Le Pornographe

De Cinéann.

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Le Pornographe, film franco-canadien réalisé par Bertrand Bonello en 2001.

Analyse critique

Jacques Laurent , « né à Lyon en 1950 », est un ancien réalisateur de films pornographiques, sous-genre cinématographique où il excellait durant les années 1970 avant d'arrêter en 1984, sur un projet inabouti, L'Animal, qui se voulait « à la limite de l'abstraction ». . Aujourd'hui aux prises avec des soucis financiers, Jacques Laurent a décidé de reprendre les tournages. Mais l'enthousiasme n'y est plus vraiment. Le pornographe semble fatigué, et puis l'époque a changé, ce qui avait pu dans la fièvre de 1968 apparaître comme un élan de contre-culture sauvage et libertaire, le rêve accompli d'une jouissance sans entraves, obéit désormais à des exigences commerciales auxquelles il s'oppose en vain.

Sur le tournage, assez cocasse dans le second degré, ses rares exigences esthétiques s'appuient sur les quelques interdits, non écrits, du genre comme avaler le sperme, ou jouir sans crier. Il échoue complétement car le producteur omniprésent intervient vite pour revenir aux recettes éprouvées de ce cinéma. Bonello montre sans tricher, mais sans zoomer non plus, filmant à une distance respectueuse deux séquences hard, jouées par de vrais acteurs de porno.

La pornographie ne se corrige pas de l’intérieur, on en fait ou on la combat. Ce n’est pas la réflexion de Jacques Laurent sur le visage dans la fellation qui changera quelque chose. Le visage dans la fellation dit-il « est le dernier rempart de l’humain ». Après ce dernier rempart, tout bascule en effet vers une forme d’anéantissement de l’humain. Dans les films pornographiques que tourne Jacques Laurent, la parole des acteurs est plate, assourdie, décalée : elle aussi est anéantie, comme le visage humain dont elle devrait être l’expression. Les acteurs parlent avec des mots qui ne viennent pas de leur bouche : ils récitent des attentes venues d’ailleurs. Tout se passe comme si ses acteurs n’habitaient plus leur parole ni même leur corps. Ils prennent la pose convenue, et tout dans leur geste n’existe que dans la mesure où il conduit au viol du visage, des regards et des corps.

La pornographie est dur à porter, à assumer. Le métier de Jacques est à l'origine d'une longue brouille avec son fils, Joseph. Quand celui-ci refait surface, un autre chapitre s'ouvre alors, sur la filiation et la transmission, sur ce qui est laissé en héritage ou en plan, sur les années-lumière qui séparent le délire de 1968 et notre « époque sans fêtes ». Ces retrouvailles, le temps de quelques promenades dans Paris, vont bousculer la nature de leur relation. Selon l'implacable dynamique des vases communicants, le fils va se libérer tandis que son père sombre progressivement dans un isolement dépressif. Alors que le père en fin de carrière et de vie tente un recommencement en construisant une maison. Léaud, assis dans l'herbe avec des outils dont il ne sait quoi faire est tragiquement drôle. Le fils met à l'épreuve ses croyances et ses connaissances, et abandonne le mouvement de contestation par le silence qu'il menait avec des camarades, pour partir avec son amie. Dans sa dernière partie, le film suit donc les parcours parallèles des deux hommes vers la lumière et une certaine forme de dignité.

Ce double mouvement, Bonello le symbolise avec élégance à travers les attitudes de chacun dans la nature, face aux paysages, face aussi à l'architecture, il est souvent fait allusion à des maisons. Le Pornographe a autant le goût de la chair que des pierres, une des scènes de sexe se déroule au bord d'une carrière.

Le film s'assume comme cinéphilique, inscrivant le thème de la filiation, de la dette envers les pères au cœur de son récit comme de son casting. Jean-Pierre Léaud, mythe vivant qui porte avec lui une histoire du cinéma, joue Jacques Laurent. En faisant de lui un réalisateur sur le retour, un peu largué, Bonello prend en charge à la fois sa mythologie et son revers douloureux. Là encore, il ne triche pas, son film a la valeur d'un documentaire juste et honnête sur Léaud, son accablement, ses tourments, sa manière unique d'incarner l'existence et le cinéma ensemble. C'est avec un certain vertige qu'on écoute le long monologue final, déballage très beau, qui prolonge, en le ravivant, celui débuté près de vingt ans avant dans La Maman et la Putain.

A l'opposé de cette justesse, il y a l'obscénité. Le film nous place face à nos contradictions, entre phantasmes (qui aujourd'hui n'a jamais regardé un porno ?) et jugements moraux (le lien du porno à la prostitution...). Bonello montre surtout que l'obscénité a plusieurs visages, le pire avançant masqué, s'insinuant, par exemple, dans les questions intrusives d'une journaliste. L'indécence, c'est aussi cette échappée libre au cours de laquelle Léaud décide soudain de suivre une femme dans la rue, de se faufiler jusque chez elle, réalisant un phantasme vieux comme le monde : pénétrer l'intimité des gens, à leur insu. Cette femme espionnée paraît à ce moment précis mille fois plus vulnérable et à nu que l'actrice dans le film porno.

Jacques Laurent est devant une alternative : ou il retrouve le face à face avec le visage humaine ou il saute par la fenêtre. C’est sous l’aspect d’une femme, une journaliste très respectueuse, très attentive et très écoutante. qu’il découvre la porte de sortie. Elle va accueillir ses paroles un peu comme si elle incarnait sa propre conscience qu’il regarderait enfin en face. Il y a dans ce face à face comme l’antidote à la pornographie, l’épaisseur de l’humain, de la reconnaissance et de la patience pour découvrir le rythme de l’autre. Dans cette rencontre, entre Jacques Laurent et la journaliste, juste un enregistrement de la voix . Avant même de prêter son visage et son écoute au désarroi de Jacques Laurent, elle lui demande : « Ca ne vous dérange pas que j’enregistre ? ». On retrouve dès ce moment la logique du consentement dont le pornographe s’est éloigné et à laquelle il a substitué celle du viol. Sa pudeur à se raconter, par une sorte de contre-point montre que la rencontre avec autrui ne se résume pas au contact, qu’elle passe par une traversée en soi de ses propres résistances.

Le dernier plan, comme un écho de la scène pornographique d’ouverture du film montre le pornographe allongé, muet, comme absorbé dans une descente à l’intérieur de lui-même. Du début à la fin, on sera resté dans l’univers horizontal de la coucherie glauque, avec un homme qui, sans le comprendre, aura cherché à se tenir debout.

Distribution

Fiche technique

  • Réalisation : Bertrand Bonello
  • Scénario : Bertrand Bonello
  • Directeur de la photographie : Josée Deshaies
  • Monteur : Fabrice Rouaud
  • Productrice : Carole Scotta
  • Musique originale: Bertrand Bonello et Laurie Markovitch
  • Durée : 108 mn
  • Date de sortie : 3 octobre 2001
  • Grand Prix de la Semaine internationale de la critique, 2001
  • Prix Fipresci, sélection parallèle, 2001


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