La Troisième Génération

De Cinéann.

La Troisième génération (Die Dritte Generation) film allemand réalisé par Rainer Werner Fassbinder, sorti en 1979.

Analyse critique

Le film se situe à Berlin-ouest, à l' hiver 1978/79, les terroristes de la Fraction Armée Rouge (RAF) de la troisième génération sont un petit groupe de jeunes désœuvrés. Ils viennent des milieux les plus divers: Rudolf est vendeur dans un magasin de disques, Petra est l'épouse d'un directeur de banque. Le compositeur auto déclaré Edgar vit de la rente de fonctionnaire de son père. À cela s'ajoute une professeur d'histoire, une secrétaire d'un puissant groupe informatique américain, un terroriste formé en Afrique ainsi que deux ex-soldats de la Bundeswehr. Le leader du groupe est August Brem. Ils vivent en communauté, pratiquent l'amour libre, boivent, fument, se droguent.

Ils mènent leurs actions dans Berlin-Ouest. Pour se faire de nouvelles identités, ils volent de papiers encore vierges à l'état civil. Ils essuient un sérieux revers lorsque le terroriste Paul est abattu dans un restaurant par des policiers. Obligé de survivre dans la clandestinité, et manquant d'argent, le groupe braque une banque. Petra tue son mari, employé de la banque, mais est abattue par la police à la mairie de Schöneberg au moment où elle place des explosifs. L'ancien soldat africain, spécialiste des explosifs, est liquidé par la police alors qu'il se recueille sur la tombe de sa copine morte d'une overdose d'héroïne. L'autre ex-soldat découvre finalement qu'August Brem est un traître. Brem est payé par l'homme d'affaires américain Peter Lurz.

Peter Lurz, représentant d'une firme américaine d'informatique, exerce une grande influence sur la ville, use de sombres machinations et de conspirations policières à la seule fin de protéger ses intérêts financiers. Il souhaite vendre à la RFA son ordinateur d'aide aux recherches de police, et soutient secrètement le groupe pour l'infiltrer. Il a fondé la cellule révolutionnaire avec le commissaire de police qui recherche précisément le groupe. Pour contraindre les autorités de RFA à acheter ses ordinateurs, Lurz se fait kidnapper. Les membres du groupe encore actifs enregistrent une vidéo où l'homme d'affaires déclare en tant qu'otage qu'il a été enlevé « au nom du peuple et pour le bien de celui-ci ». On lui fait répéter ce "texte" plusieurs fois, tandis que les membres du groupe sont déguisés en clowns.

Fassbinder ne prend pas de gants. Il ouvre chaque acte du film par un intertitre reprenant des graffitis obscènes trouvés dans les toilettes publiques de Berlin-Ouest. Tout devient trivial, résumé et programmé par le sous-titre du film : "une comédie en six parties, pleine de tension, d'excitation et de logique, de cruauté et de folie, comme les contes (que l'on raconte aux enfants) pour les aider à supporter leur vie jusqu'à leur mort". Son propos est très précis : la "troisième génération" contemporaine de révolutionnaires succédant à Baader, n'a pas de motivations politiques ; elle n'agit que pour le plaisir du danger, pour "l'aventure vécue comme dans l'ivresse devenant sa propre finalité". Les terroristes sont ici de petits bourgeois complexés, pleins de volonté mais sans représentation. Ils naissent de l'ennui apolitique d'une société immobile, mais Fassbinder va encore plus loin en souscrivant à la thèse d'une manipulation de ces mêmes terroristes par le Capital, conforté par cette violence. Dans le film, la Police et les Industriels tirent les ficelles de ces fantoches, indifférents au couple de marginaux, pour qui ils devraient se battre, et que leur oppose Fassbinder : une toxicomane et un chômeur, les seuls "purs" du film.

Le motif du jeu est une constante du film, les terroristes étant finalement des gamins attardés, qui finissent par se déguiser pour Mardi Gras lors du kidnapping de Peter Lurz. Jeu de massacre général et inquiet, car en évoquant notamment l'incendie du Reichstag dans son synopsis pour le film, Fassbinder expose la grande crainte qui parcourt nombre de ses films : que le miracle aveugle économique allemand soit le terreau d'un nouveau fascisme.

Le film fonctionne aussi comme mise en abyme du cinéma et du système Fassbinder. Le cinéaste reprend exactement le même casting que son Prenez garde à la sainte putain, film sur un tournage de film. Peter Lurz est ici le metteur en scène littéral de la situation, les terroristes apprennent par cœur leur nouvelle identité, leur rôle quand ils entrent en clandestinité. La dernière scène n'est qu'une mise en place tâtonnante pour mettre en boîte la bonne prise : le message vidéo de l'otage, alors qu'on s'affaire autour de lui sur les détails techniques, faire entendre une bande enregistrée des bruits du métro berlinois pour brouiller les pistes. Eddie Constantine regarde la caméra, pas dupe, sourire en coin quand il se déclare "prisonnier du peuple".

