Jimmy P.

De Cinéann.

Version du 25 septembre 2013 à 17:05 par MariAnn (discuter | contributions)
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Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des plaines) (titre en anglais : Jimmy P. (Psychotherapy of a Plains Indian) film français, réalisé par Arnaud Desplechin, tourné en anglais, présenté en compétition lors du Festival de Cannes 2013 et sorti en France en salle en 2013.

Analyse critique

Après la Seconde Guerre mondiale, Jimmy P., un vétéran nord-amérindien de la tribu des Pieds-Noirs est admis au Winter Veteran Hospital de Topeka au Kansas fondé par le psychiatre Karl Menninger. Alcoolique, en perte de repères ethno-sociaux, souffrant de maux de tête, d'absences et de crises d'angoisse incontrôlables qu'aucun médecin ne réussit à relier à une cause physiologique. Un accident survenu en France, traumatisme cranien à la suite d'une chute de camion ne semble pas expliquer ces troubles. Il est pris en charge par Georges Devereux, un ethnologue français originaire d'Europe centrale, spécialiste des cultures amérindiennes.

Rapidement, Georges Devereux écarte le diagnostic de schizophrénie et considère que son patient, qui sera le seul et unique durant des mois, souffre de problèmes psychologiques liés à la fois à ses origines familiales et ethniques, qui se sont déclarés à la suite du choc post-traumatique de la guerre. Élevé par une mère à forte personnalité et une sœur également directive, en l'absence de père, Jimmy P. est également en décalage social et culturel avec l'Amérique blanche. Au fil des séances quotidiennes de psychothérapie, se tissent des liens particuliers d'amitié entre le patient et le thérapeute qui s'attache à interpréter les rêves de Jimmy P. tout autant avec une dimension anthropologique, liée aux mythes indiens, qu'au travers de l'invariant universel freudien du complexe d'Œdipe. Petit à petit Jimmy P. prend conscience que ses rapports vis-à-vis des femmes sont ceux d'un homme dominé et lâche, ayant lui-même abandonné avant-guerre, sur un malentendu, sa compagne, Jane, morte depuis, alors enceinte de leur fille avec laquelle il n'a plus de contact depuis quinze ans. Grâce à Devereux, il entreprend un processus de guérison, qui aboutira à une proposition d'« adoption » de sa fille naturelle, mais également de questionnement sur sa foi et sa culture.

Arnaud Desplechin explique « être devenu fou » du livre Psychothérapie d'un indien des plaines de l'ethnologue et psychanalyste français Georges Devereux (1908-1985) qui l'accompagne depuis les années 1990 et dont il imagina longtemps faire une adaptation cinématographique. Pour réaliser la phase d'écriture qu'il mène principalement dans son studio de travail du quartier du Panthéon à Paris, Arnaud Desplechin discute certains points du livre et de la psychanalyse de Jimmy P. avec l'historienne Élisabeth Roudinesco, qui avait préfacé une réédition de l'ouvrage en 1998. Il est également aidé de Julie Peyr et Kent Jones dans l'adaptation du scénario et des dialogues en américain pour ce deuxième film « étranger », tourné en anglais, (après Esther Kahn en 2000) mais qu'il considère cependant sans ambiguïté comme un film français.

Jimmy P. qui est un nom fictif anonymisé du patient de Devereux portant le nom indien de « Tout-le-monde-parle-de-lui » et dont le nom réel resta inconnu , fait directement référence au titre des travaux princeps de Sigmund Freud sur l'hystérie publiés en 1895 sur le cas célèbre d'Anna O., pseudonyme de Bertha Pappenheim. À la suite d'une psychothérapie de 80 séances intégralement et minutieusement retranscrites, Georges Devereux, qui travaille alors dans la clinique fondée par Karl Menninger, publie en 1951 à New York un livre d'ethnopsychanalyse de 600 pages intitulé Psychothérapie d’un Indien des plaines : réalités et rêve dans lequel il analyse l’existence d’une personnalité ethnique liée à une aire culturelle d’une part et l’existence de troubles psychiques commune à tout humain d’autre part .

