Juste la fin du monde

De Cinéann.

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Juste la fin du monde , film français et canadien de Xavier Dolan, sorti en 2016

Analyse critique

Louis, écrivain à succès, sent que sa fin est très proche, miné par un mal non nommé, mais que l'on peut supposer être le sida. Le jeune homme traverse le monde en avion pour retrouver son pays natal et annoncer la terrible nouvelle à sa famille. Mais, à peine arrivé chez les siens qu'il n'a pas vus depuis douze ans, Louis sent que l'atmosphère est particulièrement électrique. Alors que sa mère tente nerveusement d'organiser une réunion familiale comme dans le passé, Antoine, son frère, se montre très agressif, tandis que Suzanne, sa soeur, semble dépassée par les événements. Seule Catherine, la discrète épouse d'Antoine, donne l'impression de comprendre Louis.

Adapté de la pièce de théâtre homonyme de Jean-Luc Lagarce, écrite en 1990, cinq ans avant que l’auteur ne succombe aux effets du sida, ce récit évoque, de manière ô combien ironique et déchirante, celui du retour du « fils prodigue » dans sa famille. Ce sixième long métrage de Xavier Dolan est aussi le premier où nul accent québécois ne retentit car les acteurs sont tous français.

Les personnages, comme les acteurs qui les incarnent, sont bien typés. La mère, ongles bleus, tailleur brodé de satin rouge, breloques et pendentif, est une femme qui ratiocine, enfermée dans la boucle temporelle d’un bonheur familial passé dont on a quelques raisons de se demander s’il a jamais existé. Le frère, brute matoise et obtuse, est un pervers qui passe son temps à se prétendre victime des autres pour mieux s’exonérer de la torture qu’il inflige à son entourage. La belle-sœur est une gourde de bonne volonté, qui cherche ses mots pour ne pas nommer la souffrance qu’il y a à partager la vie de cet homme. La sœur est une jeune fille mal dans sa peau, en guerre ouverte avec son psychopathe de frère, dont le rêve ultime semble consister à conduire la voiture familiale. Le point commun de la famille est que tous ont de bonne foi le sentiment que Louis, qui a sans doute commis la faute de ne plus vouloir entrer dans ce jeu, est la cause de leurs maux et l’accablent à tour de rôle.

Le film tient tout entier dans l’entre-deux, c’est un traité clinique de la folie familiale, une saisissante coupe in vivo de l’égarement de l’amour au profit de l’ambiguïté et du ressentiment. Le cinéaste ménage, pour ce faire, une suite d’apartés de Louis avec chacun des membres de la famille, et une scène collective d’anthologie, autour d’une tablée qui vire au fiel. Formellement, le film fait se rencontrer quelque chose qui tiendrait du cinéma d'avant garde, caméra en mouvement, gros plans, avec du théâtre classique qui fait tenir l’intrigue dans le langage plutôt que dans l’action proprement dite.

Le grand mérite de Xavier Dolan est de parvenir à ménager, malgré la férocité du propos, une possibilité d’entrer dans le sentiment, aussi faussé serait-il, de chaque personnage. Tourné comme à travers la ouate d’un mauvais rêve, le film nous fait entendre la cacophonie feutrée des dialogues qui ne se nouent jamais et qui finissent par s’assourdir dans l’épuisement de leur inanité. Le langage y apparaît comme un foyer constant d’approximations à corriger, le lieu privilégié d’une mise au point qui s’éloigne à mesure qu’on cherche à la nommer. Tel un vêtement rapiécé jeté sur la nudité des passions, il ne cesse de mettre en lumière ce qu’il cache. Chacun, y compris la victime de cette triste histoire, est ici seul avec sa souffrance en même temps qu’il ne peut se passer des siens pour l’éprouver.

Distribution

Fiche technique

  • Titre anglophone : It's Only the End of the World
  • Réalisation : Xavier Dolan
  • Scénario : Xavier Dolan, d'après la pièce Juste la fin du monde écrite par Jean-Luc Lagarce
  • Photographie : André Turpin
  • Montage : Xavier Dolan
  • Musique : Gabriel Yared
  • Production : Sylvain Corbeil, Xavier Dolan, Nancy Grant et Nathanaël Karmitz
  • Sociétés de production : Sons of Manual ; MK2 (coproduction française)
  • Durée : 95 minutes
  • Dates de sortie : 19 mai 2016 (Festival de Cannes 2016) ; 21 septembre 2016 (nationale)
  • Récompenses: Cannes 2016; Grand Prix, Prix du jury œcuménique

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