Le Lac des femmes

De Cinéann.

Le Lac des femmes ( 女のみづうみ , Onna no Mizûmi) film japonais de Kijû Yoshida, sorti en 1966

Analyse critique

La belle Miyako appartient à la classe aisée, grâce à son mari, un homme important, directeur d'un grand magasin. Mais cette vie ne lui apporte rien, tout n’est que matérialisme et argent. Rien d’humain en somme. Alors, elle se trouve un amant pour partager des moments d’amour où enfin, elle peut dévoiler son corps en liberté. La relation reste secrète, ces instants de liberté rythment la vie arrangée de Miyako. En fait, elle n’ose qu’à moitié suivre ses sentiments, c’est cette retenue qui lui sera fatale, ou pas. Miyako, entretient une relation adultère avec le jeune Kitano.

Un soir, celui-ci demande à la photographier nue. Elle accepte, mais les négatifs lui sont dérobés. Bien qu'heureux de voir régulièrement sa maîtresse, le jeune Kitano aimerait avoir quelques souvenirs de ces rencontres. Pouvoir continuer à admirer le magnifique corps de Miyako sans attendre de la voir. D’où les photos. Mais les souvenirs deviennent vite des preuves de la relation secrète, un moyen d’intimidation. Soumise au chantage d’un inconnu, Miyako n’a alors d’autre choix pour les récupérer que d’obtempérer, et prend le train pour Katayamazu Onsen.

Un rappel à la réalité pour ces amants faussement libres. Ces photos dévoilent leur mensonge et peuvent anéantir tout ce qu’ils ont bâti dans cette société. La simple image d’un corps nu fait trembler la structure sociale. Que faire quand un inconnu réussit à mettre la main sur ces preuves ? Accepter son (apparent) chantage. Évidemment, les amants ont peur, signe de la futilité de leur amourette. Leur relation n’est qu’un défi aux bonnes mœurs, au quotidien. C’est pourquoi ils n’osent pas affirmer librement leur amour. Ils se suffisent de ces petits instants de liberté. En croyant échapper au quotidien, et suivre leur sentiments, ils restent prisonniers du système.

La peur de sombrer paralyse les amants. Dans cette société, il est très facile de faire développer des photos de femmes nues, ou encore d’assister à des séances particulières au fond d’un atelier. Il n’y a aucun problème pour cela, personne ne vous posera de questions. C’est comme toléré puisque ça rapporte de l’argent. D’ailleurs, il y a aussi des films sur ce domaine qui se tournent librement au bord d’une plage. Aucun problème donc, si ce n’est l’hypocrisie d’une société qui rejette ouvertement ce qu’elle accepte discrètement.

Le personnage de l’inconnu est tout de suite perçu comme une menace par le “couple”. Sans rien savoir, ils lui collent toutes leurs pires craintes. Un homme malhonnête et pervers, qui cherche à gagner de l’argent. Au final, rien du tout. L’inconnu est le seul personnage du film a être totalement libre, à suivre ses sentiments jusqu’au bout. Ce maître chanteur n’est qu’un professeur de collège, homme amoureux d’une image, qui souhaitait établir un réel rapport humain avec la femme de cette image. La rencontre avec l’inconnu se fait pratiquement sans dialogue, c’est une ballade presque muette à travers la nature où les deux personnages se fondent entre eux. Ironie de la situation, peut-être, le lien s’établit devant le tournage d’un film contenant un peu de nudité comme pour mieux rappeler à la femme la futilité de sa peur. C’est le passage vers sa propre réalité, où l’apparence n’est qu’un manège, une mise en scène que les individus se contentent d’imiter ou pire, de regarder. Et la découverte de l’amour et de la soumission se fait dans un bateau échoué, endroit fragile mais oublié par le reste de la société.