Pour la distribution, Arnaud Desplechin décide dès le départ de confier le rôle de Georges Devereux à Mathieu Amalric. Fin mai 2012, il annonce vouloir donner le rôle titre à Benicio del Toro en raison du rôle, marquant pour lui, d'Indien que l'acteur a tenu dans le film The Pledge (2001) de Sean Penn. Des séances préparatoires de lecture du scénario sont organisées à New York par Arnaud Desplechin avec les deux principaux acteurs. Il leur confie, outre l'ouvrage de Devereux, certains livres sur Sigmund Freud et Carl Jung pour les immerger dans le monde de la psychanalyse des années 1950. Benicio del Toro s'est particulièrement investi dans la lecture, annotée, et l'analyse du livre de Devereux, dans lequel il déclare avoir trouvé un « matériel formidable [...] et une fontaine d’informations » . Il obtient aussi l'assistance prolongée d'un vétéran Amérindien, Marvin Weatherwax, pour l'aider à prendre et maintenir l'accent des tribus Pieds-Noirs tout au long du filmage. Mathieu Amalric dit en revanche avoir pris plus de distance avec l'ouvrage écrit par le personnage qu'il doit interpréter mais s'est attaché à étudier et comprendre pour son rôle le langage et les concepts de la psychanalyse freudienne.

Avec ce duo d'acteurs presque excentrique, Desplechin tente de filmer ce qui est le plus difficile au cinéma : l'invisible. Juste le cheminement d'un esprit. Rien que le parcours de l'ombre vers la lumière. Tout repose sur sa mise en scène, splendide, intense dans l'épure. Il lui suffit de quelques changements d'angle dans les conversations du médecin avec son patient pour laisser deviner les fils embrouillés de leurs personnalités. Le reste du temps, Desplechin filme un cheminement. Le lien qui se tisse, peu à peu, entre ces deux êtres s'aidant l'un l'autre. Toute la morale de Desplechin repose sur la fraternité : on va mieux si l'on progresse ensemble. Pour l'essentiel, les deux hommes s'écoutent, regardent, vont au cinéma, et c'est de leurs confidences chuchotées que naît la vérité : « J'ai toujours été celui qui laisse mourir une femme », murmure Jimmy P. Et puis il y a Madeleine, l'amie du psy. Mariée à un autre qu'elle aime aussi, comme dans Jules et Jim, elle vient le voir à Topeka. C'est évidemment la sensibilité de François Truffaut que Desplechin évoque lorsqu'il filme, entre cet homme et cette femme, des moments tendres, sensuels et nostalgiques, puisque comptés. Rien ne dure, dans la vie, mais le film est une ode à cette complicité qui unit les êtres et perdure après leur séparation.

Mais la guérison n’est rien d’autre que la possibilité d’une rechute, un accord précaire entre la vie et le monde. Le récit d’une psychanalyse ne peut avoir de fin certaine. Jimmy et Devereux ont chacun leur nom secret, d’Indien Pikuni et de Juif hongrois exilés parmi les peuples, venus des plaines de deux continents. La révolte contenue de ces “sauvages” qui survivent à l’extermination parcourt le domaine inquiétant des symptômes pour fraterniser dans la langue d’un pays de fiction. Desplechin, analyste et chaman, malade et guéri, découvre en visitant ce territoire la vérité provisoire et paradoxale de son cinéma, c’est le doute qui redonne confiance dans le monde.

Déclarations

Arnaud Desplechin déclare:

J'ai envoyé mon ami Alexandre Nazarian là où était situé le véritable hôpital où exerçait George Devereux après la Seconde Guerre mondiale, à Topeka, capitale du Kansas.

Je cherchais des traces de ce qui restait à Topeka. Mon idéal aurait été de tourner là. Je savais qu’un des personnages venait de sa réserve et l’autre de New York et qu'ils s’étaient rencontrés là. C’était quoi, cet espèce de no man’s land qui s’est retrouvé, à ce moment, au centre de l’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse?

Le Winter Hospital, qui allait devenir un temps la plus grande institution psy du monde, a été installé à Topeka parce que s’y trouvait déjà la clinique de Karl Menninger, un psychiatre réputé. Au moment d’entrer en guerre, l’armée américaine s’est aperçue qu’elle avait plus ou moins ce qu’il fallait comme tanks, comme avions, comme fusils et aussi comme médecins et comme chirurgiens, mais pas du tout comme psychologues et psychiatres. Elle a commandé à Menninger de lui livrer dix psys par jour, de former de véritables bataillons, et le Winter Hospital a d’abord été leur centre de formation.

Menninger était connu, il parlait de psychologie à la radio, sa clinique traitait des stars qui avaient des problèmes d’alcool, etc. Il était aussi impliqué dans la pratique sociale de la psychiatrie auprès des délinquants et des gens en grande détresse. Du coup, ils l’ont embauché pour former des psychiatres militaires et aussi pour soigner les vétérans. Comme il était à Topeka, l’armée a construit à toute vitesse cet immense hôpital dans cette ville par ailleurs totalement dépourvue d’intérêt. Les médecins s’emmerdaient à mourir, les patients aussi. On se dit que dans un tel environnement, Devereux et Jimmy, chacun à sa manière en exil, n’avaient rien d’autre à faire que de devenir amis. Mais le Winter Hospital n’existe plus, on a dû chercher ailleurs.

