Family Romance, LLC

De Cinéann.

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(family romance)

Version actuelle en date du 4 septembre 2020 à 14:01

Family Romance, LLC , film américain de Werner Herzog, sorti en 2019

Analyse critique

L'histoire débute avec la jeune Mahiro qui rôde autour d'un homme charismatique qu'elle a tout de suite repéré sur le pont très fréquenté, leur point de rendez-vous. Un manège que Yuichi, l'homme en question, finira pas remarquer et qui le conduira à l'aborder. Le voilà qui doucement lui raconte sans tricher, sans faux semblants, sa part de vérité, le pourquoi du comment il est sorti de sa vie, sans jamais l'oublier, avec sobriété et sensibilité. Il se projette dans la tête de sa fille, imagine ses ressentis, les réactions de ses amis, questionne. Mahiro, lumineuse, toute en retenue, en essayant de ne pas sourciller, écoute puis boit sans broncher les paroles sobres de ce père prodigue qui lui paraît déjà ne plus être étranger. Il lui trouve des airs de ressemblance, la complimente, vois en elle ses qualités, les valorise, l'encourage. Elle se laisse troubler, il semble l'être tout autant. Tous deux s'apprivoisent. Progressivement elle laisse s'installer une belle connivence, une belle espérance dont chacun, chacune, a besoin pour se faire une vie bonne. C'est le premier rendez-vous d'une longue lignée qui feront du bien à Mahiro, l'aideront à s'épanouir.

C’est une histoire aberrante et troublante, inspirée d’une pratique qui prospère au Japon. Où il existe des agences de location de proches. Une mère fait appel aux services de Yuichi pour qu’il fasse semblant d’être le père, disparu puis revenu, d’une fillette de 12 ans. Les deux apprennent à se connaître. L’imposture est terrible mais tout se passe dans un climat de douceur. C’est une fiction à l’allure d’un documentaire flâneur, où l’on suit Yuichi exercer son étrange métier. Minimaliste, fabriquée avec peu de moyens, cette fable, qui fait aussi un détour du côté d’un hôtel tenu par des robots, plonge dans un Japon ultra contemporain où il est difficile de distinguer le vrai du faux.

Il règne dans Family Romance LLC une atmosphère très paisible, comme si les battements du cœur de ce film étaient calmes et réguliers. Ainsi le vertige qui opère au fur et à mesure du récit est-il d’autant plus puissant… Oui, la tempête intérieure du film n’est pas perceptible en surface. Le réel, la vérité et la fiction sont entremêlés. Il y a bel et bien un orage au cœur du film, mais en apparence, la mer est calme. Les toutes premières secondes du film pourraient s’apparenter à un conte de fées, avec les notes introductives de Schubert et les plans d’ensemble surplombant les cerisiers en fleurs.

D’un point de vue occidental, cette histoire s’apparente à de la science-fiction, mais il s’agit pourtant bien de la réalité des sociétés des pays développés. Lorsqu'on engage une baby-sitter, par exemple, ou lorsqu' on s'attache émotionnellement à des créatures inanimées comme une poupée ou un ours en peluche, cela participe du même phénomène. Ce phénomène est loin d’être le strict apanage du Japon.

Déclarations de Werner Herzog, le réalisateur:

J’ai découvert le phénomène des « amis à louer » par le biais d’un article publié dans le magazine américain The Atlantic, qui traitait de l’entreprise intitulée « Family Romance » au Japon. C’est pourquoi j’ai ajouté les lettres « LLC » (Limited Liability Company) au titre pour que l’on comprenne qu’il s’agit bien d’un business. J’étais si saisi par cet article que j’ai immédiatement décidé d’en faire un film.

La majorité des articles de presse relatifs aux locations d’« amis » au Japon fait état de la solitude comme symptôme dont souffre la société japonaise contemporaine. Les locations d’« amis » sont un phénomène qui connaît une ampleur considérable au Japon. Il existe désormais de grandes entreprises qui en ont fait leur secteur d’activité. Cela s’est accentué avec le vieillissement de la population. Les anciens sont relégués au ban de la société. Beaucoup souffrent de solitude existentielle et non simplement d’isolement. Ce phénomène est profondément ancré dans la société et est lié à la prépondérance d’Internet et des outils de communication artificiels.

Yuichi joue son propre rôle. J’avais deux demandes à son égard : qu’il accepte de passer deux après-midi avec moi à Tokyo, pendant lesquelles il me dirait tout de son business et des situations qu’il a dû traiter ; et qu’il m’aide pour le casting que je souhaitais faire parmi les 400 comédiens qui constituent le vivier d’agents de son entreprise. Il a accepté. J’ai ainsi pu identifier les activités quotidiennes de sa société et construire un récit à partir de ce terreau. Ensuite, pendant le casting, Yuichi s’est placé derrière la caméra et a dirigé les acteurs dans leurs dialogues. Il était si doué que je lui ai proposé le rôle principal du film et il l’a accepté.

