Another Year

De Cinéann.

Version du 3 janvier 2011 à 22:05 par MariAnn (discuter | contributions)
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Another Year film britannique du réalisateur Mike Leigh présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 2010.

Analyse critique

Les distributeurs rechignent de plus en plus à traduire les titres, mais Another Year peut se traduire par Une année de plus. Une année de plus dans la vie d'un couple, Gerri et Tom. Avec la soixantaine, ils se sont habitués à tout : aux plaisanteries sur la combinaison de leurs prénoms (Tom et Jerry!), aux atteintes de l'âge, à l'incertitude qui pèse sur la vie sentimentale de leur grand fils Joe, et même aux malheurs de Mary. Collègue de Gerri, Mary boit trop, choisit mal ses hommes, ne fait pas la cuisine et est complétement dépourvue de sens pratique. Les traits de Marry s'agitent en tous sens. Elle picole un peu. Beaucoup. Et elle parle, elle parle, pour tout et ne rien dire. Quand ça ne va pas, elle aussi se réfugie chez Gerri. Elle y soliloque sur ses amours passées, sur ses pauvres projets d'avenir : si elle achetait la petite voiture rouge de ses rêves, sa vie changerait, elle en est sûre. Mais rien ne va dans cette voiture qu'elle finit par céder pour 20£. Avec ces 20£, elle s'achète une bouteille de Champagne, qu'elle boit seule...

Another Year est divisé en quatre saisons. Printemps, été, automne, hiver, on retrouve Gerri et Tom le week-end, dans l'espèce de jardin ouvrier éloigné où ils font pousser leurs légumes, avant de regagner leur maison de la banlieue londonienne. Printemps, été, automne, hiver, Mary fait irruption, invitée ou pas, euphorique ou déprimée, et met à l'épreuve la patience et la charité du couple. On peut mesurer la maîtrise de l'art de Mike Leigh à l'aisance avec laquelle il évite tout effet de répétition. Si routinière que soit l'existence de Tom et Gerri, elle est scandée par les événements inhérents à la condition humaine, deuils, naissances.

Le scénario fait intervenir Ken, un ami d'enfance de Tom, Ronnie, le frère de Tom, au rythme des unions, des deuils, des ruptures. Ken est impressionnant de boulimie et de névrose: ses bras s'affairent pour porter à ses lèvres, à toute vitesse, on dirait qu'il ne s'arrête jamais, de la bouffe, de la bière, des cigarettes. Il ressemble à un grand poupon au mécanisme déréglé.

Lorsqu'un après-midi d'hiver, de plus en plus défaite, Mary s'en vient frapper à la porte de ses amis, Ronnie, le frère de Tom, venu quelques jours en visite après le décès de sa femme, refuse d'abord de la laisser entrer. On ne saurait trouver deux êtres plus dissemblables. Elle ne cesse de pépier, lui semble n'avoir qu'un seul mot à son vocabulaire : yeah. Son visage à elle lance des cris de détresse, son visage à lui, c'est le calme plat. Mais ces deux angoissés s'apprivoisent. Peu à peu, Mary se tait et Ronnie esquisse un sourire. Ils fument une cigarette. Naît, soudain, un bref instant d'espoir, où tout devient possible.

Mike Leigh vient du théâtre et, sous l'apparence du réalisme, il règle une dramaturgie très précise, une espèce de machine qui veut recenser, analyser tous les chocs qui peuvent frapper un organisme aussi solide que le couple que forment Tom et Gerri. Another Year n'est pas un éloge de cette solidité, qui relègue les personnages périphériques dans les limbes de la solitude. La sérénité de Tom et Gerri est un accident, au même titre que l'instabilité de Mary ou la solitude de Ronnie. La seule constante reste le temps, qui fait changer les saisons, pousser les légumes, naître et mourir les humains.

