La Moustache

De Cinéann.

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La Moustache est un film français d’Emmanuel Carrère, sorti en 2005, adapté de son propre roman homonyme.

Sommaire

Analyse

Depuis toujours, Marc porte une moustache. Un soir, il trempe dans son bain et mène une conversation décousue avec sa femme, Agnès, qui se tient de l'autre côté d'une cloison translucide. Début de soirée banal dans un appartement bourgeois de la capitale, avant que le couple ne se rende à un dîner chez des amis.

Non moins anodine, une phrase va pourtant tout faire basculer : "Qu'est-ce que tu dirais si je me rasais la moustache ?", dit-il. "Je ne sais pas, je t'aime bien avec, je ne te connais pas sans", lui répond-elle. Gros plan sur le miroir, les ciseaux, le rasoir, les poils sacrifiés, remisés à la poubelle. Cet infime changement opéré sur la réalité va plonger les personnages, et à leur suite le film et les spectateurs, dans la quatrième dimension. Mouvement de bascule d'autant plus efficace qu'imperceptible, procédant depuis le degré zéro de la quotidienneté par paliers insensibles. La première étape relève du burlesque. Marc sort d'abord de la salle de bains, yeux pétillants et regard en coin. Aucune réaction, comme si de rien n'était. Il insiste, cherchant à se faire remarquer sans manger le morceau. Appels de phare frontaux, yeux ronds comme des billes, mine facétieuse rehaussée par un soupçon de dépit, pose de l'enfant qui vient de faire un bon coup que personne n'a eu la bonne idée de remarquer.

Même topo le soir chez les amis, puis le lendemain matin au travail. La farce tourne au vinaigre, la panique gagne petit à petit. Entre-temps, le couple s'est déjà durement confronté : Marc a fait part de son étonnement et de son irritation, Agnès l'a assuré qu'il n'a jamais porté de moustache. Incompréhension absolue, mutisme décontenancé, entrée en scène de la défiance. Le spectateur, habilement tiraillé par le scénario, a le cerveau qui commence à fumer. Soit cet homme est fou et la scène inaugurale relève d'un pur fantasme, soit, comme il commence lui-même à le penser, il est victime d'un complot ourdi par son entourage.

C'est le second long métrage et la première œuvre de fiction d'Emmanuel Carrère, auparavant plus connu en tant qu'écrivain. La Moustache est une adaptation de son livre homonyme. Assisté à l'écriture par le diabolique Jérôme Beaujour (notamment scénariste de Benoît Jacquot), il dispense à cet égard des indices délibérément contradictoires. Au bénéfice du premier dossier, l'unanime dénégation qui accueille ses réclamations et la perte croissante du sentiment de réalité qui affecte le personnage. Au bénéfice du second, des détails troublants qui empêchent pourtant de s'accorder à cet unanimisme : l'histoire racontée par les amis sur la mauvaise foi d'Agnès, la récupération des poils dans la poubelle, l'existence de vieilles photographies avec moustache, la femme policier rencontrée dans la rue et qui confirme à Marc qu'il porte bien une moustache sur sa carte d'identité.

Face à ce choix cornélien et aux genres respectifs qui devraient en découler (une variation lynchienne du labyrinthe narratif ou un bon vieux thriller hitchcockien), La Moustache adopte en définitive le même point de vue que son personnage principal : la fuite en avant. Celle-ci survient à mi-parcours, avec le départ précipité de Marc pour Hongkong, et la soudaine bifurcation du film vers les charmes lents, répétitifs et opiacés du cinéma de Wong Kar-waï, avec claustration dans une chambre d'hôtel microcosmique et Emmanuelle Devos dans le fourreau de Maggie Cheung.

La boucle finit ainsi par se boucler, d'une manière qui gagne à être découverte sans le concours de la critique, mais sans que quiconque puisse tirer de ce film un autre enseignement que celui de la perdition où il nous a entraînés. Les plus philosophes prétendront que sous La Moustache se dissimule un essai existentialiste sur le couple, sur la façon dont le regard de l'autre, ou pire, son absence, nous affecte jusque dans notre propre faculté d'exister.

Ce serait sans doute la meilleure manière de s'acquitter de ce film déroutant si elle ne réduisait du même coup la moustache au rang d'accessoire, de Mac Guffin. Or le postiche est la seule façon pour une moustache de figurer à ce titre au cinéma, généralement à des fins de comédie (Le Dictateur de Charlie Chaplin, To Be or Not To Be de Ernst Lubitsch). De sorte que La Moustache de Carrère pourrait laisser sur sa faim, et renvoyer, dans ce registre très particulier du réalisme fantastique, à l'abîme qui sépare la littérature (où la moustache est un mot) du cinéma (où elle est une image).

Contrairement à la littérature, dont l'apanage est d'ignorer superbement cette contrainte , le genre cinématographique n'a d'autre choix que de composer avec le réalisme de la représentation. Car le doute instillé sur une image, dès lors qu'il relève d'un pur arbitraire, contamine toutes les images d'un film, au bénéfice en même temps qu'au risque d'un vertige qui n'est jamais très éloigné du néant. Délicate gageüre pour les cinéastes mais Emmanuel Carrère se sort assez élégamment de cette ornière.

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Distribution

Fiche technique

  • Titre : La Moustache
  • Réalisation : Emmanuel Carrère
  • Scénario : Jérôme Beaujour et Emmanuel Carrère, d'après le roman homonyme de ce dernier, publié aux éditions POL en 1986.
  • Photographie : Patrick Blossier
  • Musique : Philip Glass (Concerto pour violon et orchestre)
  • Montage : Camille Cotte
  • Production : Anne-Dominique Toussaint pour Les Films des Tournelles
  • Durée : 86 minutes (1h26)
  • Dates de sortie : 15 mai 2005 (Festival de Cannes), 6 juillet 2005 (France , Belgique)

Récompense


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