Les dialogues n’étaient jamais totalement écrits. J’avais construit les grandes lignes des séquences qui nourrissaient le scénario. Par exemple, certaines sont le pur fruit de mon imagination, comme celle de la femme qui rêve de vivre une seconde fois le jour où elle a gagné au loto et réactiver ainsi l’un des plus beaux jours de sa vie. J’ai inventé une scène dans laquelle ni le public ni l’actrice ne savent exactement ce qu’il va advenir. J’avais juste donné aux acteurs des indications quant à la teneur des dialogues. J’avais imaginé un homme vêtu d’un costume d’électricien qui sonnait à sa porte pour lui demander de signer une autorisation relative à l’installation de la fibre optique dans son quartier ; cet instant devait conduire à celui où les collègues de cet homme surgiraient pour annoncer triomphalement à cette femme qu’elle venait de remporter à nouveau la cagnotte du loto. J’ai laissé les acteurs improviser autour de cette situation.

Le tournage s’est étalé sur deux semaines : la première, en avril, lorsque les cerisiers étaient en fleurs, et la seconde, en août, durant une canicule historique au Japon. Je n’avais ni éclairage ni accessoires, juste le strict nécessaire, l’essence même du cinéma. Pour certaines séquences, il nous était impossible de répéter, comme celle du train rapide tournée à la fête foraine qui avait lieu en zone hautement sécurisée, quadrillée par des douzaines de caméras de contrôle. Il n’était pas possible d’obtenir d’autorisation de tournage, donc j’ai tourné en mode guérilla. Il y avait le risque d’être arrêtés si nous répétions, donc nous n’avons tourné qu’une seule prise. Traditionnellement, un long-métrage de fiction suppose de tourner des centaines d’heures de rushes avec plusieurs caméras, mais pour Family Romance LLC, j’ai tourné 350 minutes en tout et pour tout ! Je parle bien de minutes et non d’heures !

La séquence où la petite fille de quatre ans veut un câlin, puis où soudainement Mahiro, qui a douze ans, en réclame un aussi à Yuichi est une scène-clé. Dans la culture japonaise, un père ne fait plus de câlins à sa fille quand elle a atteint cet âge. C’est une convention culturelle et, d’une certaine façon, cette scène montre un tabou. Cette séquence est très silencieuse et je l'ai tournée au ralenti, même si le mouvement est à peine perceptible.

Quant à la séquence des samouraïs, quand je les ai vus réaliser cette chorégraphie dans le parc, je me suis immédiatement mis à tourner. J’avais l’intuition qu’il me fallait inclure cette séquence dans le film. J’avais vingt secondes pour cadrer Yuichi et Mahiro qui les regardaient, car les jeunes qui réalisaient cette chorégraphie ont été sommés par les gardes du parc de cesser, quand bien même leurs armes étaient factices. Les gardes ne voulaient pas perdre la face et ont insisté. De mon côté, j’avais la sensation qu’il m’en fallait plus. Lorsque les jeunes ont commencé à ramasser leurs affaires pour lever les voiles, je leur ai expliqué que je tournais un film et leur ai demandé s’ils pouvaient rejouer cette même chorégraphie, mais sans leurs armes, cette fois, et ils ont accepté. J’avais l’intuition que cette séquence était primordiale et significative ; elle fabriquait du faux dans du faux dans du faux. Et trois jours plus tard, j’ai compris qu’elle constituerait le cauchemar de Yuichi.

L’idée du rêve traverse le film, jusque dans la séquence de l’hôtel dont l’accueil est tenu par des automates. Cette séquence est le fruit de mon imagination, tout comme celle de l’oracle. Cette femme est sans doute l’oracle le plus célèbre du Japon. Nous avons pris rendez-vous avec elle et ce fut une merveilleuse rencontre. Cette femme-oracle est aveugle. Nous retrouvons là l’idée du visible et de l’invisible, dont elle se fait le canal. Lorsque l’oracle fait ses incantations et parle aux esprits, on ne comprend pas ce qu’elle dit et c’est bien ainsi. Je n’ai pas demandé de traduction.

Dans la séquence suivante, Yuichi et la mère de Mahiro se rendent en bord de mer, en haut d’une falaise. C’est la séquence, très poétique, d’un coup de fil à l’invisible… C’est une chose répandue au Japon que ces téléphones reliés au vent. Après le tsunami, quelqu’un a fait construire une cabine téléphonique connectée à l’invisible, dans lesquels les gens pouvaient se rendre pour parler aux âmes des défunts. Il y a même un recueil où les personnes peuvent déposer leurs mots. Cela a inspiré cette séquence et cette cabine téléphonique, que j’ai imaginée sur un rocher au bord de la mer.

Distribution

  • Yuichi Ishii : lui-même
  • Mahiro Tanimoto : Mahiro
  • Miki Fujimaki : la mère de Mahiro
  • Yuka Watanabe : la mariée
  • Takashi Nakatani : le père de la mariée
  • Kumi Manda : la mère de la mariée

Fiche technique

  • Réalisation, scénario et photographie : Werner Herzog
  • Montage : Sean Scannell
  • Musique : Ernst Reijseger
  • Durée : 89 minutes
  • Dates de sortie : 18 mai 2019 (Festival de Cannes 2019, séance spéciale)
    • France: 19 août 2020 (sortie nationale)
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