Le Redoutable

De Cinéann.

Le Redoutable , film français de Michel Hazanavicius, sorti en 2017

Analyse critique

À Paris, en 1967. Le célèbre réalisateur Jean-Luc Godard tourne son quinzième long métrage La Chinoise. La tête d'affiche est la femme qu'il aime, Anne Wiazemsky, de 17 ans sa cadette, petite fille d'André Mauriac, écrivain de droite. Ils se sont rencontrés peu de temps avant, sur le tournage du film Au hasard Balthazar de Robert Bresson en 1966. Ils sont heureux, amoureux, séduisants, ils se marient.

À sa sortie, La Chinoise, qui pourtant annonce l'influence maoïste de mai 1968, reçoit un accueil assez négatif et cela déclenche chez Jean-Luc une profonde remise en question. À cela vont s'ajouter les évènements eux-même de Mai 68, pendant lesquels Godard prend des positions radicales, mais est rejetés par les jeunes. Cette crise que traverse le cinéaste va profondément le transformer.

Avec d'autres cinéastes comme Philippe Garrel et Chris Marker, il participe aux événements de mai 68 en suivant et filmant les manifestations d'une part, en participant aux États généraux du cinéma français à l'École technique de photographie et de cinéma de la rue de Vaugirard et à l'IDHEC et enfin en exigeant avec François Truffaut, Alain Resnais, Claude Lelouch, Louis Malle et d'autres, l'arrêt du festival de Cannes en « solidarité avec les étudiants ». Avec Chris Marker, il participe à la confection de cinétracts, de courts films de 3 minutes mêlant des slogans révolutionnaires avec des images des manifestations ou des détournements d'images publicitaires. Mais mai 68 c'est aussi le moment d'une déception pour Godard qui se détache du mouvement des cinéastes et ne participe pas à la création de la Société des réalisateurs de films. Enfin, c'est aussi le moment où Godard remet en cause sa notoriété et souhaite redevenir anonyme. Il remet aussi en cause la notion d'auteur qu'il avait défendue quand il était critique au Cahiers du cinéma. Il va passer volontairement d'un statut de réalisateur « star » à celui d'un artiste maoïste hors du système autant incompris qu'incompréhensible. Il ne tournera plus de film "conventionnel".

Plus qu'un pastiche, Le Redoutable est un détournement fantaisiste et attendri de la figure d’un incorrigible obsessionnel. Le film doit son titre à un reportage entendu par les protagonistes à la radio: Ainsi va la vie à bord du Redoutable. Il décrit un Godard si attaché à être de son temps, les années Mao, qu’il en oublie de vivre avec Anne Wiazemsky, la femme qu’il aime. Louis Garrel passe de l’imitation à une incarnation subtile d’un cinéaste soudain jaloux et masochiste en amour comme dans cette belle scène de rupture entre chambre et salle de bains. C’est dans son humour que le film s’avère le plus fidèle à Jean-Luc Godard, très blagueur lui-même.

Adapté d'un récit d'Anne Wiazemski sur sa liaison avec Jean-Luc Godard, le film fait le portrait du cinéaste en homme qui passe à coté de l'amour mais aussi de son propre talent. Le film condense en un seul récit deux motifs-clés traités jusque-là par Hazanavicius dans des films séparés. Jean-Luc Godard, portraituré dans la France en ébullition du printemps 68, c'est un peu The Artist et un peu OSS.
Comme dans The Artist, c'est le portrait d'un créateur en pleine crise artistique car confronté à une importante mutation historique comme le passage au parlant comparé aux bouleversements révolutionnaires de mai 68, et la nécessité d'inventer une forme de cinéma qui en épouse les élans.
Et comme OSS, Godard en 68, aussi avant-gardiste se voit-il, est pour Michel Hazavanicius le produit idéologique de son époque, conditionné sans s'en rendre compte par la domination masculine et une certaine condescendance d'intellectuel mâle avec les femmes. Inattentif, indélicat avec sa compagne, Godard y est un mufle, un macho qui s'ignore, aussi moulé dans une France aux valeurs dépassées qu'Hubert Bonisseur de La Bath.

Le Redoutable est l'histoire amère d'un double aveuglement. D'abord, celui d'un homme qui croit avoir vu la lumière dans l'activisme politique et n'embrasse que la chimère d'une époque, il y perdra, pour certains critiques, son art, celle de la fameuse période universellement aimée des années 60/67. Puis celui d'un amant qui sans s'en rendre compte maltraite sa compagne et ne lui apporte plus ce pour quoi elle l'a aimé – il y perdra son amour. Sur les deux versant, la démonstration est univoque, simplificatrice, et empreinte d'un fiel sarcastique extrêmement amer.

Quoi qu'on pense des films militants du groupe Dziga Vertov, on peut porter au crédit de Godard d'avoir mené une des tentatives les plus radicales de déconstruction de la figure romantique du "grand artiste". Ce mythe, il lui a d'abord donné une formulation hyper-contemporaine et exacerbée, la période A bout de souffle, Le Mépris, Pierrot le fou, où il est construit par les médias comme le dernier avatar de la figure du génie. Puis il a fait le choix de s'en défaire en basculant dans le cinéma militant et les films signés collectivement.

Distribution

Fiche technique

  • Réalisation : Michel Hazanavicius
  • Scénario : Michel Hazanavicius, d'après l'autobiographie Un an après d'Anne Wiazemsky, parue en 2015
  • Photographie : Guillaume Schiffman
  • Montage : Anne-Sophie Bion
  • Production : Florence Gastaud, Michel Hazanavicius et Riad Sattouf ; Daniel Delume (déléguée)
  • Sociétés de production : Les Compagnons du Cinéma ; Wild Bunch (coproduction) ; France 3 Cinéma (participation)
  • Durée 107 minutes
  • Dates de sortie : 21 mai 2017 (Festival de Cannes 2017) ; 13 septembre 2017 (sortie nationale)
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