Le film est par ailleurs fascinant pour son travail sonore, l'isolement des personnages n'est plus seulement induit par le cadrage dans le cadrage, mais aussi par les superpositions sonores. La radio diffuse des informations sur l'état du monde, grève des métallurgistes allemands, révolution iranienne, auxquelles nos terroristes sont sourds. Le langage ne fait plus sens, en particulier dans la scène hystérique où Bernhard crie au policier qu'il peut passer les menottes à "la plante verte, la casquette, la machine à écrire".

Pour son auteur, il était vital qu'un film traite à chaud du terrorisme, nécessité affirmée au vu du climat de plomb allemand quand au sujet et du refus de financements publics pour son film. A la sortie du film, des néo-nazis rouent de coups un projectionniste à Hambourg et détruisent les copies. A Francfort, des militants d'extrême gauche jettent de l'acide dans une salle. Accusé de faire l'apologie des gauchistes par les premiers et de glorifier les fascistes par les seconds, Fassbinder est tout simplement en avance sur son temps. Même le titre est prémonitoire car en 1979, on parle encore de deuxième génération de la RAF et les historiens désigne par troisième génération la période 1982-1998 de la Fraction armée rouge.

Rainer Werner Fassbinder déclare:
Le modèle allemand est une démocratie dont on nous a fait cadeau, mais qu'est-ce que c'est cette démocratie dont la défense passe par le soutien à des valeurs que l'on ne peut pas critiquer ? Où on ne peut même plus dire : qu'est-ce que ces valeurs sur quoi tout repose ici ? Quand même cette question est interdite ? Or ce qui serait démocratique, ce serait précisément que la démocratie reste vivante grâce à une remise en question et une critique permanentes. Mais les choses ont évolué avec les années de telle façon que la démocratie est conduite chez nous avec un tel autoritarisme qu'on ne pourrait pas mieux faire dans un Etat autoritaire.

Le contexte historique

Dans les années 1967-1968, plusieurs groupes d'extrême gauche impliqués dans la lutte armée se sont formés en Allemagne. La Fraction armée rouge (FAR) concevait son combat dans une perspective internationaliste et anti-impérialiste.

Après avoir reçu une formation militaire dans un camp du Fatah en Jordanie, la FAR attira l'attention par des attaques de banques, vols de véhicules et autres larcins dont le but était de subvenir aux besoins du groupe. En 1971, la RAF publie et distribue son Concept de la guérilla urbaine. A partir de 1972, la RAF commit des attentats à la bombe contre des intérêts militaires américains et des institutions publiques, faisant plusieurs morts et de nombreux blessés.

Ulrike Meinhof et Andreas Baader, les chefs historiques sont capturés en 1972. Un commando de la Faction Armée Rouge allemande kidnappe le chef du patronat Hans-Martin Schleier, au passé nazi notoire, en automne 1977, et exige la libération d'Andreas Baader et des militants de la FAR. Peu après, un avion allemand est détourné par un commando palestinien aux revendications identiques. L'appareil est libéré par des commandos allemands.

Le 8 mai 1976, Ulrike Meinhof est retrouvée pendue dans sa cellule. Le 18 octobre 1977, Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Jan-Carl Raspe sont retrouvés morts dans leur cellule. La version officielle parle de suicide. La thèse d'un crime d'État s'installe. Schleier sera exécuté par ses ravisseurs. Cette violence d'en bas veut répondre à une violence perçue comme venant d'en haut depuis 1967, avec la mort d'un manifestant et l'attentat perpétré contre l'une des figures de La Nouvelle Gauche activiste, Rudi Dutschke, le premier "meurtre politique en RFA", ou l'interdiction des communistes dans la fonction publique. Plus généralement, les moyens policiers de surveillance des adversaires politiques de la RFA se renforcent. On va jusqu'à rapprocher cette période du maccarthysme.

Distribution

  • Harry Baer : Rudolf Mann
  • Hark Bohm : Gerhard Gast
  • Margit Carstensen : Petra Vielhaber
  • Eddie Constantine : Peter Lurz
  • Jürgen Draeger : Hans Vielhaber
  • Raúl Gimenez : Paul
  • Udo Kier : Edgar Gast
  • Bulle Ogier : Hilde Krieger
  • Peer Raben
  • Hanna Schygulla : Susanne Gast
  • Volker Spengler : August

Fiche technique

  • Titre original : Die Dritte Generation
  • Réalisation : Rainer Werner Fassbinder
  • Scénario : Rainer Werner Fassbinder]
  • Production : Harry Baer et Rainer Werner Fassbinder
  • Musique : Peer Raben
  • Photographie : Rainer Werner Fassbinder
  • Montage : Juliane Lorenz
  • Durée : 105 minutes
  • Date de sortie : 1979


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