Boulevard de la mort

De Cinéann.

Boulevard de la mort (Death Proof), ou À l'épreuve de la mort (Québec) film américain réalisé par Quentin Tarantino , sorti en 2007.

Analyse critique

Stuntman Mike, « Mike le cascadeur », un psychopathe, sillonne les routes en tuant les femmes qu'il trouve sur son chemin. Pour cela il a une méthode bien particulière : il se sert uniquement de sa voiture.

C’est à cause de la scission du Grindhouse initial que Quentin Tarantino a dû rallonger ce premier volet pour en faire un long métrage d’une durée orthodoxe (110 minutes) et que son film risque de surprendre par sa volubilité alors qu’on l’attend dans la catégorie thriller. Grindhouse est devenu un diptyque de films thriller-épouvante imitant le style des films d'exploitation. Les deux épisodes, Boulevard de la mort (Death Proof) réalisé par Quentin Tarantino et Planète terreur (Planet Terror) réalisé par Robert Rodriguez, devaient à l'origine être séparés par de fausses bandes annonces. Cependant, dans les pays non-anglophones, les deux parties sortent séparément. Une décision prise par les frères Weinstein, les producteurs. A l'occasion de cette collaboration Tarantino et Rodriguez se sont créé un t-shirt reprenant le symbole d' AC/DC en remplaçant ces lettres par QT et RR pour Quentin Tarantino/Robert Rodriguez (QT/RR).

Passé à la direction de la photo, Tarantino semble s’essayer à divers genres et expressions visuelles. L’œuvre se divise en trois parties.

La première, avec sa photo surexposée, restitue l’apparence de la pellicule des vieilles bobines de films de série Z, avec rayures et grains de poussière, film tressautant et faux raccords. C’est une imitation de l’utilisation cheap du CinemaScope couleur faite dans de nombreux films mineurs des années 1970. On pense au cinéma horrifique et un tantinet laborieux d’un réalisateur pourtant inventif comme l’Italien Dario Argento (Le Chat à neuf queues, 1971). En même temps, Tarantino recourt à la narration hitchcockienne qui consiste à s’attacher aux pas d’héroïnes qui vont finir trucidées avant le milieu du film (comme Janet Leigh dans Psychose).

Au milieu de l’œuvre, Tarantino fait comme une pause en passant au noir et blanc et aux plans statiques rappelant ceux des road movies période 1970-1980 de Wim Wenders et Jim Jarmusch. Le parking d’un drugstore routier est le point de rencontre de deux voitures : dans l’une, un nouveau quatuor d’héroïnes et, dans l’autre, toujours Stuntman Mike, l'obsédé balafré en quête de chocs meurtriers avec filles et bagnoles superbement carrossées.

Puis on revient à la couleur avec une très belle photo sous-exposée. Il ne va alors plus être question que de cinéma dans le cinéma avec, notamment, l’authentique cascadeuse Zoe Bell et ses vaillantes copines affrontant Stuntman Mike dans une mémorable partie de stock-cars sans trucage.

Devant cette recherche esthétique, les plus grands frissons naissent non pas grâce à la terreur escomptée, mais à quelques plans dignes de rester dans l’histoire: zoom sur les doigts de pied aux ongles peints en rouge des demoiselles, visage noir et blanc du tueur léchant[ la plante des pieds de la belle alanguie dans son coupé. Ou bien encore, plan quasiment macro de l’œil glacial et inquiétant du prédateur guettant ses proies. Plan large et morosité de la pluie qui tombe dans une flaque d’eau près du bastringue où les époques se mélangent comme à la recherche du temps perdu avec son juke-box fluo, ses disques vinyles sixties, ses téléphones portables et iPods du 3e millénaire. Mais femmes de toujours, toutes : enfant, voluptueuse, aguicheuse, boudeuse, rieuse, baroudeuse, yéyé, rock.

La présence des actrices Jordan Ladd, petite-fille d’Alan Ladd et fille de Cheryl Ladd, Sydney Tamiia Poitier, fille de Sidney Poitier, Mary Elizabeth Winstead, petite-cousine d'Ava Gardner, et la BO reprenant des airs signés par une pléthore de musiciens symboliques étasuniens et européens des années 1950 à 70 (Leiber & Stoller, The Coasters, T-Rex, Morricone, Cipriani, Gainsbourg, Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick & Tich) sont sans doute, pour Tarantino, autant de références aux mythes du cinéma qu’il affectionne. Ce n’est pas le Boulevard de la mort, mais le Boulevard du cinéma.

Une des autres qualités du cinéaste réside dans sa capacité à puiser, là aussi remarquablement, dans le « réservoir » infini d’images qu’est le cinéma. Le grain de la péliculle, la photo équivalente à celle d’un petit budget, le travail sur le son, tout confère à plonger dans l’univers merveilleux des années 1970. La continuité du film ne loge donc pas davantage à l’intérieur de chaque partie, dans la substitution des carambolages aux discussions. Tarantino se contente de bondir des uns aux autres, déroulant deux fois deux rubans, la langue et la route. Dès lors, c’est en deçà ou au-delà de la logique qu’ont lieu les enchaînements, sur le mode de la reprise ou de l’accident. Il y a aussi les trous et les scratchs qui affectent le 35 mm, par volonté de reproduire la mauvaise qualité de copie propre aux films « Grindhouse ». On peut n’y voir que clins d’oeil fétichistes. On y reconnaîtra de préférence une vérité supérieure : la course de Boulevard de la mort est d’abord celle de la pellicule. Les langues ont beau délirer, les pneus crisser, sans celle-là ces deux bandes débanderaient, coupées net.

