Birdman

De Cinéann.

Birdman , film américain de Alejandro González Iñárritu, sorti en 2014

Analyse critique

L'acteur Riggan Thomson s'apprête à monter sur scène dans une pièce de Raymond Carver. Un tournant important pour lui qui a connu la gloire il y a des années en incarnant Birdman, dans un film de super-héros. Riggan, qui mise sa chemise dans l'histoire, doit remplacer un des acteurs par l'incontrôlable Mike Shiner. Alors qu'il se pose des questions sur sa légitimité en tant qu'acteur, Riggan doit également gérer son entourage, Brandon, son producteur, Sam, sa fille, qui sort de cure de désintoxication et sa maîtresse Laura, qui lui annonce qu'elle est enceinte. Alors que les générales ont été chaotiques, la première approche. Comme dans Lost in translation ou Bill Murray jouait un acteur sur le retour sous la direction de Sofia Coppola, Iñárritu fait jouer à Michael Keaton, le Batman de Tim Burton en 1989 et 1992, un acteur has been, jamais remis d'avoir incarné avec succès un superhéros, vingt ans auparavant. D'une amertume abyssale et d'un égocentrisme forcené, cette star déchue, Riggan Thompson, joue son retour à Broadway, à la fois comme metteur en scène et acteur du spectacle, en quête éperdue de reconnaissance et d'amour. Et bien sûr, la pièce, adaptée d'une nouvelle de Raymond Carver, parle d'une semblable aspiration.

Rapidement Riggan Thompson commet un acte ignoble, il s'arrange pour qu'un projecteur tombe sur un comédien qu'il juge mauvais et l'expédie ainsi à l'hôpital pour une durée indéterminée. Ce crime est sans suites pour le coupable, et minoré par le regard d'Iñárritu. Le film en devient bizarroïde, de plus en plus monstrueux, tant par sa vision cynique de l'humanité que par les images mentales qui assaillent le héros perturbé. Le jeu de massacre a des vertus comiques, et la haine que se manifestent les personnages entre eux s'ajoute au fiel que leur réserve le cinéaste. Le microcosme des planches new-yorkaises essuie les premiers tirs. Il y a l'actrice quadragénaire pleureuse, qui n'en revient toujours pas d'être enfin à Broadway, le pur comédien de théâtre, vaniteux et verbeux, fier de laisser deviner une érection réelle sur scène, ou encore la diva des critiques, tout à ses sentences paradoxales, et finalement convenues.

Birdman est un film mental où son personnage-titre déambule dans le théâtre de son cerveau, théâtre dans lequel se joue la pièce de sa vie, littéralement, théâtre dans lequel il va devoir faire les comptes et décider de ce qu'il deviendra. La première heure est fascinante, on découvre le procédé de mise en scène, les superbes décors, les joutes entre les comédiens sont hilarants et il y a un vrai sens du dialogue et du rythme. Mais plus le film avance, plus sa linéarité et son procédé écrasant semble le refermer sur lui-même faisant s'évaporer cet aspect film mental.

Le film, grâce à des trucages, se présente visuellement comme un seul plan-séquence qui dure sur la presque totalité du film. Hitchcock avait créé son film-plan-séquence dans le cadre d’un lieu unique et limité : un salon d’appartement new-yorkais. Il avait pensé à tout, le mouvement des nuages par la fenêtre, les lumières qui baissent au fur et à mesure de la soirée, mais il restait tributaire de la lourdeur des tournages en 35 mm, recourant au stratagème du gros plan/fondu au noir pour les changements de bobines toutes les dix minutes. Iñárritu pousse encore plus loin avec un plan-séquence libre comme l’air, qui se faufile à travers toutes les pièces, coursives, coulisses, étages, cintres d’une salle de théâtre de Broadway, et jusque dans la rue, les bars, toits et immeubles voisins. Cette caméra fluide, passe-muraille, semble branchée sur le pouls d’un théâtre et d’un quartier de New York en se riant des murs, ou de notions telles que le dedans et le dehors. Cette caméra omnisciente est à l’aune de notre époque de transparence où, sous la pression des possibilités technologiques, l’intimité, le privé, le secret reculent face au tout-visible.

Ce film a bien des qualités comme une énergie carnassière, qui emporte tout, bien aidée par la performance de Michael Keaton, déployant toute son artillerie d’acteur chevronné avec une puissance et une jouissance très contagieuse, et celles efficaces d'Edward Norton, Naomi Watts, Emma Stone ou encore Zach Galifianakis. Cette réflexion acide sur la culture, la célébrité et les métiers du spectacle ne méritait peut-être pas quand même les honneurs excessifs qu'Hollywood lui a décerné début 2015 (4 Oscars dont meilleur film et meilleur réalisateur)

Distribution

  • Michael Keaton : Riggan Thomson / Birdman
  • Emma Stone  : Sam Thomson, la fille de Riggan Thomson
  • Edward Norton : Mike Shiner
  • Andrea Riseborough  : Laura, la petite amie de Riggan Thomson
  • Zach Galifianakis  : Jake
  • Naomi Watts  : Lesley
  • Amy Ryan : Sylvia
  • Merritt Wever : Annie
  • Jeremy Shamos  : Ralph
  • Lindsay Duncan  : Tabitha Dickinson

Fiche technique

  • Titre original : Birdman or (The Unexpected Virtue of Ignorance)
  • Réalisation : Alejandro González Iñárritu
  • Scénario : Alejandro González Iñárritu, Nicolás Giacobone, Alexander Dinelaris et Armando Bo, d'après la nouvelle Parlez-moi d'amour (What We Talk About When We Talk About Love, 1981) de Raymond Carver
  • Direction artistique : Kevin Thompson
  • Photographie : Emmanuel Lubezki
  • Montage : Douglas Crise, Stephen Mirrione
  • Production : Alejandro González Iñárritu, John Lesher et Arnon Milchan
  • Sociétés de production : Fox Searchlight Pictures, New Regency et Worldview Entertainment
  • Durée : 119 minutes
  • Date de sortie : 27 août 2014 (Mostra de Venise 2014)
    • États-Unis : 17 octobre 2014
    • France : 25 février 2015

Distinctions

  • Oscars du cinéma 2015 :
    • Meilleur film
    • Meilleur réalisateur pour Alejandro González Iñárritu
    • Meilleur scénario original pour Alejandro González Iñárritu, Alexander Dinelaris, Armando Bo et Nicolas Giabone
    • Meilleure photographie pour Emmanuel Lubezki
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