Presque toute la distribution d'Another Year, à l'exception de David Bradley, est constituée de vétérans de la troupe. C'est par exemple la neuvième fois que Lesley Manville travaille avec Leigh. Comme toujours, Mike Leigh a élaboré scénario et dialogues avec sa troupe de comédiens, durant des mois de travail, et ils sont tous d’une justesse absolument sidérante.

L'exactitude des compositions renvoie aussi bien à des types psychologiques que nous avons tous croisés qu'à des individualités précises et attachantes. Ces performances relèvent d'une technique dramatique hors pair qui suscite une palette d'émotions : on peut être exaspéré par la béatitude des vieux mariés, horripilé par l'inconstance de Mary parce qu'on oublie très vite que ce sont des êtres de fiction, parce que Mike Leigh nous invite à traiter cette année qui passe en un clin d'œil comme un morceau de notre vie quotidienne.

Dans la vraie vie, la lumière du jour ne change pas en fonction des humeurs, les événements imprévus ne surviennent pas au moment où ils sont nécessaires à l'affirmation d'un point de vue. Celui de Leigh est de plus en plus désabusé. Une bonne partie des personnages d'Another Year sont payés pour aider les autres. La très impressionnante séquence d'ouverture montre Gerri dans l'exercice de son métier de thérapeute, tentant de convaincre une patiente mutique de se soigner. Joe assiste juridiquement des immigrés menacés d'expulsion.

On n'aura plus de nouvelles de la femme qui ne veut pas se faire soigner, ni du vieil homme que l'on veut forcer à retourner en Inde ou au Pakistan. On gardera le contact avec Mary, mais une fois bouclé le cercle des saisons, rien n'aura changé, ni le compagnonnage ni la solitude. De tous les révoltés des précédents films de Mike Leigh, il ne reste plus que Carl, le neveu de Tom. A l'enterrement de sa mère, il débarque, l'insulte aux lèvres, la rage au cœur, aussi noir, aussi dépenaillé que le héros de Naked, il aboie sa rancœur et son dégoût au visage de ce père qu'il hait, puis disparaît aussi brusquement qu'il était apparu.

Mais à part le temps qui passe, le personnage principal du film n'est pas le couple trop lisse et finalement pas si parfait. Mike Leigh montre aussi la lassitude chez les vertueux que sont Tom et Gerri. Et peut-être même une vague condescendance pour ces pauvres malheureux qui n'auront pas su égaler leur équilibre et leur sagesse. On saisit le sourire compatissant ou moqueur de Tom sur son pote Ken en larmes. Et le regard presque méprisant de Gerri pour sa copine, un peu ivre, qui s'est blottie dans ses bras.

Le vrai personnage principal, c'est bien sûr Mary, la déglinguée. Mike Leigh lui offre le plus beau plan de son film. Et le plus inattendu. Lui dont les mises en scène se veulent invisibles, il invente un panoramique remarquable, qui glisse sur les personnages, devenus des comparses, pour s'arrêter sur elle et ne plus la quitter.

Distribution

Anothery1.jpg
  • Jim Broadbent : Tom
  • Lesley Manville : Mary
  • Ruth Sheen : Gerri
  • Peter Wight : Ken
  • Oliver Maltman : Joe
  • David Bradley : Ronnie
  • Karina Fernandez : Katie
  • Martin Savage : Carl
  • Michele Austin : Tanya
  • Philip Davis : Jack
  • Stuart McQuarrie : Tom's colleague
  • Imelda Staunton : Janet

Fiche technique

  • Titre original: Another Year
  • Réalisation : Mike Leigh
  • Scénario : Mike Leigh
  • Production : Danielle Brandon, Gail Egan, Georgina Lowe et Tessa Ross
  • Musique originale: Gary Yershon
  • Photographie : Dick Pope
  • Montage : Jon Gregory
  • Pays d'origine : Royaume-Uni
  • Durée : 129 min
  • Dates de sortie: 15 mai 2010 (Festival de Cannes)
    • 5 novembre 2010 (Grande Bretagne)
    • 22 décembre 2010 (France)
  • Mention spéciale du Jury œcuménique au Festival de Cannes 2010


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