La loi machinique a remplacé les constructions rhétoriques. Parler, rouler, filmer, même bolide célibataire lancé à l’aveugle sur le boulevard de la mort. C’est le fameux saut du tigre dans le passé : le cinéma repart à zéro, loin du numérique, langue tirée et pied au plancher. Tarantino est à cet égard le digne continuateur de deux maîtres Jean Eustache, aussi prodigue que lui en monologues infinis, et qui aimait dire : « La caméra tourne, le cinéma se fait. » Et Monte Hellman qui, à la fin de Macadam à deux voies, fit s’enflammer la pellicule après un dernier démarrage en trombe.

Un film qui marie les deux, brûlant les lèvres en même temps que l’asphalte, se voue au compte à rebours, à la combustion. On remarquera que le trou le plus long intervient à la fin de la lap dance qu’Arlene / Butterfly exécute pour Mike, nous privant ainsi de son climax. C’est de la jouissance que déroule la pellicule, et c’est un peu de jouissance qui part en fumée à chaque fois que manque un photogramme. Ce qui éclaire l’obsession de Mike : tamponner les girls avec sa voiture à l’épreuve de la mort (Deathproof, selon le titre original) est sa façon à lui d’atteindre l’orgasme.

Boulevard de la mort va de la nuit au jour, de la ville à la campagne, de jeunes femmes fortes en gueule mais vite jetées dans le décor à une authentique cascadeuse (Zoe Bell, actuelle compagne du cinéaste) accomplissant en plan rapproché d’incroyables acrobaties sur le capot d’une Dodge Challenger 1970. La jouissance a un cap : celui de s’alléger à mesure qu’approchent le plein jour et le plein air, jusqu’à la libération des dernières minutes.

Le cinéaste estime que, par là, les secondes filles vengent les premières pour nous, les spectateurs. Zoe et sa camarade Kim, au volant de la Dodge, sont en effet plus communes, plus « réelles » que Butterfly ou Jungle Julia. Il y aurait donc encore une manière d’envisager le défaut d’articulation qui commande Boulevard de la mort, comme la juxtaposition bord à bord d’un film et de son dehors, d’une parole qui alternativement fait l’action et ressemble à celle qui prolifère autour du cinéma.

À travers le saut du verbe à l’action, d’une partie à l’autre, Tarantino cherche à accorder la pellicule et son usure, voire son feu, sa disparition pure et simple. Le coup de force culturel de Boulevard de la mort tient à une duplication, mais ce n’est que secondairement celle de l’hommage rendu par un cinéaste de renom à un genre oublié. C’est bien davantage l’audace de faire se succéder des conversations, filmées de manière volontiers banale, et deux scènes de voiture, une collision, une poursuite, qui comptent parmi les sommets du film d’action.

Il y a plus profond chez Tarantino que le saut hors du rang des assassins, c'est l’ambition d’un art qui tantôt électrise, tantôt épouse et salue le commun, au risque de s’y dissoudre. Boulevard de la mort est, à sa sortie, le plus rapide, mais aussi le plus modeste et le plus simple des films de Tarantino. Le plus proche sans doute de ce qu’il est, un être pétri de références mais tout sauf « cultivé ».

Distribution

Boulevardmort.jpg
  • Kurt Russell: Stuntman Mike / « Mike le cascadeur »
  • Zoë Bell : Zoë (elle-même)
  • Rosario Dawson  : Abernathy
  • Rose McGowan  : Pam
  • Vanessa Ferlito : Arlene « Butterfly »
  • Sydney Tamiia Poitier  : Jungle Julia
  • Jordan Ladd : Shanna
  • Tracie Thoms  : Kim
  • Mary Elizabeth Winstead  : Lee Montgomery
  • Quentin Tarantino : Warren, le barman
  • Eli Roth : Dov
  • Omar Doom : Nate

Principaux films cités dans Boulevard de la mort

  • Village of the Giants de Bert I. Gordon (1965)
  • American Graffiti de George Lucas (1973 )
  • La Société du spectacle de Guy Debord (1973)
  • Pierrot le fou de Jean-Luc Godard (1965)
  • Les Bonnes Femmes de Claude Chabrol (1960)
  • Un espion de trop (Telefon) de Don Siegel (1977)
  • Blow Out de Brian de Palma (1981)
  • La Course à la mort de l'an 2000 (Death Race 2000) de Paul Bartel (1976)
  • L'Oiseau au plumage de cristal de Dario Argento (1970 70)
  • Kill Bill de Quentin Tarantino (2003-2004)
  • Faster, Pussycat! Kill! Kill! de Russ Meyer (1966)
  • Point limite zéro (Vanishing Point) de Richard C. Sarafian (1971)
  • Larry le dingue, Mary la garce (Dirty Mary Crazy Larry) de John Hough (1974)
  • Le Témoin à abattre (La polizia incrimina, la legge assolve) d'Enzo G. Castellari (1973)
  • Opération jaguar (Italia A Mano Armata) de Marino Girolami (1976)
  • Le Convoi de Sam Peckinpah (1977)

Fiche technique

  • Titre : Boulevard de la mort
  • Titre version francophone au Québec : À l'épreuve de la mort
  • Titre original : Death Proof
  • Réalisation, scénario et dialogues : Quentin Tarantino
  • Directeur de la photo : Quentin Tarantino
  • Montage : Sally Menke
  • Producteurs : Quentin Tarantino, Robert Rodriguez, Elizabeth Avellan, Erica Steinberg
  • Producteurs exécutif : Bob Weinstein, Harvey Weinstein
  • Durée : 110 minutes
  • Dates de sortie : 22 mai 2007 en compétition au Festival de Cannes 2007
    • 6 juin 2007 sortie nationale en France
  • Interdit aux moins de 12 ans en France
  • Pour les + de 13 ans au Québec


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