Nazarian a fait un vrai travail d’enquête: il a rencontré des gens qui avaient connu Devereux, il a retrouvé beaucoup de choses. Moi, j’ai besoin de rester à distance. Il m’envoie des mails tous les soirs avec des photos, des documents, des témoignages, tandis que je reste enfermé dans mon bureau à Paris, pour écrire. Mais toute la matière documentaire qu’il me fournit fait fourmiller la fiction.

Dans le livre, Devereux travaille beaucoup à dissimuler la véritable identité de Jimmy, il tient à préserver son anonymat. Cela ne me gênait pas, j’étais d’accord pour appeler le film Jimmy P., comme Anna O. et plusieurs autres des patients de Freud sur lesquels il a écrit sans les nommer. Mais on a aussi cherché la véritable identité de Jimmy. On s’est beaucoup approché du vrai Jimmy, sans l’identifier entièrement. Nous connaissons son nom indien, «Everybody-talks-about-him», mais pas son nom caucasien. En revanche, nous sommes sûrs d’avoir localisé la réserve où il a vécu, à Browning dans le Montana. On a retrouvé la ferme de la mère de Jimmy, et celle de sa sœur. Beaucoup de gens se sont présentés comme étant des parents ou des descendants, eux aussi s’appellent «Everybody-talks-about-him»… En fait, il est apparu que c’est un nom très courant chez les Blackfoot.

Une autre rencontre a été importante pour permettre à Benicio Del Toro de se préparer. Il m’avait dit: "Moi je copie tout, j’imite. Il me faut quelqu’un à imiter." Nous avons rencontré un prof de pikanii (la langue Blackfoot), Marvin Weatherwax, un ancien du Vietnam, un homme formidable. Il est devenu le coach de Benicio. Il lui a aussi appris un peu du langage des signes: lorsque Madeleine regarde Jimmy et Devereux parler par signes, je tenais à ce que la scène ne soit pas ridicule aux yeux d’un Indien.

Contrairement à Jimmy P. et Devereux, Madeleine, la maîtresse de ce dernier, est une pure créature de fiction. Un parent de Devereux a écrit une thèse sur sa vie conjugale et sentimentale très animée. Il a eu sept épouses et bien d’autres liaisons. Mais il y a un trou dans sa vie amoureuse suite à son deuxième divorce, avant la troisième femme, une Allemande rencontrée après l’épisode Jimmy. Il n’était pas possible qu’il n’y ait pas de femme entretemps, j’ai donc inventé Madeleine.

Il s’agissait en fait de développer le thème du rapport complexe à l’identité. Devereux ne se sent appartenir à aucune, il essaie d’échapper à toute assignation à une identité, mais il reconnaît le sens qu’il y a pour Jimmy à renouer avec la sienne, tandis que Madeleine, elle, se sent tout à fait européenne: elle ne veut pas se réinventer autrement, elle n’en voit pas l’intérêt. Le film ne porte aucun jugement sur ces trois attitudes, je voulais juste les faire jouer ensemble. Le personnage de Madeleine m’y a aidé, même si le film est surtout construit sur un portrait, celui des deux hommes.

Distribution

  • Benicio del Toro (V. F. : Alex Descas) : Jimmy Picard
  • Mathieu Amalric: Georges Devereux
  • Gina McKee (V. F. : Anne Consigny) : Madeleine
  • Larry Pine  : Docteur Karl Menninger
  • Joseph Cross : Docteur Holt
  • Elya Baskin : Docteur Jokl
  • Michelle Thrush : Gayle Picard
  • Misty Upham : Jane
  • Gary Farmer : Jack

Fiche technique

  • Titre : Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des plaines)
  • Titre international : Jimmy P. (Psychotherapy of a Plains Indian)
  • Réalisation : Arnaud Desplechin
  • Scénario : Arnaud Desplechin en collaboration avec Julie Peyr et Kent Jones, adapté de Psychothérapie d'un indien des plaines de Georges Devereux
  • Photographie : Stéphane Fontaine
  • Montage : Laurence Briaud
  • Musique originale : Howard Shore
  • Producteurs : Pascal Caucheteux et Grégoire Sorlat
  • Productrice exécutive : Jennifer Roth
  • Société de production : Why Not Productions, Wild Bunch, France 2 Cinéma, Orange Studio, Le Pacte
  • Langue originale : anglais
  • Durée : 116 minutes
  • Dates de sortie  : 18 mai 2013 (Festival de Cannes 2013, compétition officielle)
    • France : 11 septembre 2013


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