Brève rencontre

De Cinéann.

Brève Rencontre (Brief Encounter), film britannique de David Lean, sorti en 1945.

Analyse critique

Laura Jesson , une femme au foyer habitant la banlieue, raconte son histoire à la première personne tandis qu’elle est chez elle avec son mari, et qu’elle s’imagine qu’elle lui confesse la liaison qu’elle a eue. Le spectateur découvre au bout d'un quart d'heurequ'il s'agit d'un flash-back.

Une fois par semaine, Laura se rend dans la ville proche de Milford pour faire des courses et aller aux séances de cinéma du matin. Alors qu’elle rentre chez elle après l’une de ses escapades hebdomadaires, sur le quai de la gare, elle reçoit une escarbille dans l’œil. Un homme qui attend également un train la lui enlève ; il est médecin et s’appelle Alec Harvey. Ils ont tous les deux la quarantaine ; ils sont mariés et ont chacun deux enfants. Le médecin est un généraliste qui, une fois par semaine, travaille également comme spécialiste à l’hôpital local, mais dont la véritable passion est la médecine préventive et, par exemple, l'étude des causes des maladies respiratoires chez les mineurs.

Quelque temps après cette première rencontre, Alec revoit Laura par hasard dans un restaurant bondé, où elle l’invite à s’asseoir à sa table pour un repas en tête-à-tête. Ils apprécient la compagnie l’un de l’autre, et s’arrangent pour se revoir. Bientôt, ils sont surpris de sentir que leur relation, innocente et banale au départ, peu à peu se transforme en quelque chose de plus profond.

Pendant une courte période, ils se rencontrent furtivement, vivant constamment dans la crainte d’être surpris par l'une de leurs connaissances respectives. Après plusieurs rencontres, ils décident de se retrouver dans une chambre appartenant à un ami du docteur, mais le couple est surpris par le retour inattendu de ce dernier. L’épisode fait prendre conscience complètement à l'un comme à l'autre des amoureux que leur futur ensemble est impossible et, pour ne pas blesser leurs familles, ils décident de se séparer. Le médecin se prépare à partir pour Johannesbourg, en Afrique du Sud.

On assiste une seconde fois à leur dernière rencontre au café de la gare, à présent avec la perspective poignante de leur histoire. Tandis qu’ils vivent avec la plus grande émotion leur dernier moment ensemble, Dolly Messiter, une amie de Laura, s’invite à se joindre à eux et se met à bavarder sans s’arrêter et sans avoir conscience du désarroi qui étreint le couple.

Ils se rendent compte que leur est dérobée la chance de se faire de sincères adieux, quand le train d’Alec arrive : Dolly ne se tait toujours pas, et Alec s’en va en ne pouvant donner à Laura qu’un ultime geste désespéré, sa main appuyée sur son épaule. Lorsque la sirène du train retentit annonçant le départ du train, Laura se précipite sur le quai. Les lumières d’un train express lui gifle le visage au moment où elle se ressaisit, après avoir eu l’envie de se jeter sur la voie. Elle rentre auprès de son mari et de ses enfants.

Dans une scène finale, qui ne figure pas dans la pièce originale de Noel Coward, le mari de Laura montre soudainement qu’il n’a pas été complètement indifférent à la détresse de sa femme au cours des dernières semaines : en prononçant les mots « Merci de revenir à moi », il la prend dans ses bras. Ainsi le film se termine-t-il par un hommage apparent aux institutions du mariage et du devoir.

Pendant toute la durée du film, lors des scènes qui se déroulent dans le café où Laura et Alec se rencontrent pour la première fois et où ils se sépareront, on assiste en parralèle aux épisodes le plus souvent amusants d'une cour que fait le chef de gare à la tenancière du buffet, une dame très collet monté, qui se montre assez autoritaire vis-à-vis de la toute jeune fille qui est son employée. Sans abandonner son air revêche devant son prétendant, elle paraît tout de même flattée de l'intérêt qu'il lui porte. Cette histoire ne semble guère évoluer, mais c'est tout de même à une sorte de parade amoureuse à laquelle il nous est donné d'assister, qui s'inscrit dans une certaine durée, contrairement à l'histoire de Laura et Alec, mais qui, toujours en apparence, n'aboutit pas davantage.

Le film est adapté d’une pièce en un acte de Noel Coward Still Life (1936), qui appartient à un groupe de dix courtes pièces connues sous le titre d’ensemble Tonight at 8:30, et qui étaient destinées à être jouées par Gertrude Lawrence et Coward lui-même en différentes combinaisons de chaque fois trois pièces par représentation. Toutes les scènes de Still Life ont pour décor le buffet d’une gare : celle, fictive, de Milford Junction.

Certaines scènes sont rendues moins ambiguës et plus dramatiques dans le film : ainsi celle dans laquelle les deux amants sont sur le point de commettre l’adultère est atténuée, là où dans la pièce il était laissé à l'imagination du public de décider s’ils avaient ou non consommé leur liaison en réalité. Dans le film, Laura vient juste d’arriver dans l’appartement du Dr. Lynn lorsque ce dernier fait son apparition, et c’est sur-le-champ que le Dr Harvey la fait sortir par l’escalier de secours. Plus tard, quand Laura veut se jeter sur la voie de chemin de fer au moment où un express entre en gare, le film ne laisse plus aucun doute subsister sur la volonté de suicide, clairement avouée par la voix off de Laura narratrice.

