Contes cruels de la jeunesse

De Cinéann.

Contes cruels de la jeunesse (青春残酷物語, Seishun zankoku monogatari) film japonais réalisé par Nagisa Oshima, sorti en 1960.

Analyse critique

Makoto hésite, jeune fille, effrontée, se fait raccompagner en voiture le soir par des quadragénaires émoustillés par sa jeunesse. Un soir, un des conducteurs tente de la violer lorsqu'elle est sauvée par Kiyoshi, un beau jeune homme bagarreur, étudiant dilettante. La relation que Makoto va engager avec Kiyoshi va les mener tous les deux à leur perte. Le temps de se déchirer, de se détruire sur fond d'insurrection étudiante contre le pacte de sécurité nippo-américain, la violence individuelle en miroir de la violence collective.

Dès leur rencontre, elle le gifle, il la frappe et la jette à l'eau, elle ne sait pas nager, il la repousse pour la faire céder, ils s'étreignent ensuite sur un rocher sous un soleil chauffé à blanc. Bravant les conventions sociales de l'époque, Makoto, encore mineure, va pourtant s'installer avec Kiyoshi dans une chambre.

Makoto a une sœur aînée, Yuki, qui a abandonné ses idéaux de jeunesse et repoussé son fiancé, Akimoto, avec qui elle militait, pour se faire entretenir par un homme plus âgé. Plus tard, sa sœur va retrouver son ex-fiancé devenu terne médecin sans illusions dans une clinique. Dans une scène incroyable où les deux couples se répondent sans se voir, l'un dans le cabinet médical : Yuki et Akimoto, l'autre dans une chambre attenante : Makoto et Kiyoshi, elle vient d'avorter, il la réconforte, Oshima pose les moteurs de violence des deux générations d'après guerre : ceux, nostalgiques, qui ont renoncé à leurs engagements politiques et leurs rêves de jeunesse (Yuki et Akimoto) et ceux qui n'ont jamais eu de rêves, jeunesse amorale et désœuvrée dont le support de violence est presque exclusivement leur libido (Makoto et Kiyoshi).

Tout est cruel dans le film, tout le monde est à vendre et se se vend, la société réprime en dernier lieu. Kiyoshi, délinquant par vocation, fréquentant une bande de voyous, trouve sa force, même factice, dans la cruauté, gentil quelquefois avec Makoto, il perd alors son identité et redevient méchant. Kiyoshi oblige désormais Makoto à reproduire leur schéma de rencontre, devenu une source facile de revenus, elle se fait draguer par un conducteur qui la raccompagne en voiture, il intervient alors pour feindre de la sauver en menaçant l'homme de porter plainte à la police, le conducteur paye pour avoir la paix.

Au dernier moment, quand il sera trop tard, Kiyoshi tentera pourtant d'épargner Makoto en refusant de la donner à la bande de voyous à qui il doit de l'argent. Dans l'intervalle, Makoto aura supporté toutes les variantes de la cruauté quelque fois sadique de Kiyoshi dont elle s'obstine à croire que ce n'est pas si grave du moment qu'il l'aime. La lente dépravation du couple est présentée comme inéluctable, les deux jeunes gens rongés par un mal intérieur et extérieur : la société japonaise fustigée par Oshima, réalisateur engagé, car, comme dans toute son œuvre, le point de vue sous-jacent est politique, contestataire, presque révolutionnaire. La violence aura finalement raison des deux amants.

Oshima, qui n'a que 28 ans au moment de la réalisation, fait un large usage de la caméra portée et du tournage en extérieur, ce qui lui vaut d'être comparé aux autres réalisateurs des Nouvelles Vagues qui émergent simultanément dans plusieurs pays. Contes cruels de la jeunesse est ainsi considéré comme l'un des premiers films de la Nouvelle vague japonaise.

