Cuban Network

De Cinéann.

Cuban Network , film français et espagnol de Olivier Assayas, sorti en 2019

Analyse critique

Cuban Network tient plus du thriller manipulateur où les masques sont condamnés à tomber que de la fresque criminalo-politique. René Gonzalez y est montré comme un bon soldat, guidé par la foi révolutionnaire mais pas prêt à vendre son âme à n’importe quel prix, y compris pour faire venir sa famille à Miami. C’est l’anti-Carlos, en somme, qu’Édgar Ramírez incarne avec une bonhomie inversement proportionnelle à la rage caractérisant le terroriste qu’il avait précédemment joué pour Assayas. Le rôle le plus excitant est en définitive dévolu à Wagner Moura, qui interprète avec voracité Juan Pablo Roque, cet agent flamboyant et amoral qui négocia à prix coûtant des informations au FBI et épousa en grande pompe une femme divorcée pour mieux l’abandonner sans explication, du jour au lendemain. Tiraillé entre ces pôles contraires, entre la glace et le feu, le film peine à trouver une unité de ton que lui confère cependant la mise en scène d’Assayas. Tour à tour caressante et électrique, voire majestueuse comme dans les séquences aériennes, sa caméra stylo apporte un semblant de cohérence à la partition.

Carlos était une critique en règle du terrorisme d’origine marxiste dilué dans le culte de la personne. Assayas démontre cette fois que le régime répressif castriste a eu raison d’infiltrer le voisin et ennemi américain pour mieux se protéger. Une théorie recevable dans la mesure où, par leurs opérations terroristes, couvertes ou non par les USA, on ne sait pas trop, les anticastristes menaçaient la sécurité de l’île et de ses habitants. En surfant sur la mode de l’antiaméricanisme primaire, jusqu’à faire condamner le FBI et ses méthodes pourries par l’employeur américain d’Olga, épouse d’un espion avéré, Assayas prend un risque calculé. Personne ne lui reprochera cette approche en 2019 quand Trump cristallise toutes les rancoeurs autour de son hégémonisme archaïque.

Dix ans après Carlos, Olivier Assayas renoue avec la géopolitique, ce jeu complexe entre les nations où les individus font l’Histoire et sont broyés par elle. À travers ce récit authentique, il retrouve aussi une efficacité narrative, un plaisir du feuilleton dopé aux scènes d’action; le cinéaste multiplie les personnages, les actions secondaires, les flash-back. Tout, dans ce film, est une question d’apparences, de mensonges, de manipulation. Assayas renvoie dos à dos Cuba et les États-Unis, les deux pays ennemis, qui, par cynisme, voire par inconscience, sont prêts à sacrifier leurs meilleurs « soldats » au gré de leurs intérêts changeants. Mais c’est pour mieux rendre hommage à ces victimes de la raison d’État. Le réalisateur montre aussi, et ce n’est pas si fréquent dans un thriller d’espionnage, l’impact cruel de ces jeux de pouvoir sur les épouses, abandonnées ou dupées. Avec aussi un beau portrait de femme à la clé : Penélope Cruz est très émouvante en victime de ces machinations.

Le contexte historique:

Entre avril et septembre 1997, une série d'attentats à la bombe se produit dans des hôtels de La Havane. Le 12 juillet 1998, Luis Posada Carriles reconnait dans une interview au New York Times avoir organisé ces attentats pour le compte de la Fondation nationale cubano-américaine, et dit avoir une grande liberté de circulation sur le territoire américain. Les autorités cubaines reçoivent alors des agents du FBI pour leur réclamer l'arrestation des terroristes, et leur fournir les dossiers concernés.

À la surprise du gouvernement de La Havane, cinq cubains sont arrêtés le 12 septembre 1998 à Miami, accusés d'être des agents de Cuba : René Gonzalez Sehweret, Gerardo Hernandez Nordelo, Ramón Labañino Salazar, Fernando González Llort et Antonio Guerrero Rodríguez. Ils sont mis en examen pour 26 chefs d'accusation, notamment celui de conspiration en vue de commettre des délits et des actes d'espionnage pour le compte de Cuba, et, dans le cas de Gerardo Hernandez, celui d'homicide volontaire. Les autres délits concernent l'utilisation de faux papiers ou la non-déclaration de leur statut d'agents.

La défense appelle à la barre trois officiers américains de haut rang (Eugène Carroll, Edward Atkeson, James R. Clapper), qui témoignent en faveur des cinq accusés. Selon leur témoignage, rien n'indique que les agents aient cherché à obtenir des informations secrètes, ou qu'ils auraient eu intérêt à le faire. Concernant l'homicide dont est accusé Hernandez, le procureur reconnaît le 25 juin 2001 que prouver sa culpabilité représente un « obstacle insurmontable » pour les États-Unis. Malgré cela, en décembre 2001, les douze membres du jury reconnaissent les accusés coupables de tous les faits dont ils étaient accusés. Hernandez, Labañino et Guerrero sont condamnés à la prison à perpétuité, Fernando González à 19 ans de réclusion, et René González à 15 ans.

Selon le gouvernement cubain, la véritable mission des cinq agents était d'infiltrer les organisations terroristes basées à Miami, afin de prévenir des attentats contre Cuba. Pour le gouvernement, il s'agit donc d'un procès politique, visant à protéger les terroristes anticastristes réfugiés à Miami.

La défense a dénoncé de nombreuses violations des lois et de la Constitution américaine, tant dans le traitement des accusés que dans la tenue du procès. Les avocats affirment que les cinq prévenus ont été maintenus 17 mois en isolement avant le procès, alors que la loi limite cette durée à 60 jours maximum. Ils ajoutent que le droit des familles aurait été bafoué, car celles-ci ne seraient pas autorisées à voir les détenus. Des pressions sur les familles auraient eu lieu, selon les avocats. Concernant le procès, la défense dénonce le fait que celui-ci se tienne à Miami, et exige sa délocalisation, refusée par le tribunal.

Nommés « les Cinq héros », leur retour a été une priorité nationale de Cuba durant toutes ces années d'incarcération. Deux des espions ont été libérés en octobre 2011 et en février 2014. Les trois derniers ont été relâchés en décembre 2014 dans le cadre d'un échange de prisonniers contre un espion américain. Cet échange a été annoncé en même temps que le rétablissement des relations diplomatiques entre les pays, voulu par Raúl Castro et Barack Obama.

Distribution

  • Penélope Cruz : Olga González
  • Édgar Ramírez : René González
  • Gael García Bernal : Manuel Viramontez
  • Wagner Moura : Juan Pablo Roque
  • Ana de Armas : Ana Margarita Martinez
  • Leonardo Sbaraglia : Jose Basulto

Fiche technique

  • Réalisation : Olivier Assayas
  • Scénario : Olivier Assayas, d'après le livre Os Últimos Soldados da Guerra Fria de Fernando Morais
  • Photographie : Denis Lenoir
  • Montage : Simon Jacquet
  • Sociétés de production : CG Cinéma et RT Features
  • Durée : 127 minutes
  • Dates de sortie : 1er septembre 2019 (Mostra de Venise 2019)
    • France : 29 janvier 2020
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