La gare est par excellence un lieu symbolique, lieu de passage, lieu où en principe l'on ne s'attarde jamais. Les passages de l'express soulignent les moments émotionnellement les plus forts de l'histoire. Cette gare est le lieu où tout commence et où tout finit. La rencontre n'aurait jamais dû avoir lieu, l'aventure doit être effacée. Laura se soulage du poids qui tant lui pèse par la longue confession imaginaire qu'elle fait à son mari, cette confession ayant pour but d'effacer la « coupable » liaison en même tant qu'elle procède en pensée à la reconstitution minutieuse de celle-ci.

Le film débute avec l'histoire annexe de la tenancière du buffet de la gare, sorte de MacGuffin cher à Alfred Hitchcock . Un chef de gare regarde sa montre, traverse une voie de chemin de fer, puis pénètre dans le buffet ou il s'accoude au bar et entre en conversation avec la tenancière. Il lui parle d'un voyageur qui a voulu profiter d'une première classe alors qu'il n'y avait pas droit. Bientôt, la caméra abandonne le premier plan pour glisser ingénument sur un couple à une table, deux personnages, d'abord anecdotiques, qui se révèleront être les vrais protagonistes de l'histoire. L'effet souligne la banalité de ce qui va être raconté par la suite, banalité signifiant : ce qui touchera le plus grand nombre. Au début du film, dans le train, Laura se retrouve dans le compartiment de Dolly Messiter, qui n'arrête pas de parler, inconsciente de ce qui trouble Laura : à un zoom avant extrêmement discret sur le visage de Laura succède bientôt un gros plan de la bouche de la bavarde, puis un plan posé, en pensées, sur le visage ennuyé de Laura. Des zooms souvent très légers, à peine perceptibles, s'avançant un peu plus cependant quand l'émotion du personnage s'intensifie, se font ainsi régulièrement au cours du film sur le visage de Laura, qui vont trouver un paroxysme, lorsqu'à la fin, fou de détresse, le personnage se dirige vers le quai pour se jeter sur la voie, et que la caméra, alors, semble elle aussi flancher, perdre pied ; le cadrage bascule dangereusement vers la gauche.

Le plus frappant est la finesse psychologique de Lean, qui parvient à exprimer exactement l’inverse de ce qui est dit et montré, appuyant l’amour naissant de l’héroïne alors qu’elle cherche à donner le change à Alec et à elle-même. Le procédé va s’exprimer pleinement dans une des séquences les plus marquantes, celle où le cœur de Laura bascule définitivement. Alec et elle se font face à une table de bar, filmé en plan d’ensemble. La conversation s’emballe quand Alec se met à parler avec ferveur de son métier de médecin. Laura, peu habituée à ce genre d’exaltation, étant mariée à un homme placide et terre à terre, est subjuguée. Un léger mouvement de caméra la saisit alors en gros plan, son visage s’éclaircit tandis que le reste du décor est plongé dans l’obscurité. Elle aime cet homme et elle le sait, désormais plus rien n’existe

La censure anglaise, déjà bien vivace à l’époque, ne permet pas de traduire la situation d’adultère de manière trop explicite. Cependant, David Lean va contourner cette contrainte en inscrivant l'interdit dans la thématique même du film. Chaque entrevue des amants se voit troublée et écourtée par un élément extérieur, quant ce n’est pas la crainte d’être aperçus par une connaissance qui gâche ces rares instants de bonheur. Ces interruptions malheureuses contribuent progressivement à la séparation du couple adultère. En tant que personnes respectables, ils ne peuvent gérer les aléas d’une double vie. Le degré de gravité de ces contretemps va crescendo au fur et à mesure que le film avance : tout d’abord une connaissance de Laura croisée au restaurant, puis le retour prématuré de l’ami d’Alec à son appartement, et bien sûr la poignante séparation finale. L’unité de lieu représenté par le buffet de la gare illustre le sentiment de claustrophobie des amants, en montrant la limite de leurs lieux de rencontres. Il est aussi symbole de douleur et de frustrations, puisqu'il est le cadre des multiples séparations jalonnant le récit. La gare est également à l'image de leur relation : un endroit de passage où l’on ne s’attarde pas, un lieu de brève rencontre. Le Concerto pour piano n° 2 de Rachmaninov, boucle musicale du film, souligne ainsi le côté répétitif et inéluctable du destin des personnages.

Distribution

  • Celia Johnson : Laura Jesson
  • Trevor Howard : Dr. Alec Harvey
  • Stanley Holloway : Albert Godby
  • Joyce Carey : Myrtle Bagot
  • Cyril Raymond : Fred Jesson
  • Everley Gregg : Dolly Messiter
  • Marjorie Mars : Mary Norton
  • Margaret Barton : Beryl Walters
  • Valentine Dyall : Stephen Lynn

Fiche technique

  • Titre français: Brève Rencontre
  • Titre original complet: Noel Coward's Brief Encounter
  • Réalisation : David Lean
  • Scénario : Noel Coward d'après sa pièce en un acte Still Life
  • Images : Robert Krasker
  • Musique : Sergueï Rachmaninov
  • Montage : Jack Harris
  • Production : Noel Coward, Anthony Havelock-Allan et Ronald Neame pour Cineguild
  • Pays d'origine : Royaume-Uni
  • Format : Noir et Blanc
  • Durée : 86 minutes
  • Dates de sortie : 26 novembre 1945, Royaume-Uni

Récompenses et nominations

  • Festival de Cannes 1946, grand prix (avec 10 autres films) : David Lean ;
  • nommée aux Oscars 1947, pour le Prix de la meilleure actrice, Celia Johnson ; pour le Prix du meilleur metteur en scène, David Lean ; pour le Prix du meilleur scénario, Anthony Havelock-Allan, David Lean et Ronald Neame.
  • Le film est classé 2e au classement du British Film Institute des meilleurs films britanniques.


Retrouvez tous les détails techniques sur la fiche IMDB

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