mais pudiquement l'érotisme, qui prend ici une part assez importante : femmes sous la douche, étreintes, peaux noire et blanche entrelacées, autant d'images qui témoignent d'un sensualisme simple, direct, jamais voyeuriste. Amin parle d'amour, de désir, de condition ethnico-sociale, mais son vrai sujet, c'est la solitude des quadragénaires, séparés de leur famille soit en raison des lois de l'économie mondialisée et des inégalités Nord-Sud, soit à cause du mode de vie stressant de la moyenne bourgeoisie urbaine occidentale.

Avec son épouse, la productrice Yasmina Nini-Faucon, il a souvent puisé dans le réel ses idées de fictions sur l’exil comme dans Samia, adaptation du livre de Soraya Nini, la sœur de Yasmina, Ils disent que je suis une beurette. Et même si Amin, lui, ne vient pas d’Afrique du Nord, il a été inspiré à Yasmina Nini-Faucon par son histoire familiale, autour de l’immigration maghrébine des années 1970-1980. Ces hommes qui sont venus travailler en Europe, en laissant derrière eux leur famille, qui ont eu des vies très solitaires. Certains ont entretenu des liaisons avec des femmes rencontrées en France.

Pour mieux ancrer Amin dans la réalité d’aujourd’hui, le couple a mené l’enquête, à la rencontre de ces travailleurs de l’exil, dans les foyers où ils habitent. En Afrique, ils ont aussi écouté les récits des épouses restées au pays, leur manque, leur solitude.

Tous les personnages de Philippe Faucon se cherchent, se battent et se débattent dans des contextes historiques et sociaux précis, les plus contemporains. Dans son cinéma, le réel n’est pas un décor, c’est la matière première du récit. Il se défend pourtant d’en être prisonnier, ou d’en user pour donner des leçons : « Les questions que je me pose sont avant tout des questions de cinéma. Comment faire exister une fiction, des personnages ? Si j’échoue, la dimension politique du film n’opérera pas. Trop vouloir dire ou montrer, c’est contre-productif. »

Souvent Philippe Faucon privilégie l’ellipse, toute une sobriété de l’image qui concentre l’attention sur la chair vivante des personnages. « Je cherche une forme d’épure. Les possibilités d’évocation du cinéma ne passent pas forcément par les mots : il y a les silences, la présence des corps, des visages. Les regards, les intonations dans une voix. Ce qui compte, c’est le jeu, la façon dont le comédien va rencontrer le rôle, remettre en question la version écrite. C’est ce qui est arrivé, par exemple, avec Moustapha Mbengue, qui interprète Amin. Il habite en Italie, où il a émigré depuis le Sénégal. Il connaît intimement l’expérience du déracinement, mais maîtrise moins bien notre langue que le personnage que j’avais créé au départ. Ce sentiment de décalage, de flottement, a influencé Amin, renforcé ses deux facettes : en France, il est mutique, écrasé par ses responsabilités, il s’épanche rarement. Au Sénégal, il retrouve quelque chose de lui-même. Il incarne une réalité de l’exil. »

« Philippe Faucon parvient ici à entrelacer plusieurs vies éloignées géographiquement ou socialement, et si l’émotion monte progressivement, c’est que les êtres existent alors surtout au regard ou en présence des autres, plus que par eux-mêmes. Plus le récit avance, plus ils se révèlent, s’ouvrent, s’épaississent. Et c’est ce qui marque toute la différence entre Faucon et la plupart des cinéastes français s’inscrivant dans une comparable veine réaliste : il parvient à saisir la progressive et complexe construction sociale et sentimentale des rapports humains plutôt que de la réduire dans une démonstration prémâchée. »
Marcos Uzal, Libération, 16 mai 2018

Distribution

  • Moustapha Mbengue : Amin Sow
  • Emmanuelle Devos : Gabrielle
  • Marème N'Diaye : Aïcha Sow
  • Noureddine Benallouche : Abdelaziz
  • Moustapha Naham : Ousmane

Fiche technique

  • Réalisation : Philippe Faucon
  • Scénario et dialogues : Philippe Faucon, Mustapha Kharmoudi et Yasmina Nini-Faucon, d'après une idée de cette dernière
  • Directeur de la photographie : Laurent Fenart
  • Musique : Amine Bouhafa
  • Production : Istiqlal Films
  • Durée : 91 minutes
  • Dates de sortie : France : 15 mai 2018 (festival de Cannes 2018)
    • 3 octobre 2018 (sortie nationale)
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