La Harpe de Birmanie

De Cinéann.

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La Harpe de Birmanie (japonais ビルマの竪琴, Biruma no tategoto) film japonais réalisé par Kon Ichikawa, sorti en 1956.

Analyse critique

L'action débute en 1942. Après avoir refoulé les Anglais, un régiment de l'Armée Impériale japonaise participe à l'occupation de la Birmanie. Une troupe de soldats fraternise avec la population birmane. Chaque homme révèle une sensibilité et une émotion, que même cette guerre n’a pas pu effacer. Ils forment un groupe solidaire et fraternel, la fracture hiérarchique n’existe pas, le capitaine est totalement accepté au sein du groupe. D’ailleurs, il fait littéralement office de chef d’orchestre. En effet, cette unité chante, guidée par le capitaine et accompagnée par Mizushima avec sa harpe. C’est par la musique que les hommes peuvent exprimer librement leurs émotions, elle devient un rempart contre la réalité de la guerre. Chanter apporte de l’espoir.

Pourtant ces hommes ne connaissent pas vraiment l’horrible réalité des combats et de la mort. Leur quotidien se résume à marcher et à trouver un peu de nourriture, ils ne semblent pas avoir un but précis, comme abandonnés et livrés à eux-mêmes dans la jungle birmane. L’unité avance dans un rêve, elle représente un petit microcosme utopique en dehors des réalités. Ichikawa nous montre une armée épuisée, perdue et inconsciente de cela.

3 jours après la fin officielle de la Seconde Guerre mondiale, ces Japonais ne sont pas informés de la fin du conflit. Lors d'une halte dans un village, le régiment est cerné par les troupes britanniques. Afin d'éviter un massacre, le capitaine Inoue ordonne à ses hommes de chanter pour signifier leur pacifisme. Les soldats japonais peuvent ainsi se rendre sans violence.

Mizushima se voit alors chargé de convaincre un groupe isolé de résistants, réfugiés dans la montagne, de se livrer aux Anglais. Lorsque le joueur de harpe quitte le groupe pour accomplir la mission donnée par les Britanniques, il y a une coupure radicale. Il se retrouve nez à nez avec la guerre et la folie de l’esprit japonais. La troupe qu’il veut tenter de sauver est irrécupérable car aliénée par des valeurs suicidaires. Ces soldats refusent d’accepter une idée de déshonneur, de honte alors qu’ils vivent dans une grotte et laissent plus ou moins mourir les blessés. Ils n’ont aucune notion d’humanité ou de respect pour les autres, préférant mourir quand la liberté leur était offerte. L'opération est un échec et le joueur de harpe est laissé pour mort. Plusieurs jours plus tard, alors que ses compagnons s'inquiètent du sort de Mizushima, ils croisent un moine birman qui lui ressemble étrangement.

Il s'agit bien de Mizushima, qui confronté aux horreurs de la guerre doit faire le difficile choix entre retrouver ses amis en attente de son retour ou rester en Birmanie. En passant de soldat à moine, Mizushima passe du statut de l’ennemi, du danger à celui de divinité respectée et aimée par toute la population. Autrement dit, il est pris en considération par les gens, et ses actes peuvent les influencer. Par exemple, lorsqu’il creuse des trous pour enterrer des cadavres, il sera très vite rejoint et aidé par des gens. Il se lance dans l’idée de s’occuper de tous les corps oubliés traînant un peu partout en Birmanie, une manière d’apprendre à faire le deuil et surtout à l’accepter.

Le soldat Mizushima sort dès le départ du lot : adoptant un costume traditionnel birman, il a également appris à jouer de la harpe à treize cordes birmane, témoignant donc de son véritable intérêt pour cette culture étrangère. Autre preuve de leur intérêt pour le pays est la relation envers la marchande birmane : échangeant d'abord de simples objets pour s'offrir quelque luxure lors de leur emprisonnement, ils donneront tous un objet personnel en guise de souvenir à leur départ ; la marchande rendra la pareille en leur remettant également des offrandes. La musique joue bien évidemment un rôle très important au sein du film, elle sert de langage universel entre japonais, autochtones et forces alliées. Lors de la rencontre des japonais avec les troupes britanniques, l'effusion de sang prévisible est désamorcé par la chanson Hanyu no Yado entonné par la compagnie, repris dans sa forme originelle par les Anglais, Home Sweet Home.

Une nouvelle fois scénarisée par sa femme Natto Wada, Ichikawa adapte la célèbre nouvelle de l'auteur Takeyama Michio. Écrit juste au sortir de la guerre en 1946, La Harpe de Birmanie est aujourd'hui considéré comme un classique de la littérature japonaise. L'auteur s'était évidemment référé à l' histoire des Japonais, mais l'intrigue ne lui sert que de toile de fond pour un message plus universel. Le Japon s'est énormément repenti lors de sa défaite au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Pour un spectateur occidental, il est bien évidemment difficile, sachant la cruauté de l'oppresseur japonais, de voir déambuler la compagnie de soldats en Birmanie en chantonnant. Mais il devient très rapidement clair, que ces hommes ne sont que de simples pions impliqués dans une situation qu'ils auraient préféré éviter. Leurs chants ne servent qu'à adoucir leur peur réelle ; ils sont pressés de rentrer et ils sont réellement curieux des birmans en adoptant leurs coutumes et allant à leur rencontre par leurs chants.

Autour du sujet de la guerre et de la défaite rôde un tabou persistant, toujours présent dans les esprits même dix années après. Avec ce film, Kon Ichikawa se permet de revenir sur les conséquences du conflit, en se concentrant sur l’expérience d’un quasi-déserteur, à l’origine un soldat naïf et pur. La réelle fraternité de l’unité fait écho à celle d’un pays tout entier, incapable ou presque de comprendre les raisons et les conséquences d’une défaite, d’une perte. Kon Ichikawa par son cadre magnifique et ses jeux de lumière précis venant nuancer la joie de ses personnages, se moque des idées abstraites d’honneur ou de dignité, il regarde frontalement la douleur de l’horreur d’une guerre.

Harpebirmanie.jpg

Distribution

  • Rentaro Mikuni : Capitaine Inouye
  • Shôji Yasui : Mizushima
  • Jun Hamamura : Ito
  • Taketoshi Naitô : Kobayashi
  • Shunji Kasuga : Maki

Fiche technique

  • Titre : La Harpe de Birmanie
  • Titre original : Biruma no tategoto
  • Réalisation : Kon Ichikawa
  • Scénario : Natto Wada d'après le livre homonyme de Michio Takeyama, publié en 1945
  • Production : Masayuki Takaki
  • Musique : Akira Ifukube
  • Photographie : Minoru Yokoyama
  • Montage : Masanori Tsujii
  • Pays d'origine : Japon
  • Format : Noir et blanc
  • Durée : 116 minutes
  • Date de sortie : janvier 1956


Retrouvez tous les détails techniques sur la fiche IMDB

  • Kon Ichikawa réalise un remake de ce film en couleurs, en 1985, de valeur nettement inférieure à l'original
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