Le Signe du lion

De Cinéann.

Le Signe du Lion film français d'Éric Rohmer, achevé en 1959 et sorti en salle en 1962.

Analyse critique

Pierre Wesserlin, musicien américain, mène une joyeuse vie de bohème à Paris et dépense sans compter, en attente de l'héritage d'une tante éloignée. Il accumule ainsi les dettes, jusqu'à ce qu'il apprenne d'abord la mort de cette tante, il se croit héritier. Mais le lendemain, il apprend que son cousin est le seul héritier et qu'il ne pourra pas rembourser ses dettes. Ses créanciers lui coupent alors les vivres et ceux qui se prétendaient ses amis le quittent. En plein mois d'août, sous un soleil brûlant, il se retrouve seul et démuni dans la capitale désertée et ne cherche plus qu'à survivre, mais refuse de travailler. Devenu clochard, il touche le fond, mais son signe astral le protège.

Avant tout une réflexion amère sur la solidarité humaine, ou plutôt son absence. Cependant, l'optimisme finit par l'emporter sur le désespoir et quelques exceptions sauvent un portrait peu flatteur de l'espèce humaine, même si ce sont plutôt les astres et le hasard qui sont salvateurs.

Courte apparition de Godard en Sisyphe de l'électrophone, qu'on peut l'interpréter comme spectateur désabusé de l'absurdité de la condition humaine.

Mais, grâce à Rohmer dont c'était le premier long métrage, c'est surtout l'admirable Jess Hahn qui fait le film. On n'imagine pas un autre acteur de l'époque, même dans les grands, pour ce rôle d'un colosse touchant de spontanéité et de générosité, mais aussi extrêmement fragile.

D'origine américaine, Jess Hahn est arrivé en France en 1944 avec les Alliés, lors du Débarquement de Normandie, et y est resté. Rohmer est un des rares cinéastes français à lui avoir donné un rôle principal. Il fut souvent cantonné dans des seconds rôles, voire des rôles secondaires.

Jess Hahn était une force de la nature qu'on avait envie de protéger. À l'exception des deux cinéastes susmentionnés, il est dommage que cette sensibilité ait été aussi mal exploitée à l'écran.

Le Signe du Lion s'inscrit dans la Nouvelle Vague par sa technique, tournage économique en décors réels, faisant de Paris et de la Seine des acteurs au même titre que le personnage qui y erre et y déchoit. Le film frappe également par sa peinture de Paris documentaire et réaliste avec un noir et blanc sobre, des portraits grotesques de clochards à la Boudu, des morceaux de vie captés dans les rues. Paris semble vraiment être un personnage à part entière de l’histoire comme dans À Bout de Souffle.

Mais il révèle aussi, l'originalité de l'approche rohmerienne pétrie de jansénisme. Pierre Wesserlin croit en sa bonne étoile. Il est confronté à des coups du sort, soudain isolé dans un Paris estival déserté par ses amis. L'errance, la déchéance physique et morale le réduisent au rang de faire-valoir d'un clochard.

Or, à aucun moment, il n'envisage un travail physique, fût-il momentané, pour s'extraire de ce maëlstrom. Tenté par un petit trafic, il se rend cependant en banlieue, fait chou-blanc et n'insiste pas. C'est qu'il attend la grâce, le don du ciel ou d'ailleurs qui seul peut le sortir de la mélasse. On le suit dans son parcours las, traversant sans communiquer des tranches de vie, des dialogues dont il est le témoin muet et impuissant, dans la chaleur d'un Paris où il a perdu ses repères et s'écoule sans plus d'initiative que la Seine.

Et le don arrive... retour des amis, mort « providentielle » du cohéritier rival. Mais cela n'est pour lui que l'ordre naturel des choses : il reprend sa bamboche où il l'avait interrompue par panne d'argent, sans rien avoir appris ni compris de l'épreuve. Le plan final, les galaxies, la constellation du Lion, renvoie à ses délires astrologiques de la séquence fête, au début du récit. Amer bouclage : on n'avance pas, seule la grâce sauve et permet de boucler la boucle.

Le film ne fut pas un succès commercial : sans doute Pierre Wesserlin paraissait-il encore plus antipathique, anti-héros dans la France des « trente glorieuses » où trouver un emploi ne posait aucune difficulté. Le spectateur d'alors comprenait d'autant moins que le protagoniste se laisse ainsi aller du landau où le clochard éblouissant le trimballe comme un paquet de chiffons jusqu'au caniveau où, rageur, il pleurniche sur « la pierre... les gens... ». L'effet est d'ailleurs renforcé par le choix pour ce rôle de Jess Hahn, force de la nature, que le public était habitué à voir dans des rôles de bagarreur.

Tourné en 1959, entre Les quatre cents coups, de Truffaut et À bout de souffle, de Godard, le premier long métrage d'Eric Rohmer ne devait sortir que trois ans plus tard à la sauvette et dans une version tronquée. Sans doute parce qu'il n'avait ni la brillance de l'un ni la charge émotionnelle de l'autre.

On est pourtant frappé par la retenue du ton et la noirceur du propos. C'est un film sur l'indifférence et sur la solitude. Et quand le conte, car c'est déjà un conte que nous expose Rohmer, connaît, grâce au hasard, un dénouement heureux, notre clochard redevenu milliardaire se montrera lui aussi indifférent envers le seul type qui l'aura aidé.

Le goût de la déambulation, cette façon de filmer l'essence même des lieux, le rôle accordé au hasard autre nom du destin, tout cela se retrouve, bien plus tard, dans les Comédies et proverbes, la noirceur en moins.

Distribution

Fiche technique

  • Réalisation et scénario : Éric Rohmer
  • Dialogues : Éric Rohmer et Paul Gégauff
  • Production : Ajym Films
  • Directeur de production : Jean Cotet
  • Image : Nicolas Hayer
  • Musique originale: Louis Saguer
  • Montage : Anne-Marie Cotret
  • Format : Noir et blanc
  • Durée : 90 mn
  • Date de sortie : 2 mai 1962


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