L'Évangile selon saint Matthieu

De Cinéann.

L'Évangile selon saint Matthieu ( Il Vangelo Secondo Matteo ) film italien réalisé par Pier Paolo Pasolini, sorti en 1964.

Analyse critique

Un ange vient annoncer à Joseph que sa femme Marie attend le fils de Dieu : Jésus. Jésus s'approche de Jean-Baptiste près du Jourdain et est fait Christ. Il se retire ensuite dans le désert puis s'en va prêcher la bonne parole entouré de quelques disciples. Ce long film est une reconstitution fidèle de cet évangile qui reprend une sélection de scènes de l'histoire de la vie du Christ, de l'Annonciation à sa Passion et l'un des plus beaux films réalisés sur le Nouveau Testament.

L’Évangile selon saint Matthieu est dédié au « glorieux Pape Jean XXIII ». Le scénario original comportait 131 scènes, tandis que le film réalisé n’en compte plus que 44. Le film a été tourné dans le Mezzogiorno (sud de l’Italie), encore pauvre et archaïque, notamment dans le Basilicate à Barile, Castel Lagopesole et Matera ; en Calabre à Cutro et Le Castella et dans les Pouilles à Ginosa, Gioia del Colle et Massafra. Cependant, Pasolini s’était rendu en juillet 1963 en Palestine avec le père Don Andrea Carraro, pour y effectuer des repérages. Le cinéaste est déçu par la modernité trop apparente des paysages et renonce à y tourner son film, mais les images filmées sur place deviennent un documentaire à mi-chemin entre le carnet de voyage et la réflexion intérieure : « Repérages en Palestine pour L'Évangile selon saint Matthieu ».

Pier Paolo Pasolini déclare : « Bien que ma vision du monde soit religieuse, je ne crois pas à la divinité du Christ. Si l'on y regarde de plus près, je n'ai nullement fait là une reconstitution conforme à l'imagerie que la plupart des chrétiens s'en font. J'ai fait un film où s'expose, à travers un personnage, toute ma nostalgie du mythique, de l'épique et du sacré. Mathieu est le plus révolutionnaire de tous les évangélistes, parce qu'il est le plus "réaliste", le plus proche de la réalité terrienne du monde où le Christ apparaît. »

L’Évangile selon saint Matthieu marque une étape décisive dans la filmographie de Pasolini. Cette adaptation de l’un des textes fondateurs du christianisme entérine la rupture avec le néoréalisme, et ose aborder de front la question du sacré, qui hante le cinéaste-poète dès Accattone. Pour Pasolini, le film devient le manifeste de ce cinéma de poésie qu’il a déjà approché dans ses premiers essais. Il évoque à son propos un “magma stylistique” : en effet, y sont systématisés des procédés techniques qui dérogent à la fois aux canons du cinéma classique que Pasolini ignore et aux préceptes esthétiques du cinéma moderne né du néoréalisme rossellinien, que Pasolini entend transgresser.

Ainsi, Pasolini utilise le zoom, le grand angulaire, morcelle les visages en très gros plans, filme de nombreuses scènes caméra à l’épaule à la manière d’un reportage, puise dans sa discothèque des extraits de Bach, Mozart, Webern, Prokofiev mêlés à des “spirituals” et à la Missa Luba congolaise. Il rompt avec les principes du son direct et de l’enregistrement brut du réel chers à Renoir et Rossellini, en dissociant systématiquement l’image du son, le visage de la voix, en employant des acteurs non professionnels qu’il fait parfois doubler par des comédiens.

Si L’Évangile selon saint Matthieu fait figure de manifeste esthétique, cela n’implique pas que Pasolini érige en dogme des principes qu’il s’empressera de remettre en cause ou d’éradiquer dans ses films suivants, conscient du caractère éphémère et pervers du concept de cinéma de poésie opposé à la prose des productions plus conventionnelles. C’est paradoxalement en filmant la vie du Christ que Pasolini opte pour la forme cinématographique la plus impure. Il n’est certes pas question de blasphème de la part du cinéaste, qui respecte scrupuleusement les Écritures, mais d’un refus de l’enluminure pieuse et d’une recherche de la vérité et de la vie dans l’art.

