Black Book

De Cinéann.

Black Book (titre original néerlandais Zwartboek) film néerlandais de Paul Verhoeven sorti en 2006.

Analyse critique

La Haye, sous l'occupation allemande, vers la fin de la guerre. En 1945, les armées alliées s’apprêtent à libérer les Pays-Bas. Rachel Stein, une jeune chanteuse d’origine juive est réfugiée dans une ferme bientôt détruite par un bombardement accidentel. Désireuse de rejoindre sa famille qui cherche à gagner le sud du pays, déjà libéré, pour échapper à la Gestapo, elle assiste, impuissante, au massacre du groupe tombé dans un guet-apens pendant la traversée du delta du Biesboch.

Elle rejoint alors la Résistance dans le but de mettre hors d’état de nuire ceux qui ont trahi les Juifs qu’ils avaient pour mission de faire s’échapper et prend le pseudonyme d’Ellie de Vries.

A la demande du responsable de sa section, elle est chargée d’infiltrer la gestapo et, pour ce faire, devient la maîtresse de l’officier Mûntze qui lui offre un emploi de secrétaire au cœur même de son service de Renseignements. Rachel-Ellie de Vries et Mûntze, en dépit de la situation, vont éprouver, l’un pour l’autre, un véritable attachement qui survivra à la révélation du double jeu de Rachel. Placée entre les Résistants et les Nazis, avec pour seule aide dans le service, Ronnie, une Hollandaise gaie et aux mœurs libres, elle affronte les situations les plus difficiles qui soient et connaît les pires drames : exécution d’un traître par les Résistants, puis de Résistants par les Nazis ; attaque armée de la gestapo par les Résistants, noyée dans le sang ; doutes sur sa sincérité et soupçons sur ses liens réels avec l’officier allemand de la part des Résistants, etc.

Cette existence dramatique, paradoxalement, ne cesse pas à la libération du pays : Rachel subit les exactions commises envers les femmes convaincues d’avoir entretenu des rapports avec les occupants et connaît la douleur de perdre Mûntze, fusillé pour traîtrise par les Nazis avec l’assentiment des autorités alliées ! Elle boira le calice jusqu’à la lie en découvrant, grâce à un livre noir (le Black book du titre) que celui qui a trahi sa famille n’est autre que le propre notaire de son père, en qui elle avait une totale confiance.

On la retrouve, onze années plus tard, en Israël, accompagnée d’un mari et de deux enfants…

Verhoeven revient filmer dans son pays - ce qu’il n’avait pas fait depuis 1983 et Le quatrième homme - pour s’intéresser à une période sensible de son Histoire : la fin de la Deuxième guerre mondiale, et, plus particulièrement, la traque des Juifs et la Résistance aux Allemands. Ce film inspiré – est-il précisé – de faits réels, est à apprécier, malgré les réserves d’usage concernant certaines péripéties assez invraisemblables (par exemple, la longue traque-exécution du traître par les résistants dans la rue à proximité même des locaux de la gestapo sans qu’il y ait la moindre réaction). C’est un beau film par son sujet, bien sûr, mais aussi par sa mise en images qui propose des séquences mémorables. Un bombardement inattendu.

On évoquera, en premier, la scène qui, au début du film, filme Rachel prenant son repas avec le fermier hollandais chez qui elle se cache et qui l’oblige à dire la prière chrétienne en lui signalant que « Si les juifs avaient obéi à Jésus, ils n’en seraient pas là ! » En guise de réponse, elle fait couler dans son assiette un liquide noir qui, sur un fond blanc, dessine une croix ; attend que son hôte la voie et, le regardant droit dans les yeux, l’efface en faisant tournoyer sa cuillère. Peu après, c’est un bombardier en perdition qui, pour reprendre de la hauteur, lâche ses bombes, au hasard, dans la mer, sur la plage et sur cette ferme où elle est hébergée. C’est aussi, à la fin du film, l’inimaginable vengeance à l’encontre des femmes à la Libération. Ou encore l’incroyable exécution - autorisée par les autorités allées ! - d’un officier allemand par les nazis. Ou encore, en guise de très convaincante scène contre les discriminations antisémites, cette répartie de Rachel à l'officier qui lui reproche d'être juive : “Et ça, c'est juif ?", tout en guidant les mains du nazi sur son corps plantureux. On terminera cette énumération des scènes originales par une magnifique scène d'amour. A Muntze qui vient de découvrir qu'elle est une résistante chargée d'infiltrer ses services, elle rétorque : “Si tu écartais ton pistolet et que tu m'embrasses ?” Les deux amants s'embrassent alors. Puis Muntze reprend la parole : “Je t'ai embrassé. Parle maintenant."…

Plus généralement, Verhoeven montre l'époque sous un angle original - loin de tout manichéisme, il excelle à montrer la complexité des situations et l'ambiguïté des êtres -, qu'il s'agisse de l'Occupation, de la Résistance, ou de la Libération. Il crée, d’autre part, un personnage étonnant de femme libre (interprétée par une actrice, l’épatante Carite Van Houten, que l’on n’est pas prêt d’oublier), forte et courageuse, sensible et vulnérable, drôle et ingénue, et si à l’aise avec le désir des hommes qu’elle en est troublante.