L'utilisation de personnages d'adolescents criminels comme héros fut source de controverse à l'époque, ce qui n'empêcha pas le film d'être un succès commercial et d'ouvrir la voie à toute une nouvelle génération de réalisateurs parmi lesquels Shohei Imamura, Masahiro Shinoda, Yasuzo Masumura, Susumu Hani, Hiroshi Teshigahara qui attirèrent l'attention internationale. Avec ce film, Oshima commence à explorer les thèmes qui le rendront célèbre : la jeunesse marginale et la déconstruction critique de l'imagerie stéréotypée du cinéma japonais.

Contes cruels de la jeunesse est tourné en 1959 dans un contexte politique houleux, celui de l’opposition de la gauche japonaise au nouveau traité de sécurité négocié avec les États-Unis et de la visite d’Eisenhower. Des émeutes éclatent et Ôshima inscrit ses films d'alors dans cette actualité brûlante sans, toutefois, la traiter de front.

Contes cruels de la jeunesse fait partie de la Trilogie de la jeunesse avec Une ville d’amour et d’espoir (1959) et L’Enterrement du soleil (1960). La contestation gronde dans la rue, mais elle gronde aussi dans le cinéma. Les trois films ont en effet l’air de remettre à plat certains codes d’antan et de réinventer le néoréalisme italien en filmant en extérieur ruines et bas-fonds. C’est une invraisemblable et immense plage de troncs d’arbres que filme Ôshima pour inscrire une histoire d’amour dans la dureté d’un paysage industriel.

Ce qui fait la marque d’Ôshima c’est la matérialité qu’il donne à ses personnages et ses décors. Tout semble ici suer, suinter et pourrir au soleil. L’outrance des cadrages, contre-plongés ou très gros plans, propulse dans l’intimité corporelle des personnages. Le film s’enfonce dans la boue comme ce soleil sans cesse déclinant dans le film, symbole d’un pays moribond pour Ôshima. Les couleurs sont un étrange mélange de couleurs pétaradantes des années 1960 et de tons sombres, boueux et organiques.

Contemporain d' À bout de souffle de Godard, le film, en s’intéressant à une nouvelle génération, va faire passer le cinéma mondial dans une nouvelle ère. Des corps nouveaux, des idées et des aspirations nouvelles vont logiquement donner naissance à un nouveau cinéma. Le style d’Oshima est beaucoup moins limpide et transparent que celui des cinéastes japonais précédents. La caméra est plus sauvage, elle suit les corps, s’immerge dans le réel comme simple témoin, flirte avec la peau et le désir. Chaque image dégage une impression d’exaltation forte. Les corps face à nous sont périssables et incroyablement vivants. Ils brûlent littéralement de désir. Le grain de la peau est sensible.

Oshima sort dans la rue et affronte les paysages dans lesquels il inscrit son histoire, sans chercher à faire de belles images léchées du chaos urbain ou de la misère, mais bien en saisissant le monde brutalement, nerveusement, captant au passage des lumières magnifiques, des oranges, des jaunes, des verts. Oshima opte pour un rythme vif, brutal, sans apitoiement pour qui que ce soit. Le désespoir, l’incommunicabilité et le nihilisme ne prennent pas la forme de longues poses statiques et langoureuses dans des plans cadrés au millimètre. Oshima, comme Godard et Cassavetes, ressent cette urgence de montrer à tout prix, de confronter sa caméra au réel sans toutefois tomber dans le chaos de l‘agitation. Oshima est, en vrai cinéaste, quelqu’un qui compose ses films à l’aide du mouvement, de l’espace et de la lumière.

Distribution

  • Yusuke Kawazu : Kiyoshi
  • Miyuki Kuwano : Makoto
  • Yoshiko Kuga : Yuki
  • Fumio Watanabe : Akimoto
  • Shinji Tanaka : Yoshimi Ito

Fiche technique

  • Titre : Contes cruels de la jeunesse
  • Titre original : 青春残酷物語, Seishun zankoku monogatari
  • Réalisation : Nagisa Oshima
  • Scénario : Nagisa Oshima
  • Production : Tomio Ikeda
  • Société de production : Shôchiku
  • Musique : Riichiro Manabe
  • Photographie : Takashi Kawamata
  • Montage : Keiichi Uraoka
  • Durée : 96 minutes
  • Date de sortie : 3 juin 1960


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