Chaque plan est maîtrisé et parfaitement organisé. La femme japonaise moderne est prisonnière d’une triste vie où tout est réglé d’avance, où rien ne doit dépasser. Dans une société qui se base sur l’apparence, les individus sont forcés d’ignorer leurs pulsions, leurs sentiments, et accepter un moule appréciable à tous. Ici, Kiju Yoshida s’interroge sur cette frontière entre l’apparence et la réalité, en suivant l’histoire d’une femme qui a osé duper la société et ses mœurs. On retrouve la rigueur de Yoshida, et son œil si précis, capable de placer ses acteurs sur la grille d’un monde urbain et banalisé. Le cinéaste fait durer ses plans, nous laissant ainsi profiter de la chorégraphie des personnages. Le placement de symboles comme l’eau, le renforcement dramatique quand Mariko Okada marche, filmée sous différents angles, puis montage éclaté, la maîtrise du Noir et blanc et des cadrages sont autant de marques du réalisateur. Avec ce film, Kiju Yoshida montre la tragédie d’une femme prête à tout pour maintenir son apparence en paix, pour garder secret son désir de liberté. Une femme honteuse et cruelle.

Le Lac des femmes est le premier film produit par la compagnie fondée en 1966 par Kijû Yoshida et sa femme Mariko Okada : la Gendai Eigasha (« Société du cinéma contemporain »). Adapté d’une nouvelle du prix Nobel de littérature, Yasunari Kawabata, le film permet au cinéaste de cultiver son désir de recherche esthétique et d’innovation du langage cinématographique.

Le film marque une nouvelle évolution vers l’érotisation du cinéma de Yoshida, qui tout en restant suggestif, se rapproche encore un peu de la chair, s’attarde à sa blancheur, à ses nuances, à son grain. Des plans sur des draps se font paysage, comme neige sur les corps. Plus encore que le cinéaste de la femme, Yoshida devient le cinéaste d’une seule femme et son art se mue en ode à la gloire de Mariko Okada. Le Lac des femmes évoque l’éveil d’une conscience, la libération du joug masculin, reprendre la photo impliquant la reprise de possession du corps, et son affirmation. « C’est mon corps », affirme-t-elle.

La solitude de l’être au sein du champ visuel vient exprimer celle de son existence. On est à nouveau proche de l’expérimentation formelle d’un Bergman dans la conception d’un cinéma qui met en avant les sens pour traduire l’ennui envahissant. Malgré la dominance d’un discours subversif qui fustige à la fois le confort bourgeois et l’inégalité des sexes, Le Lac des femmes n’est pas un film réaliste. Les visages se dédoublent, se floutent ou se reflètent dans les miroirs. L’atmosphère somnambulique et le règne de la nuit, avec ses attentes dans les gares, ses errances sur la route ou dans les rues donne parfois au Lac des femmes une allure de cauchemar urbain. Les personnages deviennent des figures abstraites au sein de la ville, offrant parfois des plans subtilement poétiques, comme celui d’un jet d’eau sur le visage de l’héroïne. L’horizontalité se confond à la verticalité dans une perspective bouleversée. Le dispositif formel employé pour traduire la vie quotidienne contemporaine vient révéler l’artificialité du sentiment. Pour la première fois, chez Yoshida, le film s’arrête sur un mouvement continu, sur une question, une idée de non-fin et de répétition. Comme une absence d’issue dans cette existence dominée par la monotonie, le refus de conclure se retrouvera dans ses œuvres suivantes.

Distribution

  • Mariko Okada  : Miyako Mizuki
  • Shigeru Tsuyuguchi  : Ginpei Momoi
  • Tamotsu Hayakawa : Kitano
  • Keiko Natsu  : Machie
  • Hiroko Masuda
  • Aiko Masuda
  • Sakae Umezu
  • Yukio Tada
  • Shinsuke Ashida  : Yuzo

Fiche technique

  • Titre original : 女のみづうみ , Onna no Mizûmi
  • Titre français : Le Lac des femmes ou Le Lac de la femme
  • Réalisation : Kijû Yoshida
  • Scénario : Yoshio Ishido, Yasuko Ohno, Kiju Yoshida, d'après le roman "Mizûmi (Le Lac)" de Yasunari Kawabata
  • Production : Keinosuke Kubo
  • Musique originale : Sei Ikeno
  • Image : Tatsuo Suzuki
  • Montage : Sachiko Shimizu
  • Durée : 102 mn
  • Date de sortie : 27 août 1966 (Japon)


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