Le titre, déjà, évoque, bien sûr, le « carnet noir » qui, dans le récit, révèle la culpabilité de l’avocat dans la spoliation et le meurtre des Juifs désireux de quitter la Hollande. Mais il fait sans doute allusion, aussi, à l’un des « Livres noirs » de l’Humanité, l’anéantissement programmé des Juifs de l’Europe.

La fin du film, abrupte, suscite quelques interrogations. Il s’achève – après le récit des dernières années de la guerre en 1944 et la Libération - par un retour en arrière qui renvoie à l’entame du film situé en Israël en 1956. On y montre une Rachel immobile, perdue dans ce rappel des années noires ; on la voit, rejointe par deux grands enfants et un mari, se diriger en leur compagnie vers une sorte de camp à l’entrée duquel s’inscrit sur un panneau : « Israël - octobre 1956 - kibboutz Stein fondé avec l’argent des victimes juives de 39-45 ». Puis la caméra prend de la hauteur et filme, presque en plongée, des soldats en jeep qui obligent Rachel et les siens à se ranger sur le bas-côté de la piste. Plusieurs fortes déflagrations retentissent alors. Aussitôt, ces mêmes soldats en armes courent vers les miradors et les barbelés qui délimitent ce camp, et mettent en joue un ennemi invisible. Un fondu au noir marque la fin du film.

On peut alors, en se souvenant du cri de désespoir et de colère lancé par un personnage au moment des purges de la Libération (« Décidément rien ne changera jamais. »), se dire que Verhoeven exprime ainsi sa compassion pour les Juifs, une fois de plus persécutés. Et ce sentiment est justifié par le sens même du film. Pourtant, ce kibboutz retranché de 1956, dans lequel s’enferment des Juifs pour se protéger d’une menace, n’évoque-t-il pas, d’une certaine façon, les camps des nazis des années quarante où ils étaient enfermés pour être exterminés ? La situation, même inversée, confine à l’absurde et l’on peut supposer l’ironie du regard de Verhoeven sur ce nouvel avatar de l’Histoire

Paul Verhoeven apparaît bien, par ce nouveau film, comme un cinéaste complexe dont le regard au scalpel révèle, film après film, toute l’ambiguïté de la nature humaine. Entremêlant souvent le Bien et le Mal – sans jamais les confondre -, le réalisateur excelle à jouer sur l’imprévu des situations pour révéler le désarroi profond de l’être humain et de sa condition absurde. Et nous bouleverse ainsi durablement par ce film prenant.

Techniquement, il paraît utile de détailler le procédé utilisé par Verhoeven pour lier les deux époques représentées dans son film, dans la mesure où ce procédé de va-et-vient temporel, utilisé au début et à la fin, se caractérise par une gande pudeur.

Le film présente, dans l’ordre, deux époques : l’une a pour cadre Israël en octobre 1956 ; l’autre, les Pays-Bas en septembre 1944. La première n’est évoquée qu’à deux reprises : un peu plus longuement à l’entame du film, et très brièvement (à travers une séquence d’une minute) lors du retour en arrière final.

Le film s’ouvre donc sur des retrouvailles hasardeuses mais émouvantes en 1956 - entre Rachel, institutrice vivant en Israël et Ronnie, touriste de passage – qui vont servir de prétexte à l’évocation du passé de la jeune femme. Le passage de 1956 à 1944, d’Israël d’aujourd’hui aux Pays-Bas d’alors, se fait à l’aide d’une surimpression toute de douceur : en filmant une fenêtre, la caméra cadre le visage de Rachel qui s’efface progressivement – cependant qu’un thème musical assure la transition – par une surimpression de pluie (synonyme de tristesse) sur une vitre qui fait apparaître, par un mouvement latéral de la droite vers la gauche et ascensionnel du haut vers le bas (symbole des années noires), le visage de la Rachel d’alors.

Le film déroule ensuite les deux heures de sa triste histoire aux Pays-Bas en 1945…

Le retour en arrière final qui ramène à la scène du début utilise le même procédé de surimpression. En effet, un rond dans l’eau que fixe une Rachel désespérée en 1945 s’élargit, efface le visage de la jeune fille, et devient, par surimpression, vague du lac devant lequel la Rachel de 1956 – dont le visage réapparaît alors progressivement par un mouvement latéral de caméra inversé, cette fois, de la gauche vers la droite (synonyme de retour au présent heureux) – achève cette plongée dans les souvenirs malheureux.

Distribution

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Fiche technique


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