Le film s’inscrit dans une continuité davantage picturale que cinématographique. La frontalité du cadre, les personnages placés au centre du plan, figures de style fréquentes chez Pasolini, viennent de certains primitifs italiens, Masaccio ou Giotto, que le cinéaste admirait, et la beauté des “modèles” choisis évoque les icônes byzantines. Mais Pasolini brise cette tentation picturale permanente par un noir et blanc aux contrastes violents et une image très mobile.

Pasolini, intellectuel et artiste communiste, a souhaité illustrer les Évangiles. Bien qu’athée, Pasolini considère la foi comme “le prolongement de la poésie”. Il accède à une forme de mysticisme dans la contemplation des hommes et du monde. Pasolini entretient une véritable admiration pour une forme primitive de religion, qu’il tentera de retrouver dans un cinéma lui-même archaïque en mettant en scène des allégories situées dans un passé préhistorique, médiéval ou fantastique. Pasolini choisit de filmer l’Évangile de Matthieu, le plus révolutionnaire des évangélistes selon le cinéaste, “parce qu’il est le plus “réaliste”, le plus proche de la réalité terrienne du monde où le Christ apparaît”.

Le marxisme et le mysticisme de Pasolini se rejoignent dans cette nostalgie du catholicisme comme croyance populaire, avec le souvenir d’enfance de la foi fervente de sa mère, d’origine paysanne, opposée à la religiosité hypocrite et bourgeoise de son père. Le cinéaste ira jusqu’à confier le rôle de la mère du Christ à sa propre mère. Pasolini concilie dans son film le chaos et l’harmonie, la pureté et l’impureté, le sacré et le profane. Mais il parvient également à faire coïncider une vision universelle des Évangiles avec son identification intime au Christ.

Distribution

Les acteurs ne sont pas des comédiens professionnels, certains sont des poètes ou écrivains connus, d'autres de simples étudiants, Le rôle du Christ était en premier lieu destiné à être joué par un poète. Pasolini proposa le rôle successivement à Evgueni Evtouchenko, Allen Ginsberg, Jack Kerouac puis Luis Goytisolo, mais ils refusèrent tous. Pasolini rencontra par la suite Enrique Irazoqui, un jeune étudiant espagnol, à qui il confia le rôle.

  • Le Christ : Enrique Irazoqui
  • Marie Jeune : Margherita Caruso
  • Marie âgée : Susanna Pasolini, (la mère du cinéaste)
  • Joseph : Marcello Morante
  • Jean-Baptiste : Mario Socrate
  • Pierre : Settimio Di Porte
  • Judas : Otello Sestili
  • Matthieu : Ferruccio Nuzzo
  • L’apôtre Jean : Giacomo Morante
  • André : Alfonso Gatto
  • Simon : Enzo Siciliano
  • Philippe : Giorgio Agamben
  • Barthélémy : Guido Cerretani
  • Jacques, fils de Zébédée : Marcello Galdini
  • Jacques, fils d’Alphée : Luigi Barbini
  • Thaddée : Elio Spaziani
  • Thomas : Rosario Migale
  • Caiphe : Rodolpho Wilcock
  • Ponce Pilate : Allesandro Clerici
  • Hérode I : Amerigo Bevilacqua
  • Hérode II : Francesco Leonetti
  • Hérodiade : Franca Cupane
  • Salomé : Paola Tedesco
  • L’Ange du Seigneur : Rossana Di Rocco
  • Marie de Béthanie : Natalia Ginzburg
  • Un pasteur : Ninetto Davoli
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Fiche technique

  • Titre original : Il Vangelo secondo Matteo
  • Réalisation : Pier Paolo Pasolini
  • Scénario : Pier Paolo Pasolini, d'après l'Évangile selon Matthieu
  • Photographie : Tonino Delli Colli
  • Montage : Nino Baragli
  • Sociétés de production : Arco film (Rome), Lux Compagnie (Paris)
  • Producteur : Alfredo Bini
  • Durée : 137 minutes
  • Dates de sortie : 4 septembre 1964 (au 24e festival de Venise)
    • France : 3 mars 1965

Distinctions

  • Prix spécial du jury au Festival de Venise
  • Prix Cinéforum
  • Prix Nastro d'Argento (Ruban d'argent : syndicat des journalistes cinématographiques italiens)

Un large extrait : vidéo sur Dailymotion


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