Cold War

De Cinéann.

Cold War (Zimna wojna) film polonais de Pawel Pawlikowski, sorti en 2018

Analyse critique

Le film commence en 1949 par des auditions, pour un spectacle traditionnel de chant, danse et musique. Du folklore polonais que Wiktor et Irina, tous deux enseignants dans une école, souhaitent mettre en majesté à Varsovie. Pour cela, dans le froid, en véritables ethnographes, ils ont battu auparavant les campagnes profondes, le micro tendu, pour enregistrer de vieilles chansons vernaculaires. Ces séquences de chasse au trésor patrimonial, à forte teneur documentaire, genre par lequel Pawel Pawlikowski a commencé sa carrière, sonnent juste par leur réalisme, par les descriptions d'un duo de vieux paysans, d'une fillette chantant a cappella ou accompagnés d’instruments traditionnels.

Zula, une jeune chanteuse, est embauchée lors d'un casting, pour son talent de chanteuse, son don pour la danse et son caractère affirmé. Wiktor et Zula tombent rapidement follement amoureux et jurent de ne plus se quitter. Wiktor profite d'un déplacement du groupe à Berlin-Est pour passer à l'Ouest et rejoindre Paris, mais, au dernier moment, Zula refuse de le suivre. Il la retrouve briévement en Yougoslavie pour un moment amoureux alors qu'elle est en tournée du groupe folkorique.

Zula épouse quelques années plus tard un Italien afin de pouvoir quitter légalement la Pologne et rejoindre Wiktor à Paris. Là, ils vivent quelque temps ensemble des amours compliqués, lui pianiste et compositeur pour le club de jazz L'Éclipse, et elle chanteuse de jazz. Mais Zula, sombre dans la mélancolie alcoolique et ne supporte pas le milieu artistique parisien. Elle décide alors de repartir en Pologne. Wiktor rentre dans son pays pour la revoir, mais se retrouve incarcéré dans un camp de travail polonais pour trahison à la Pologne communiste et franchissement illégal de frontières.

Mutilé à une main, la carrière musicale brisée, il est libéré au bout de cinq années avec l'appui de l'administrateur du groupe folkorique, devenu le mari de Zula, dont elle a eu un enfant. Wictor et Zula décident de revenir sur les lieux de leur rencontre pour se suicider ensemble dans une chapelle orthodoxe en ruine et forger définitivement leur amour impossible.

Suivant le même procédé que celui qui fit le succès de Ida en 2013, le réalisateur cherche davantage à mettre en avant le travail opéré sur le rendu de la photographie que sur les prestations des acteurs, tout en retenue. La musique est centrale dans Cold War. Loin de servir d’appoint, elle habite les deux amoureux, le pianiste et la chanteuse et les dépasse même, de par son caractère ancestral.

En s’ouvrant sur le parcours de Viktor, ce musicien charismatique, et de deux autres polonais spécialistes en musicologie, mandatés par le Parti pour débaucher des chanteurs dans la campagne polonaise afin d’alimenter un spectacle propagandiste, le réalisateur assure à son film une portée politique qu’on ne lui attendait pas forcément. Toutefois, le romantisme du coup de foudre qui unit Viktor à Zula détourne le scénario de ce propos pour se concentrer sur un enjeu unique, leur relation. Tandis que la jeune femme fait preuve d’une extrême pudeur et d’un attachement à son pays natal, lui voudrait au contraire qu’ils s’enfuient vers cet Occident, qu’il rêve terre de liberté bucolique et d’inspiration musicale.

Cette histoire banale d’un amour impossible mais qui dure, Pawel Pawlikowski l’enrichit de manière élégante et bouleversante, en l’associant étroitement à la guerre froide. Une guerre qui pèse et empêche, mais aussi, c’est tout le paradoxe, qui aiguise, alimente, reflète même parfois cette passion.

Il faut attendre la seconde moitié du film, et la fuite en avant de Viktor, rejoint par sa bien-aimée à Paris, pour que le cinéaste s’accorde plus de temps pour les observer dans leur intimité. C’est là que l’on ressent enfin une évolution affective dans le personnage de Zula. C’est, en l’occurrence, cette désillusion de découvrir un Paris mondain, loin de la vie de bohème promise par son amant, qui représente l’émotion que Pawlikowski aura su le mieux transposer à l’écran.

Le film est en noir et blanc, somptueux; terne, mat, en Pologne; nettement plus contrasté à Paris, très ensoleillé ou satiné la nuit, où Wiktor joue dans un club de jazz. L'histoire est inspirée par le couple, infernal et céleste, des propres parents du réalisateur, auxquels il dédie son film.

Distribution

  • Joanna Kulig : Zuzanna Lichon dite Zula, la chanteuse
  • Tomasz Kot : Wiktor Warski, le pianiste, chef d'orchestre et compositeur
  • Agata Kulesza : Irena Bieleczka, la collaboratrice du recrutement musical
  • Jeanne Balibar : Juliette, la poétesse parisienne
  • Borys Szyc : Lech Kaczmarek, l'administrateur du groupe folkorique polonais
  • Cédric Kahn : Michel

Fiche technique

  • Titre original : Zimna wojna
  • Réalisation : Pawel Pawlikowski
  • Scénario : Pawel Pawlikowski, Janusz Głowacki, avec la collaboration de Piotr Borkowski
  • Photographie : Lukasz Żal
  • Montage : Jarosław Kamiński
  • Sociétés de production : Opus Film, Apocalypso Pictures, MK2 Productions
  • Format : noir et blanc
  • Durée : 85 minutes
  • Dates de sortie : 10 mai 2018 (Festival de Cannes 2018)
    • Pologne : 8 juin 2018
    • France: 24 octobre 2018 (sortie nationale)
  • Récompense : Festival de Cannes 2018, prix de la mise en scène.
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