Bacurau

De Cinéann.

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Bacurau , film brésilien de Kleber Mendonça Filho, sorti en 2019

Analyse critique

Le village de Bacurau dans le sertão brésilien, fait le deuil de sa matriarche Carmelita qui s’est éteinte à 94 ans. Tous les habitants sont là, il y a un guitariste, de l’animation, des chants traditionnels, une tristesse tempérée par le sentiment d’une fraternité générale.

Quelques jours plus tard, des événements bizarres surviennent. À commencer par cette étrange vision d’une eau ruisselante jaillissant hors du cercueil renfermant Carmelita. Ensuite, les habitants découvrent que Bacurau a disparu de la carte satellite puisqu’il n’y a plus de réseau du tout. Coupé du monde, l’endroit prend peu à peu les allures d’un camp retranché. Des envahisseurs le menacent. Il y a de fréquentes incursions, des drones insolites en forme de soucoupe volante survolent le coin. Arrivent alors deux motards, d’étranges touristes.

Détruire l’image fausse et unique des gens simples véhiculée par les Jair Bolsonaro du monde entier et en brandir une autre, foncièrement plurielle : voilà l’une des forces de cette histoire, qui réunit des vieux et des enfants, des hommes et des femmes de tous âges, de toutes couleurs de peau, de toutes professions, de l’instituteur à l’infirmière en passant par la prostituée, et de toutes orientations sexuelles, des moches et des beaux, des obèses et des maigrichons, des doux et des violents. Des gens qui ont en commun de vivre dans le dénuement et qu’on voit d’ailleurs dans le plus simple appareil.

Kleber Mendonça Filho, l’auteur talentueux d’Aquarius, sème un à un les éléments d’un étonnant brassage de genres. Les objets les plus archaïques croisent la haute technologie. Bacurau mélange ainsi la chronique néoréaliste, le western, le film de survie, et la fable dystopique.

Le cinéaste évoque ainsi la corruption, le manque d’eau, la ghettoïsation de régions entières, les nouvelles formes de colonisation des pays dominants. Leur clairvoyance politique sur des problèmes à la fois locaux et universels est associée à un imaginaire fort, à un sens affûté de la métaphore.

Un bandit androgyne à la silhouette de faune, un fasciste très susceptible, une femme médecin très influente quand elle ne boit pas, une tueuse qui aime s’envoyer en l’air après avoir fait couler le sang, ces figures inattendues peuplent cette guerre ouverte, terriblement proche du safari. Où la violence va crescendo, sans que le film ne se dépare d’une forme de nonchalance, manière de rejeter le culte de l’efficacité à outrance des blockbusters.

À rebours de l'idéologie de la conquête de l'Ouest, Bacurau réoriente l'énergie vengeresse et jouissive du western en prenant pour cible l'Amérique du capitalisme dévorateur et du fascisme rampant. Pour Mendonça Filho, le sertào est donc loin d'être un décor folklorique pour les actions de leurs protagonistes : ils parviennent, dans un même geste, à donner du relief à la géographie et à la socialité.

Face à l'horreur, si la communauté rurale de Bacurau est si belle, c'est qu'elle n'a rien d'un fantasme passéiste, et qu'elle semble plutôt relever d'une version alternative du présent ou d'une utopie possible. Car, d'un côté, le film fait de nombreuses références à la culture populaire du Nordest, en allant jusqu'à faire apparaître le personnage mythique du canga-ceiro, le bandit du sertâo, qui prête main-forte à la résistance de Bacurau.

C'est autant par son audace esthétique que par son intelligence du récit que Bacurau donne forme à un idéal qui s'érige de manière frappante contre l'idéologie des temps de Bolsonaro ou de Trump, l'idéal démocratique d'une société en mouvement, construite par des multiplicités et nourrie par une histoire de résistance politique et culturelle, des Afro-Brésiliens, des femmes, des travailleurs de la terre, des peuples indigènes—plutôt qu'héritière des conquêtes meurtrières, du fascisme et du patriarcat. Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles signent ainsi avec Bacurau une grande fiction politique, dont la vitalité à toute épreuve est une vertu nécessaire pour affronter la monstruosité bien réelle de l'extrême droite contemporaine.


« Kleber Mendonça Filho, l’auteur talentueux des Bruits de Recife et d’Aquarius, qui coréalise cette fois avec son chef décorateur, Juliano Dornelles, prend son temps pour ancrer l’action, brosser des archétypes, semer un à un les éléments d’un étonnant brassage de genres : le western, l’horreur, le film d’anticipation. Le film est un possible trait d’union entre le cinema novo de Glauber Rocha et John Carpenter (le cinéaste fétiche de Kleber Mendonça Filho), le tout connecté à des problématiques à la fois locales et universelles. Autant dire un film hybride. »
Jacques Morice, Télérama, 16 mai 2019

Distribution

  • Barbara Colen : Teresa
  • Sônia Braga : Domingas
  • Udo Kier : Michael
  • Thomas Aquino : Pacote/Acacio

Fiche technique

  • Réalisation : Kleber Mendonça Filho
  • Scénario : Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles
  • Directeur de la photographie : Pedro Sotero
  • Montage : Eduardo Serrano
  • Musique : Mateus Alves et Tomaz Alves Souza
  • Producteurs : Saïd Ben Saïd, Ẻmilie Desclaux, Michel Merkt
  • Sociétés de production : Cinemascớpio, SBS Productions, Arte France Cinéma, Sỉmio Filmes
  • Durée : 132 minutes
  • Dates de sortie : 15 mai 2019 (festival de Cannes 2019, Prix du jury ex-aequo)
    • 25 septembre 2019 (sortie nationale)
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