La Bonne Épouse

De Cinéann.

La Bonne Épouse , film français de Martin Provost, sorti en 2020

Analyse critique

Reine en son minuscule royaume, une école ménagère de la campagne alsacienne, Paulette Van der Beck enseigne à des jeunes filles modestes les piliers qui les transformeront en parfaites compagnes : cuisine, repassage, couture, etc. Pour l’assister dans sa noble mission, la pimpante provinciale peut compter sur sa belle-sœur Gilberte et sur une religieuse sévère, sœur Marie-Thérèse. Un peu moins, hélas, sur le directeur de l’institut, son mari et maître, Robert Van der Beck, trop occupé à reluquer ses pensionnaires et à savourer les bons petits plats concoctés par Gilberte. C’est un os de lapin chasseur qui aura la peau du chaud lapin, laissant Paulette veuve. Et elle découvre bientôt que son mari a dilapidé sa fortune au jeu et même endetté sa maisonnée.

En situant La Bonne Épouse en 1967, une époque charnière de l’histoire contemporaine, Martin Provost invite la révolution féministe dans la vie de ses personnages. Lorsqu’on la découvre, toujours impeccable dans son petit tailleur et sa mise en plis laquée, Paulette s’applique à elle-même les règles qu’elle prône en classe, à savoir « oubli de soi, compréhension et bonne ­humeur ». Sans oublier le devoir conjugal : « Avec le temps et en y mettant un peu de soi-même, on franchira cette épreuve, aussi pénible et ingrate soit-elle. » Le trait semble épais ? À peine. Il prête surtout à rire franchement, non pas aux dépens des héroïnes, tout sauf cruches, mais avec elles. Le réalisateur, qui filme le deuxième sexe avec empathie et intelligence depuis ses débuts, Séraphine en 2008, Sage Femme en 2017, sert cette fois à ses actrices une comédie en or.

Martin Provost piétine le cliché de la rivalité féminine et trouve partout de la sororité. Quand on craint de voir Paulette et Gilberte, si tendres l’une envers l’autre, se brouiller pour les beaux yeux d’un banquier providentiel, le film règle la question avec une grâce bouleversante. De l’achat d’un pantalon à l’obtention d’un premier chéquier, de la lecture gourmande du code du travail à un rendez-vous amoureux en montagne, La Bonne Épouse fonce vers l’émancipation dans une joie communicative. La mise en scène elle-même s’affranchit des carcans au fur et à mesure, allant jusqu’à s’aventurer dans la comédie musicale. Résonnent alors, sur la route menant vers Paris, au soleil de mai 68, les chants de toutes ces femmes qui érigent de nouveaux piliers : « Sainte ou catin, pourquoi choisir ? Moi, je veux jouir ! »

Tout le casting est épatant. Juliette Binoche en tête, très drôle en bourgeoise coincée qui découvre la liberté. Yolande Moreau est toujours aussi drôle et Noémie Lvovsky hilarante. Les seconds rôles, masculins (Edouard Baer, François Berléand) et les jeunes filles, sont également parfaitement interprétés. Un quatuor féminin se distingue de la petite troupe des jeunes pensionnaires ; quatre profils très singularisés et excellemment interprétés : Yvette (Lily Taïeb), tout droit sortie du XIXème siècle, la frondeuse Annie (Marie Zabukovec), en avance sur son temps, l’altière Albane (Anamaria Vartolomei), noble égarée parmi ces roturières et embrasée par la rousse chevelure de Corinne (Pauline Briand). Le gynécée s’offrira même le luxe d’un hommage explicite, mais ici aussi féminin que son modèle fut masculin, au mythique « Zéro de conduite (1933) de Jean Vigo.

L’intrigue, rondement menée, dans les couleurs acidulées de Guillaume Schiffman, avance à grands pas vers le printemps 1968 qui provoquera la fin de ces institutions d’un autre âge. Par l’outrance, et le rire ou le sourire qui l’accompagnent, Martin Provost parvient toutefois à transmettre un message des plus graves. La Bonne Épouse fait également frémir, rappelant le carcan d’un passé que nos ascendantes, plus ou moins proches, ont connu et dans lequel, sous prétexte d’on ne sait quel retour moral, il ne s’agirait pas de retomber.

Distribution

Fiche technique

  • Réalisation : Martin Provost
  • Scénario : Martin Provost et Séverine Werba
  • Musique : Grégoire Hetzel
  • Durée : 109 mn
  • Dates de sortie : 15 janvier 2020 (Avant-prmière) ; 22 juin 2020 (nouvelle sortie)


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