France (Par ce demi-clair matin)

De Cinéann.

(Différences entre les versions)

Version actuelle en date du 3 septembre 2021 à 10:20

France (Par ce demi-clair matin) , film français, belge, allemand, italien, de Bruno Dumont, sorti en 2021

Analyse critique

France de Meurs est une journaliste vedette de la chaîne d’info en continu I, grand reporter, omniprésente à l’écran, sur le plateau où elle officie et au cœur des images qu’elle ramène des zones de guerre, commentant ses commentaires, parasitant en tous sens des faits déjà largement refaçonnés pour les besoins de l’audimat. La jeune journaliste brille, alternant reportages chocs en zones de guerre, sans aucune déontologie, et débats manichéens en studio, elle est alors apprêtée comme pour une montée des marches. Mais ce petit monde médiatique hors-sol impose sa vision et s’étend donc bien au-delà de ses stricts contours, modelant les représentations, l’imaginaire, et jusqu’à la réalité elle-même.

Trop occupée d’elle-même et de l’effet qu’elle produit, dopée par les commentaires enthousiastes de son assistante , l’œil rivé sur le thermomètre des réseaux sociaux, elle fait une grosse dépression après avoir renversé un jeune défavorisé en scooter. Rien de grave a priori sinon le choc soudain, inopiné, d’une rencontre avec le genre de mouise ordinaire qui n’intéresse personne. Jusqu’ici fantastiquement à l’aise, enfilant le gilet pare-balles au milieu des bombardements de villages éventrés au Moyen-Orient et les robes hors de prix pour dîners de requins de la finance dans les palaces parisiens, elle semble comme étrangère au rêve hors-sol qui la maintenait en action et sur le qui-vive de sa success story.

Elle sombre, prend ses distances avec son mari et romp avec l’antenne, tentant de se rebrancher à quelque chose de tangible, d’abord par du bénévolat à la soupe populaire qui la laisse indifférente aux autres. Elle cherche une consolation , dans les bras d'un beau brun, architecte, mais interprète par nécéssité, mais sans succès. Puis d’autres drames, crescendo, à chaque fois décuplés par le chœur des réactions en ligne, avec descente aux enfers et rédemption programmées. Comme le clame l’assistante et coach cynique de la journaliste (formidable Blanche Gardin) : « Les gens vont te détester puis t’adorer, c’est la même chose. Les icônes sont faites de boue. À la télé, le pire c’est le mieux. »

Le succès tapageur de France et son arrogance laissent apercevoir en elle des gouffres de doute, d’insatisfaction, de désespoir et d’angoisse, qui rendent son itinéraire complexe et elle devient attachante malgré tout ce qui pourrait la rendre odieuse. Léa Seydoux se révèle la complice tout-terrain, intrépide et vulnérable de l’expérience.

France fait un séjour dans une clinique huppée bordée de montagnes enneigées dans les Alpes bavaroises, où elle croit trouver l’amour véritable, et finalement impur, comme tout. Mais ni ici ni ailleurs, dans une barque de migrants par exemple, France ne parvient à faire l’expérience du monde, ni à démarrer son roman d’apprentissage. Impossible, pour la faiseuse d’images, de saisir une réalité devenue indéchiffrable sans son double filmé, imprimé, tweeté. Elle s’exclame lors d’un reportage : « On dirait la guerre ! ».

Le grand mérite du film, aux abords chaotiques, consiste d’ailleurs à adjoindre à la critique sociale une critique tout aussi virulente de la manière courante de raconter une histoire à l’écran, qu'il soit télévisuel ou cinématographique.
Le film commence par un montage d'images entre des archives d’interview présidentielle et des scènes réélement tournée à L'Élysée qui laisserait croire à une connivence poussée entre le Président et la présentatrice vedette. D'entrée, Dumont avoue que le cinéma en général et le sien en particulier n'est pas meilleur que la télévision en tout. Du moment qu’on peut faire mentir une image, il n’y a plus de morale qui tienne. Vers la fin du film, la longue scène spectaculaire de la mort brutale en voiture du mari et du fils donnerait dans tout autre film une suite mélodramatique, mais aucune larme ne coule dans celui-ci.

France peut aller aussi loin dans l’infâme, dans l’inhumanité, dans le mal, jamais le regard de Bruno Dumont ne la juge. Croiser le regard de France, c’est déjà rencontrer une énigme, on ne sait pas ce qu’elle veut vraiment, ni jusqu’à quel point elle le sait elle-même. Car si la télé produit des monstres, le cinéma en a besoin aussi pour atteindre cette zone énigmatique dont Dumont sait raconter la trajectoire quasi expiatoire. Car la rédemption de France passe d'une part par l'interview absolument pas glamour de l'épouse d'un tueur violeur dans le Nord de la France, et d'autre part par le réconfort qu'elle finit par trouver chez celui qui l'a trahi, atteignant ainsi le titre d'un des premier film du réalisateur L'Humanité.

Distribution

  • Léa Seydoux : France de Meurs
  • Blanche Gardin : Lou
  • Benjamin Biolay : Fred de Meurs
  • Emanuele Arioli : Charles Castro
  • Juliane Köhler : Madame Arpel
  • François-Xavier Ménage : lui-même

Fiche technique

  • Titre de travail : Par ce demi-clair matin
  • Réalisation et scénario : Bruno Dumont, librement inspiré de Par ce demi-clair matin, œuvre posthume de Charles Péguy
  • Musique : Christophe
  • Photographie : David Chambille
  • Montage : Nicolas Bier
  • Production : Rachid Bouchareb, Jean Bréhat et Muriel Merlin
  • Sociétés de production : 3B productions ; Red Balloon Film, Tea Time Film, Ascent Film, Scope Pictures, Arte France Cinéma ; avec le soutien du ministère de la Culture italien et de Pictanovo
  • Durée : 134 minutes
  • Dates de sortie : 15 juillet 2021 (Festival de Cannes, selection officielle)
    • 25 août 2021 (sortie nationale)
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